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Religions, laïcités: les nouveaux fondamentalistes

COLLÈGE DES BERNARDINS: SÉMINAIRE DE RECHERCHE 2015/2017 – DÉPARTEMENT SOCIÉTÉ, LIBERTÉ, PAIX ÉTATS.

RELIGIONS, LAÏCITES : LES NOUVEAUX FONDAMENTALISTES.

ENJEUX NATIONAUX ET INTERNATIONAUX.

Compte rendu séance du 10 décembre 2015
Intervenants : François Boespflug, Tarik Abou Nour  

Images, caricatures et fondamentalistes 
Comment les religions ont elles canalisé dans le passé ce type de posture fondamentaliste ou intégriste ? Comment concilient-elles la foi et la raison dans des époques et des contextes différents ? Histoire du rapport des religions à l’image et à la caricature. L’émotionnel médiatique : comment prendre distance ?

Les deux invités de cette séance parlerons de l’image dans les traditions religieuses et de la manière dont ces traditions religieuses ont intégré le rapport à l’image, au divin médiatisé par l’image, ce qui pose la question du rapport à la caricature, à la dérision, au blasphème et à l’humour.

Histoire du rapport des religions à l'image et à la caricature.
François Boespflug, historien et théologien. Professeur émérite à l’université de Strasbourg.

La plupart des religions ont aimé les images.
La majorité des dieux ont été adorés à travers leurs effigies peintes ou sculptées. Parmi les religions éteintes, celles de la Mésopotamie, de l’Égypte, de la Grèce et de la Rome antiques en Europe, celle des manichéens et mazdéens au Proche-Orient puis en Asie, mais aussi celles des aztèques, olmèques et toltèques en Amérique, pratiquèrent la représentation des dieux — à part le Yahvé des Juifs, on ne connaît pas de dieu dont il serait raconté qu’il refusait figuré à des fins cultuelles ou dévotionnelles. Les deux religions actuelles les plus iconophiles sont l’hindouisme et le christianisme (orthodoxe et catholique). Quelques-unes sont aniconiques ou sélectivement iconophobes. 

Le judaïsme respecte l’interdiction de toute image du Dieu invisible formulée dans le Décalogue, ce qui ne l’a pas empêché d’orner de peintures ou de mosaïques de pavement ses lieux de prière (elle la synagogue de Doura Europos en Syrie), ses livres (les haggadahs et les mahzors enluminés), ni d’encourager renouveau de la peinture juive à la fin du XIXe siècle (Abel Pann, Marc Chagall). 

Le christianisme aurait pu demeurer une religion sans images. Or, il s’est bientôt affranchi de l’interdiction juive, dans la mesure où le Dieu invisible s’est rendu visible en Christ. Mais nombre de penseurs chrétiens ont douté du bénéfice que l’on peut tirer de la fréquentation des images, même religieuses ; et le christianisme a connu des accès d’iconophobie voire d’iconoclasme, depuis la « Querelle des images » à Byzance au VIIIe siècle jusqu’à nos jours. Les dernières cathédrales construites en France, à Évry et Créteil, sont aussi dépourvues de programme iconographique. 

L’islam continue de respecter le legs d’origine juive et quitte à l’étendre, au gré des fatwas, aux poupées et aux bonshommes de neige. Le Coran ne contient au vrai que des diatribes anti-idoles. Quelques hadiths, des interdictions sporadiques ne font pas une solide théorie du rapport à l’image. Toute figuration d’Allah, même indirecte, est strictement prohibée, le sunnisme incluant dans cette interdiction le Prophète, sa famille, ses compagnons, les quatre premiers califes et les prophètes ayant précédé Mohammed, tandis que le monde perse ilkhanide puis le chiisme d’Iran a (ou avait) une pratique des images plus tolérante. 

Le blasphème (qui consiste à maudire Dieu ou les dieux) est condamné par les religions.
L’idée de procéder à son éloge, fût-ce au nom de la liberté d’expression, ne saurait avoir de sens religieux. La moquerie elle-même n’a jamais été valorisée par les religions, qui tolèrent mal que l’on se moque des dieux ou des personnes et réalités qui les symbolisent (prêtres, lieux saints, objets sacrés). Dans la plupart des religions anciennes, d’ailleurs, personne n’aura songé à le faire. La civilisation égyptienne n’a laissé aucune caricature d’Osiris, d’Isis ou d’Horus, ni du pharaon ; la civilisation romaine n’a laissé aucun croquis désobligeant ni de Romulus et Remus, ni d’Apollon ni d’Hercule. Une exception, celle des Grecs, qui ne se sont pas privés de se moquer de leurs dieux et de les « croquer » dans des attitudes peu respectueuses. 

Il est vraisemblable que le dessin moqueur soit apparu sporadiquement en date ancienne, tel le graffito du mont Palatin, à Rome, qui montre un crucifié à tête d’âne vu de dos, avec la légende « Anaxamenos adore son dieu » : première caricature antichrétienne, traitant les chrétiens d’ « onolâtres » (adorateurs d’un âne). Mais depuis Théodose jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, il fut impensable de s’en prendre aux symboles de la religion dominante. Les contrevenants à cette règle, ne fût-ce que sous la forme du juron, ont été bientôt l’objet d’une sévère législation anti-blasphémateurs. 

Le genre artistique de la caricature, né au XVIe siècle, consiste à exagérer certains traits d’un portrait en sorte de rendre ridicule le modèle. Cela ne prouve pas que la caricature présuppose l’existence des images. La bande dessinée de la Vie du prophète Mohammed, publiée par Charlie Hebdo en 2012, ne part pas d’images existantes, mais du récit de sa vie ; elle crée de toute pièce une figure du Prophète que les uns trouveront drôle et d’autres offensante voire odieuse. Belle, en aucun cas : Spirou, Tintin et Blueberry sont en comparaison des canons de beauté. Jusqu’à ces dernières décennies, les religions les plus caricaturées étaient le christianisme (depuis la Commune, 1870) et le judaïsme. Elles sont désormais rejointes par l’islam, bien que les récentes affaires rendent prudents les dessinateurs. D’autres grandes religions actuelles comme hindouisme et bouddhisme sont rarement caricaturées. En tout état de cause, toutes les religions, du fait d’internet, dont dépossédées potentiellement de la mainmise sur leurs symboles.

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Comment l'islam a pu répondre ou canaliser la posture fondamentaliste ou intégriste ?

Comment concilie-t-il la foi et la raison, le texte et le c
ontexte?

Tarik Abou Nour, Imam, théologien, Chargé des relations publiques pour les traditions musulmanes dans le groupe de dialogue interreligieux "Artisans de paix", porte-parole du Charia Board CIFIE Comprendre l’islam.

Islam : religion du juste milieu et de l’équilibre
L’islam authentique s’oppose à toute exagération, radicalisme ou fanatisme, comme le témoigne ses textes scripturaires et l’histoire du dernier Messager et ses compagnons. L’islam est un juste milieu entre l’extrémisme littéraliste et l’extrémisme rationaliste et/ou libertin.

Histoire et sectes 

Des sectes émergent dès le premier siècle de l’Hégire telles les Kharijites, les qadarites (fatalistes), les Jabriyya, les anthropomorphistes, les Mu’attila…Dans un contexte politique et religieux très agité, des écoles rigoureuses sont nées et ont su répondre avec fermeté et efficacité aux questions et aux préoccupations du monde musulman en établissant des règles strictes d’interprétation du texte sacré et de déduction des avis juridiques afin de préserver le texte de l’instrumentalisation pour des fins terrestres. Ils ont su conserver au fil du temps leur notoriété et ont obtenu l’unanimité presque partout en terre d’Islam. Ils ont comblé ainsi- grâce aux efforts de leurs élèves successeurs fidèles et qualifiés- un vide dangereux en matière de droit musulman en relation avec les questions d'actualité. Il s‘agit pour la discipline du droit de l’école malékite, hanafite, shâfi‘ite et hanbalite. Pour le crédo (‘Aqida) de l’école ‘Ashaarite et Matouridite essentiellement. Ces écoles ont su concilier le texte et le contexte, l’authenticité et les questions de l’actualité.

Fatwa et contexte 

La Fatwa consiste en une interprétation (ou une compréhension) du texte traditionnel en vue de statuer sur un sujet ou émettre un ordre légal, c'est le domaine exclusif des savants compétents. Il peut s’agir aussi d’un effort juridique (Ijtihâd) du savant si le texte traditionnel est absent. La discipline de la Fatwa et de l’interprétation du texte sacré a ses convenances et ses conditions. Pour l’islam authentique, l’attitude qui consiste à exclure tout autre sens que le sens immédiat, c’est l’attitude intégriste. C’est une attitude/déformation humaine certes. Simple ignorance ou inconscience, quand elle aspire au pouvoir pour imposer sa règle elle s’appelle intégrisme. Ce n’est donc pas pour avoir trop médité leurs livres saints que certains croyants deviennent intégristes. Bien au contraire, c’est parce qu’ils ne le lisent pas ou pas assez…L’intégrisme n’est pas dans le texte, mais dans l’esprit du mauvais lecteur, son histoire personnelle et surtout son manque de foi.

Le mal moderne et la secte moderne 

Au sujet de « l’intégrisme », Bernard Nadoulek a fait cette remarque fort juste: «L’intégrisme islamique, loin d’être un reflet du passé, représente au contraire une forme détournée de la modernité.» [L’épopée des civilisations. Edition Eyrolles, 2005.P.290.]. L’esprit de consommation rapide (fast food), du virtuel et de l’attirance vers ce qui brille a atteint aussi les adeptes de la religion, le « shaykh » google a remplacé les savants, les réseaux sociaux démocratisés sont désormais un terrain fertile pour la propagande sectaire. Les sirènes du sectarisme de tout bord appellent les plus fragiles à une forme de mortification aveugle au mépris de la vie et des valeurs universelles, souillent et détruisent la religion au nom de la « religion ».

Une secte moderne séduit beaucoup de jeunes musulmans à travers le monde et se propage à une vitesse vertigineuse: le wahabbisme qui fait partie de ce que certains savants sunnite spécialistes appellent « As-salafiyya An-nassiyya », c'est-à-dire la « salafiyya » qui se contente strictement du texte et donc impose un traitement juridique vertical à toute affaire, sans tenir compte du temps et de l'espace, du contexte même pour les affaires à divergence connue et les sujets d'actualité. Le Wahhabbisme se caractérise entre autre par les points doctrinaux suivants:

– Vouloir imposer un avis unique même pour les sujets à divergence connue entre les savants (c'est à dire qu'il ne peut y avoir, selon plusieurs auteurs Wahhabites, deux avis ou plus recevables sur une question de l'Ijtihâd) ;
– Une interprétation littéraliste ;
– Renier le fait qu'un musulman Muqallid doit suivre une des quatre écoles ;
– Permettre à tout Muqallid d'accéder à l'effort juridique (Ijtihâd) sans considération des normes et règles émises par les savants des quatre doctrines et autres (ce qui est très dangereux) ;
– Étendre la notion d'innovation blâmable ou égarée (l’hérésie) à de nombreuses choses nouvelles, même licites (sans considération des règles prescrites par les anciens savants de la sunna pour distinguer les différents types d'innovation) ;
– Prétendre qu'ils sont « le groupe sauvé » et que tous ceux qui ne sont pas en accord avec eux sont des égarés ou du moins pas conformes aux "traces des salafs" ;
– et surtout accuser les soufis, les ash‘arites et beaucoup de musulmans, de mécréance (kufr) et d'hérésie.

Les wahabbis ont été soutenus et utilisés par les britanniques pour contrôler l'Arabie et affaiblir le Califat ottoman (surnommé l'homme malade à l'époque). Ils ont été également favorisés par les tendances du nationalisme arabe (une identité arabe contre le Califat Ottoman). Le néo-salafisme favorisé par le pétrodollar a su séduire partout dans le monde par son « simplisme » et son intégrisme des populations fragilisées par leur contexte précaire tant spirituellement qu’intellectuellement. Des livres gratuits, des financements généreux pour des mosquées ou des écoles et même des séjours « tous frais payés » proposés pour être « wahhabisés » sont des leviers de propagandes très efficaces notamment dans un pays comme la France où nos jeunes manquent cruellement d’encadrement et de « vaccin » en matière de religion.

Quelles Solutions ?

Aucune solution ne peut être uniquement sécuritaire, car on ne pourra pas combattre les sectes et leurs idées par la force et la répression uniquement ! Il s’agit d’abord de favoriser l’éducation et l’enseignement authentique des valeurs de la religion chez nos jeunes. La formation des imams et des éducateurs est une p
artie de la solution. Néanmoins, si des lois ne sont pas votées pour mettre fin à l’anarchie dans le domaine d’Internet et interdire la diffusion de tout contenu sectaire, alors tout effort dans nos mosquées ou nos centres sera insuffisant voir vain. Les idéologies de la haine et de l’exclusion prolifèrent dans nos banlieues. Il faut -de la part de l’Etat- une vraie politique culturelle dans ces zones, des moyens supplémentaires pour les associations, un combat sérieux contre la discrimination notamment à l’embauche, la fin des ghettos. L’Islam (deuxième religion de notre pays) souffre non seulement du manque d’enseignement authentique et du manque d’organe officiel audible, crédible et reconnu, mais aussi d’amalgames médiatiques et politiquent qui s’acharnent sur lui et mettent en cause la stabilité et la paix sociale.
 

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