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Ramadan un mois de piété, d’humanisme et de solidarité agissante (1/2)

Institué à Médine en l’an 624, le jeûne du Ramadan est une commémoration de la première révélation faite au Prophète Mohammad (saws), au cours du neuvième mois de l’année lunaire. C’est un temps de joie et de générosité, où l’individu est attentif aux plus nécessiteux et renforce les liens avec la communauté religieuse. Le pratiquant observe la prière, une stricte abstinence diurne et le rite de rupture du jeûne au coucher du soleil. [i]

L’origine

On dit que le Ramadan était un mois important et sacré pour les Arabes, bien avant l’avènement de l’Islam ; ce mois-ci, les querelles et les guerres locales cesseraient, alors qu’une période de paix ininterrompue était observée, pendant laquelle les plus pieux se retiraient dans les temples, les grottes et autres espaces pour méditer.

Selon la tradition islamique (connue sous le nom de hadith), le Ramadan était aussi le mois où Dieu révélait les écritures à Abraham (Ibrahim aux musulmans) ; la Torah à Moïse (Moussa) ; les Psaumes à David (Dawoud) et l’Évangile à Jésus (‘Isa). [ii]

Les musulmans croient que c’est pendant le Ramadan, en 610 après J.-C., que Dieu a parlé pour la première fois au prophète Mohammad. Selon la tradition islamique, pendant ce Ramadan, Mohammad  se retirait, comme il le faisait souvent au cours du mois, dans une petite grotte à la périphérie de La Mecque, appelée Hira, pour méditer et réfléchir en isolement.

Puis, une nuit impaire au cours des 10 derniers jours, il entendit une voix exigeante qu’il « lise » (le sens du mot ‘iqra’) et commença ainsi les révélations coraniques.

Les versets de cette nuit se trouvent dans le 96ème chapitre du Coran, connu sous le nom de Sourate al-Alaq. La nuit où les révélations ont commencé est appelée Laylat al-Qadr, ou La Nuit du Destin, [iii] et le Coran dit qu’elle vaut « mieux que mille mois » (97 : 3), c’est pourquoi les musulmans passent les 10 derniers jours du Ramadan le cherchant, dans l’espoir qu’ils seront dans un état d’adoration, de réflexion et de méditation lors de La Nuit du Destin.

Le Ramadan est l’un des mois du calendrier islamique. Cela faisait également partie des anciens calendriers arabes. Le nom Ramadan vient de la racine arabe RMD et des mots « ramîda » ou « ar-ramad », qui signifie « chaleur torride ».

Sur ce point particulier, Cheikh Moubarak Ahmad écrit : [iv]

’Selon Ibn-Hisham, la tribu Quraish de La Mecque avait l’habitude de se retirer sur le mont Hira pour la dévotion religieuse et la pénitence pendant le mois de Ramadan, s’abstenant de relations sexuelles, etc., bien que ce mois ne soit pas considéré comme un mois sacré parmi les quatre mois pré- Mois sacrés islamiques de Qa’dah, Hijjah, Muharram et Rajab. “

Et il continue, en disant :

‘’Le mot Ramadan est un nom islamique car avant l’Islam, il était connu sous le nom de Nataq (Fath-ul-Bayan). Le mot est dérivé de ramada. On dit « ramada al-salimu », c’est-à-dire que l’intérieur de l’homme à jeun est devenu très chaud à cause de la soif (Lane). Le mois est ainsi nommé parce que premièrement, le jeûne de ce mois produit de la chaleur et des brûlures dues à la soif ; deuxièmement, l’adoration de ce mois brûle les traces du péché chez l’homme (Asakir et Mardawaih) et troisièmement, la chaleur nécessaire de l’amour pour le Créateur et ses êtres créés est générée dans le cœur de ceux qui jeûnent. “

Le Ramadan est considéré comme une bonne action qui brûle les péchés. Bien que généralement considéré comme un jeûne de nourriture et de boisson, les musulmans s’abstiennent également de toute activité sexuelle et de tout comportement vulgaire pendant leur jeûne.

La nourriture et les boissons sont des métaphores des besoins et des désirs du monde, et donc s’en abstenir vise à élever l’esprit. L’acte de jeûner est antérieur à l’Islam et est présent dans toutes les grandes religions du monde. À cet égard, il s’agit d’une pratique ancienne (et qui peut également avoir des effets bénéfiques sur la santé). [v]

D’un point de vue religieux, l’importance du Ramadan ne tient pas simplement au fait que ses prescriptions sont détaillées dans le Livre Saint. C’est en premier lieu le quatrième pilier de l’Islam avec la profession de foi, la prière, l’aumône et le pèlerinage à la Mecque pour ceux qui en ont les moyens.

C’est au cours de la deuxième année de l’installation du Prophète à Médine que le jeûne devint obligatoire. A cette époque, cette pratique n’était pas inconnue des habitants de la péninsule arabique, dont certains étaient juifs ou chrétiens. [vi]

Hervé Bleuchot introduit la pratique du siyâm de la façon suivante : [vii]

‘’ C’est le Coran qui fixe les règles du jeûne (Cor *2, 179-187), la Sunna et les traités de fiqh ayant développé la matière. Il est obligatoire pour la personne musulmane, pubère, saine d’esprit et capable physiquement de le faire. Elle devra formuler son intention de l’accomplir, une fois pour tout le mois selon les malékites, tous les jours selon les autres. Outre les aliments et les boissons, sont également interdits la fumée et les parfums, de vomir volontairement, de pratiquer un lavement… Les relations sexuelles interdites sont celles qui comprennent une émission de sperme ou de liquide prostatique, mais toute caresse, baiser, pensée érotique est seulement blâmable. Quand l’heure de la rupture est arrivée, il est recommandé de manger tout de suite, et, avant le début du jour suivant, de prendre un dernier repas.’’

Le Ramadan a également une signification à la fois religieuse et historique. C’est respectivement le mois de la prise de La Mecque par le Prophète, en l’an 8 de l’Hégire (630), le mois de la naissance de Hussein, le petit-fils de Mohammad, et le mois de la mort de Khadija, sa première épouse.

Plus important encore, c’est au cours du mois de Ramadan que les musulmans enregistrèrent leur première victoire militaire contre leurs ennemis mecquois, en l’an 2 de l’Hégire (624), lors de la bataille de Badr. [viii] Ceci est important car c’est ce jalon historique, entre autres, que les groupes extrémistes musulmans invoquent lorsqu’ils tentent de justifier leur activisme accru et leurs actions violentes pendant le Ramadan. [ix]

Le Ramadan est célébré pour honorer le quatrième pilier de l’Islam, connu sous le nom de sawm. Selon l’histoire du jeûne du Ramadan, il existe plusieurs raisons pour lesquelles les musulmans sont tenus d’observer le jeûne, notamment :

  • Faire preuve de maîtrise de soi et de retenue ;
  • Pour nettoyer leur corps ;
  • Rappeler que certaines personnes n’ont pas accès à la nourriture et ont faim tous les jours ;
  • Pour être plus compatissants et reconnaissants pour ce qu’ils ont ; 
  • Pour renforcer leur lien avec Allah.

Le temps passé sans manger pendant le Ramadan devrait être consacré à la récitation du Coran et à la prière. En combinaison avec les cinq enseignements du Ramadan énumérés ci-dessus, les gens pourront devenir de meilleurs musulmans et de meilleurs membres de leur communauté au sens large. [x]

Réflexion et raison

Toutes les civilisations anciennes, toutes les religions ont imposé à leurs adeptes quelques jours de jeûne par an. Pourquoi donc ? Était-ce une simple superstition, ou cette pratique avait-elle une certaine utilité ? [xi]

L’islam, le judaïsme et le christianisme ont en commun d’avoir placé les interdits alimentaires au centre de la vie religieuse. Moïse, Jésus, Mohammad  : tous trois ont jeûné dans le désert. Yom Kippour, Carême, Ramadan : trois façons d’observer le jeûne.

Nées au Moyen-Orient, dans des paysages de sable et de soleil, les trois grandes religions monothéistes ont inscrit cette pratique dans leur calendrier. La durée varie, les modalités ont évolué au fil des siècles, mais pour toutes, le temps du jeûne est l’occasion de se recentrer sur le spirituel, de s’ouvrir au partage et à la bienveillance. Une autre façon d’être au monde. Le ramadan correspond au neuvième mois du calendrier lunaire, au cours duquel l’archange Gabriel a révélé le Coran au prophète Mohammad  , selon l’islam. [xii]

Dans la foi juive, le Yom Kippour (également connu sous le nom de “jour de l’expiation”) est le jour le plus sacré de la foi juive. Les juifs ne peuvent ni manger, ni boire, ni travailler, ni avoir de relations sexuelles, ni se baigner pendant 25 heures. Conformément à la Torah, les croyants sont encouragés à réfléchir aux fautes qu’ils ont commises au cours de l’année écoulée et à se repentir. [xiii]

Selon le judaïsme, le jeûne est l’état parfait du corps et, pendant le jeûne, les Juifs nourrissent leur esprit. La rupture du jeûne est un petit-déjeuner, qui commence par nourrir l’esprit par le jeûne et se poursuit par la nutrition de la partie physique. Ainsi, le peuple juif a pratiqué le jeûne pour montrer son lien avec son côté spirituel et en même temps pour se remplir de connaissances qui élèvent l’esprit. Le jour de jeûne juif Yom Kippour, le jeûne du grand Shabbat, est célébré le 10 Tishri dans le calendrier juif. Ce jeûne de 24 ou 26 heures permet de se repentir envers Dieu et de se faire pardonner par Lui.

Dans le christianisme, Jésus-Christ jeûne pendant 40 jours, et il demande aux chrétiens de jeûner parce que c’est bien, mais il ne le rend pas obligatoire. Les chrétiens pensent que cela a déjà été fait pour lui et que ce sacrifice a déjà été fait pour eux. Cependant, Saint Paul souligne qu’il est nécessaire de ressentir ce que Jésus a fait. C’est pourquoi ils jeûnent deux fois par an, le mercredi des cendres et le vendredi saint. [xiv]

En effet, il n’est pas un seul des devoirs spirituels imposés par le Coran qui ne soit accompagné d’un appel à la réflexion, à la méditation, pour que l’homme découvre qu’il est dans son intérêt de l’accomplir. Le Coran nous exhorte à plusieurs reprises à ne pas suivre aveuglément les coutumes de nos ancêtres, mais à penser par nous-mêmes, afin que l’homme soit justement et personnellement responsable de ses actes. Les êtres humains ne doivent pas agir uniquement par instinct comme les animaux, mais par décision personnelle, comme il convient à un être à qui Allah a donné raison, à l’exclusion des autres créatures. [xv]

Florence Ollivry-Dumairieh explique l’importance du jeûne dans les religions abrahamiques dans les termes suivants : [xvi]

’ Ainsi, jeûne et «dé-jeûner» fonctionnent comme un couple dont les deux termes, sur le plan symbolique, se renforcent mutuellement: plus le jeûne qui précède ou suit un repas est long, plus la valeur symbolique du repas en question sera chargée. Dans l’histoire du christianisme, la communion puise sa charge symbolique dans le jeûne eucharistique observé depuis la veille ; la charge symbolique de l’agneau du dimanche de Pâques est accrue du fait de la privation de nourriture carnée durant le Carême ; durant le Ramaḍân, l’ifṭâr revêt un caractère solennel en raison du jeûne diurne qui le précède : une période de privation renforce la charge symbolique du repas qui y met un terme. Pareillement, durant ce même mois, le repas pris avant l’aube (saḥûr) revêt un caractère religieux en raison du jeûne qui suivra; le repas qui précède le jour de Kippour revêt un caractère méritoire et obligatoire en raison du jeûne à venir. Le jeûne renforce la valeur symbolique du repas qui le précède ou qui lui succède : dans le couple que forment le jeûne et le repas, la rigueur du premier renforce la charge symbolique du second. Ce qui confère sa force symbolique au Dernier Repas, ce n’est pas nécessairement le repas en lui-même, mais la privation qu’il annonce, et le caractère définitif et absolu de cette dernière. C’est de ce jeûne absolu, illimité et héroïque qui lui succède, que le « Dernier repas » tire toute sa force symbolique.’’

Enfin, dans l’hindouisme, le jeûne est également pratiqué afin de détacher le corps de ses besoins physiques en vue d’un gain spirituel. En séparant les obsessions des plaisirs matériels, les hindous créent une harmonie entre leur corps et leur âme. Le jour d’Ekadashi, les adultes en bonne santé sont encouragés à jeûner complètement. Cette pratique, associée à la prière et à la méditation, permet d’éliminer les péchés, de purifier l’esprit et d’entraîner le croyant à supporter les épreuves futures. [xvii]

Au fil du temps, de nombreuses religions en sont venues à considérer l’abstinence volontaire de nourriture comme un rite de purification spirituelle important. En encourageant la pénitence et le sacrifice, l’essence du jeûne est d’empêcher les besoins physiques de prendre le devant de la scène.

Gandhi a utilisé le jeûne comme une “arme non violente”, une arme d’une puissance incroyable, puisqu’il a fait plier les Britanniques devant lui. Il a mené son dernier jeûne, en faveur de la réconciliation entre hindous et musulmans, à 78 ans, avant d’être assassiné par un fanatique hindou. [xviii]

En arabe, le mot Ramadan signifie chaleur intense, car il est considéré comme une bonne action qui brûle les péchés. Il permet aux musulmans de se rapprocher d’Allah, mais aussi des plus pauvres, en ressentant les sensations de faim et de soif, ce qui est en soi, également, une sensation de grande chaleur et de brûlure de la gorge. [xix]

L’homme étant à la fois corps et esprit, la recherche exclusive des bienfaits d’une seule de ces composantes se fera au détriment de l’autre et détruira l’équilibre de l’individu. Le véritable intérêt de l’homme requiert l’harmonie entre le corps et l’âme, ainsi que leur heureuse coordination.

Si nous travaillons uniquement pour le bien de l’esprit, nous deviendrons des anges et même au-delà, mais Allah a déjà créé les anges et n’a pas besoin d’augmenter leur nombre.

De même, si nous consacrons toute notre énergie au bien-être matériel et à des intérêts égoïstes, nous deviendrons des bêtes, des diables, et pire encore. Or, Allah a déjà créé de tels êtres aussi, et en devenant des bêtes ou des diables, nous allons à l’encontre de l’intention divine qui a présidé à la création d’êtres dotés du pouvoir d’accomplir des œuvres, tant spirituelles que matérielles, et dotés de la raison pour distinguer le bien du mal.

La pratique du jeûne pendant le Ramadan

La pratique du jeûne pendant le Ramadan revêt une grande importance dans la vie religieuse des musulmans, tant par la rigueur qu’elle implique que par la perception spirituelle d’un tel ascétisme. Plus encore que la prière, le jeûne du Ramadan met en jeu un double aspect de la religiosité : la participation sociétale collective, dimension pleinement horizontale du fait religieux, et l’engagement individuel du jeûneur, dimension pleinement verticale de l’acte de foi. Il est à noter que cette double composante se retrouve dans le cinquième pilier : le Pèlerinage. [xx]

Ainsi, en « jeûnant Ramadan », le musulman est en phase avec sa communauté, un état de communion interpersonnelle, une simple réalité qui ne doit pas lui faire perdre de vue que le jeûne est aussi une démarche purement spirituelle, un état de communion mystique. Tout comme nous l’avons fait pour la prière, entre le poids de l’obligation et la sincérité de l’élan de foi, nous sommes donc amenés à nous interroger sur le point de vue coranique concernant le caractère obligatoire ou non du jeûne du Ramadan. Rappelons enfin que le jeûne du Ramadan a la particularité d’être consacré à la célébration du Coran, qui est sans doute la clé intrinsèque de l’ouverture spirituelle. [xxi]

En tant que pilier/rukn, le jeûne du Ramadan est pour l’Islam une obligation divine/farḍ incombant aux musulmans. A partir de ce caractère obligatoire, l’Islam a fait de nombreux aménagements compte tenu de la difficulté physique du jeûne d’un mois. Les enfants, les malades, les femmes enceintes, les personnes âgées et les voyageurs sont donc traditionnellement exemptés du jeûne, tout comme les malades, les femmes enceintes, les personnes âgées et les voyageurs à titre temporaire. De plus, la loi islamique a produit un vaste corpus de littérature qui explique les nombreux détails que la casuistique musulmane a générés concernant la pratique de ce jeûne, c’est pourquoi nous renvoyons le lecteur à ce vaste corpus de littérature.

Ce qui retient notre attention est d’un autre ordre puisque, plus encore que pour la prière, se pose la question de l’équilibre entre l’obéissance à ce qui est considéré comme une obligation et l’élan spirituel profond qu’implique la pratique du jeûne, compris comme creuset potentiel d’expérience mystique. Cependant, comme nous avons pu démontrer que l’obligation de prier est en fait une prescription de l’Islam et non du Coran, on s’attend à ce qu’il en soit de même pour le Ramadan. Entre collectif et électif, rituel et spirituel, comment le Coran articule-t-il cette problématique ?

Dans le Coran, toutes les informations concernant la pratique du jeûne du Ramadan sont contenues dans un seul chapitre : 2 : 183-187. Ce traitement thématique d’un des linéaments coraniques du proto-islam est rare dans le Coran, et on peut supposer qu’il témoigne ainsi de l’institution de l’introduction d’une pratique complètement nouvelle pour les musulmans. Il en résulte directement que les informations nécessaires à la mise en œuvre de ce jeûne sont exposées dans ce chapitre et sont suffisantes. Cependant, la réponse à la question précédente nous oblige à analyser uniquement les versets 183-184.

« Ô vous qui croyez ! Le jeûne vous est prescrit, comme il a été prescrit à ceux qui vous ont précédé, ayez une crainte pie ! », (2 : 183°.

يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آَمَنُوا كُتِبَ عَلَيْكُمُ الصِّيَامُ كَمَا كُتِبَ عَلَى الَّذِينَ مِنْ قَبْلِكُمْ لَعَلَّكُمْ

 تَتَّقُونَ

La sourate s’adresse ici aux croyants musulmans, hommes et femmes, sans distinction, puisque la formulation utilisée est neutre en termes de genre. Par conséquent, tous les propos et règles qui seront édictés concernent aussi bien les uns que les autres. Il s’agit du segment « Le jeûne vous est prescrit/kutiba, comme il a été prescrit/kutiba à ceux qui vous ont précédé. » Que l’Islam a décrété que le jeûne du Ramadan est une obligation religieuse instituée par Allah. [xxii]

Si l’on devait comprendre ici que le verbe kataba signifie « prescrire » au sens d’un impératif divin, il aurait dû aussi s’agir d’un ordre de même nature pour « ceux qui vous précèdent » puisqu’il est bien dit « comme il a été prescrit/kutiba à ceux qui vous ont précédé ». Si tel est le cas du judaïsme, ce n’est pas le cas du christianisme. En effet, selon la Torah, le jeûne de Yom Kippour, le jeûne de vingt-cinq heures, est « une loi perpétuelle » et c’est le seul jeûne obligatoire ; d’autres jours de jeûne existent mais sont facultatifs. En revanche, aucun verset du Nouveau Testament ne mentionne un jeûne obligatoire, alors que de nombreux autres versets incitent au jeûne comme pratique purificatrice et spirituelle, de sorte que pour les chrétiens, le jeûne est un acte surérogatoire et non une obligation.

Dr Al ‘Ajami écrit dans ce sens : [xxiii]

‘’ Ainsi, en « jeûnant Ramadan », le musulman est-il en phase avec sa communauté, état de communion interpersonnelle, réalité simple qui ne doit pas lui faire perdre de vue que le Jeûne est de même une démarche purement spirituelle, état de communion mystique. Tout comme nous l’avons fait pour la Prière, entre poids de l’obligation et sincérité de l’élan de foi il est donc attendu que nous nous interrogions quant au point de vue coranique concernant le caractère obligatoire ou non du jeûne de Ramadan. Enfin, nous rappellerons que le jeûne de Ramadan a pour particularité d’être consacré à la célébration du Coran, ce qui sans nul doute est la clef intrinsèque de l’ouverture spirituelle.’’

Ce simple constat interreligieux permet donc d’affirmer que selon le sens que l’islam donne à ce verset, il est faux de déclarer que le jeûne ” est prescrit/kutiba comme il a été prescrit/kutiba à ceux qui vous ont précédés “, juifs et chrétiens divergeant sur ce point. Aussi, sauf à supposer que le Maître de la Révélation ne connaisse pas les religions dont il est question ici, le verbe kataba ne peut signifier prescrire au sens où l’entend l’Islam, c’est-à-dire une obligation, mais conserve son sens originel : recommander, inviter à.

Notons que si le christianisme avait ainsi défait le formalisme juridique juif, l’islam l’a réintroduit à son compte, procédure et ligne de conduite que l’on retrouve régulièrement dans la construction de l’islam. Il ne s’agit pas d’une spéculation et le verset qui suit confirmera le caractère non obligatoire du jeûne du Ramadan.

Les jours sont comptés, mais que celui d’entre vous qui est malade ou en voyage détermine d’autres jours. Quant à ceux qui pourraient avoir, un rachat leur incombe : la nourriture d’un pauvre. Et celui qui fait volontiers le bien, c’est bon pour lui, mais le jeûne est meilleur pour vous, si vous le saviez ! (2 : 184).

  أَيَّامًا مَعْدُودَاتٍ فَمَنْ كَانَ مِنْكُمْ مَرِيضًا أَوْ عَلَى سَفَرٍ فَعِدَّةٌ مِنْ أَيَّامٍ أُخَرَ الَّذِينَ هُ فِدْيَةٌ طَعَامُ مِسْكِينٍ فَمَنْ تَطَوَّعَ خَيْرًا فَهُوَ خَيْر ٌ لَهُ وَأَنْ تَصُومُوا خَيْرٌ لَكُمْ إِنْ كُنْتُمْ تَعْلَمُونَ

Ramadan, selon al-Ghazali

Quel est le rôle de ce régime annuel, qui est aussi l’un des cinq piliers de l’Islam ? Réponse avec al-Ghazālī (1058-1111), [xxiv] l’un des théologiens musulmans les plus importants, qui fut l’opposant pugnace des philosophes trop prompts, selon lui, il faut valoriser la raison sur un pied d’égalité avec la foi. [xxv] Pour lui, le Ramadan est en fin de compte une question de détachement du monde et d’ouverture à Dieu. Prêt pour un voyage mystique ? [xxvi]

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Le théologien Abu Hamid Muhammad ibn Muhammad al-Ghazālī (parfois appelé en Occident Algazel) a beaucoup écrit sur le Ramadan, notamment dans ‘’Les Secrets du jeûne en Islam’’, dont il distingue trois sens, trois pratiques bien distinctes : [xxvii]

Le Ramadan des gens ordinaires : « Celui-ci consiste à empêcher le ventre et les parties intimes de satisfaire leurs désirs. » [xxviii] Vaincre la faim et renoncer à la sexualité : échapper, en somme, aux instincts les plus biologiques – l’autoconservation et la perpétuation de l’espèce.

Le Ramadan des élus : « Le jeûne des élus consiste à garder l’ouïe, la vue, la langue, les mains, les pieds et tous les autres membres du corps libres du péché. » [xxix] Il s’agit, en somme, de résister au mal sous toutes ses formes par une hygiène, une épuration, une discipline de différentes manières d’accéder au monde et aux autres (qui sont autant d’occasions de pécher). [xxx]

Le Ramadan des élus parmi les élus : al-Ghazālī considère cette troisième et plus haute pratique comme le jeûne des « prophètes, des véridiques et des proches de Dieu », [xxxi] autrement dit « le jeûne des élus parmi les élus », c’est par le cœur ; il faut jeûner des préoccupations et des pensées du monde, et s’abstenir complètement de penser à autre chose que Dieu. Ce degré le plus élevé du Ramadan consiste donc à « se détourner de ce qui est autre que Dieu […] et à se laisser complètement envelopper par le sens de ses paroles ». [xxxii] Il ne s’agit plus seulement de discipliner la vie terrestre, mais de s’en détacher, autant que possible, car toutes les préoccupations ici-bas, même si elles sont bonnes, font obstacle à la relation avec le divin.

Sous ces trois formes, le Ramadan est pour al-Ghazālī est un effort d’auto-purification. Il s’agit de se libérer de tout ce qui détourne d’une compréhension authentique de soi – de s’émanciper des besoins, des désirs et même des sens, qui nous transportent vers l’extérieur et nous empêcheraient ainsi de nous recueillir à l’intérieur. En se dépouillant de ce qui l’attache à la vie terrestre, le jeûneur découvre qu’il est petit comparé à l’infinité de Dieu dont il est la créature.

Le Ramadan est donc à la fois un retour sur soi et un renoncement à soi, puisqu’il ne mène qu’à Dieu. Ce sacrifice est d’autant plus exigeant qu’il ne repose sur rien d’autre que la foi, et n’est donc jamais assuré. Le cœur de celui qui rompt le jeûne reste en suspens, entre peur et espoir, car il ne sait pas si son jeûne a été accepté ou rejeté par Dieu.

Concernant les réflexions d’al-Ghazali sur le Ramadan, Tamim Mobayed écrit : [xxxiii]

”Al Ghazālī marque l’ouverture de ce livre en soulignant l’importance du jeûne, en abordant des idées telles que le jeûne est la moitié de la patience, la patience étant la moitié de la foi, et donc le jeûne équivaut au quart de la foi. De manière plus émouvante, il rappelle à son lecteur le caractère exceptionnel du jeûne par rapport aux autres actes de culte, en raison de son statut d’être pour Dieu (« C’est pour moi et je le récompense »). Ce statut pourrait être lié au fait qu’il s’agit d’une forme de culte inobservable : « Le jeûne est l’abstention ; renoncer à quelque chose, de par sa nature même, est caché, sans aucune action observable ». Ainsi, le jeûne jouit d’un statut unique parmi les piliers de l’Islam en tant qu’acte d’omission plutôt que de commission. Al Ghazālī accorde également une importance au jeûne au motif qu’il est un moyen de vaincre « l’ennemi de Dieu », car Satan « agit au moyen des appétits ». La relation entre le jeûne et la maîtrise de soi est bien documentée, ainsi que la relation entre la maîtrise de soi et une série de mesures de réussite et de satisfaction dans la vie, y compris des problèmes tels que la toxicomanie, les relations inadaptées et les maladies physiques et psychologiques.’’

Et il poursuit par dire :

‘’Al Ghazālī poursuit en fournissant un aperçu utile des principes fondamentaux qui doivent être respectés pour que le jeûne du Ramadan soit accepté, selon son école de jurisprudence Shafi’i. Bien que ces principes soient essentiels et que certaines discussions les concernant soient éclairantes et complexes, leur noyau est largement connu.’’

Ramadan dans le hadith

Le Prophète Mohammad  a dit : « Quand arrive le mois de Ramadan, tous les démons sont enchaînés. Toutes les portes de l’Enfer sont fermées et toutes les portes du Paradis sont ouvertes. » Il poursuit en disant : « Ô vous qui souhaitez faire le bien, sortez ! Ô vous qui souhaitez faire le mal, cessez ! Cet appel est renouvelé chaque nuit et chaque nuit, Dieu sauve de l’enfer un certain nombre de croyants », comme le rapporte at-Tirmidhi.

Le Prophète  a souligné à travers plusieurs hadiths les mérites du jeûne : « Le jeûne préserve de l’enfer comme un bouclier au combat », comme le rapporte l’Imam Ahmad, et il ajoute : « Celui qui jeûne pendant le mois de Ramadan avec foi, en s’appuyant sur le Récompense divine, ses péchés lui seront pardonnés », comme le rapportent al-Boukhari et Muslim.

Abdullah Ibn ‘Umar rapporte que l’envoyé de Dieu  a dit : « Le jeûne et le Coran intercèderont pour le serviteur le Jour de la Résurrection. Le jeûne dira : ‘Ô Mon Seigneur ! Je l’ai empêché de se nourrir et satisfaisant son désir, prends-moi donc comme intercesseur en sa faveur. « Et le Coran dira : ” Je l’ai empêché de dormir la nuit, alors prends-moi comme son intercesseur. ” Et ils intercéderont », rapporté par l’Imam Ahmad.

Le Prophète  a également dit : « L’invocation de celui qui jeûne sera entendue chaque fois qu’il rompt son jeûne (le soir) », comme le rapporte Ibn Maja. Il a ajouté : « Celui qui jeûne un jour pour l’amour d’Allah sera éloigné du feu d’une distance de 70 ans », comme l’ont rapporté al-Boukhari et Muslim.

Le Prophète  a en outre indiqué que Dieu, à Lui la puissance et la gloire, a dit : « Tout acte du fils d’Adam lui appartient, à l’exception du jeûne qui M’appartient, et c’est Moi qui donne sa récompense, pour le jeûne. Le serviteur abandonne sa nourriture et désire Moi. Celui qui jeûne a deux joies : lorsqu’il rompt son jeûne, il se réjouit, et lorsqu’il rencontre Son Seigneur, il se réjouit d’avoir jeûné. Le souffle de l’homme qui jeûne est plus parfumé que l’odeur du musc“, rapporte le Hadith Qodsi de Muslim.

Le Prophète, faisant référence au Ramadan, a souligné : « C’est un mois au cours duquel vous êtes les invités d’Allah et Ses honorés. » Et il a ajouté : « La meilleure charité est celle accomplie pendant le mois de Ramadan », comme le rapporte at-tirmidhi.

Ibn Abbas a dit : « Le Prophète d’Allah était le plus généreux des hommes, surtout au mois de Ramadan, lorsqu’il rencontra l’Ange Gabriel avec la révélation et lui enseigna le Coran. Sa générosité était ininterrompue comme le souffle continu du vent bénéfique », selon al-Boukhari 1/5 ; 3/33 ; 4/137.

Vous pouvez suivre le Professeur Mohamed Chtatou sur Twitter/X : @Ayurinu

 

Notes de fin de texte

[i] Bleuchot, H. 2000. Chapitre VI. Le culte. In Droit musulman : Tome 1 : Histoire. Tome 2 : Fondements, culte, droit public et mixte. Marseille : Presses universitaires d’Aix-Marseille. doi :10.4000/books.puam.1040

[ii] Noyé, J.-C. (2007). Le grand livre du jeûne. Paris : Albin Michel.

[iii] Amir-Moezzi, Mohammad Ali. (2015). La Nuit du Qadr (Coran, sourate 97) dans le Shi’isme ancien. MIDÉO, Mélanges de l’Institut dominicain d’études orientales, 31,‎ 181-204. https://journals.openedition.org/mideo/1121

[iv] Sheikh Mubarak Ahmad. (2019). Fasting in Islam and other religions. Al Hakam.

[v] Goitein, S. D. (2006) [1966]. Ramadan, the Muslim Month of Fasting. In The Formation of the classical Islamic world (pp. 151-171). London: Routledge.

[vii] Bleuchot, H. 2000. Op. cit.

[viii] Les relations entre Mohammad  et les autorités mecquoises ne firent qu’empirer. Les Mecquois s’emparèrent de tous les biens laissés par les musulmans lors de l’émigration à Médine. En 624 de notre ère, il lança une attaque contre une caravane lourdement chargée appartenant à l’éminent commerçant mecquois à la tête du clan des Omayyades, Abou Soufiane. La caravane réussit à s’échapper sans encombre, mais une expédition punitive de quelque 800 hommes, sous le commandement d’Abou Djahl, fut envoyée contre Mohammad . Les deux camps se rencontrèrent près d’un endroit appelé Badr et les musulmans, bien qu’inférieurs en nombre, remportèrent la bataille qui s’ensuivit. Abou Djahl fut parmi les victimes. La bataille de Badr fut un moment déterminant de l’histoire de l’islam

[ix] Tabari . (2001). La Chronique, Histoire des prophètes et des rois (2 volumes), vol. II (trad. Herman Zotenberg). Arles : Actes-Sud/Sindbad, coll. « Thésaurus ».

[x] Ollivry-Dumairieh, F. (2015). Choisir l’absence de repas : le jeûne : implications théologiques d’une pratique dans le judaïsme, le christianisme et l’islam. Théologiques, 23(1), 107–137. https://doi.org/10.7202/1040868ar

[xi] Schlemmer, A. (1961). Le jeune religieux. Philosophia Reformata, 26(4), 201-206. http://www.jstor.org/stable/24706149

[xii] Briet, Sylvie. (2020). Ramadan, Yom Kippour, carême : d’où vient la tradition du jeûne dans les religions ? Sciences et Avenir.

https://www.sciencesetavenir.fr/nutrition/d-ou-vient-la-tradition-du-jeune-dans-les-religions_29178

[xiii] Maïmonide, M. (m.1204).  (2003). Le Guide des égarés, (trad. par S. Munk). Paris : Maisonneuve & Larose.

[xiv] Shenouda III, H. H. Pope. (1990). The spirituality of Fasting. Cairo: Coptic Orthodox Patriarchate.

[xv] Vajda, G. (1938). Jeûne musulman et jeûne juif.  Hebrew Union College Annual, 12-13, 367-385.

[xvi] Ollivry-Dumairieh, F. (2015). Op. cit.

[xvii] Gandhi, Mohandas Karamchand. (2015). La voie de la non-violence (extrait du recueil Tous les hommes sont frères). Paris : Gallimard.

[xviii] Meile, P. (2012). Les jeunes de Gandhi. In G. Belmont, P. Meile, & O. Lacombe (Eds.). Autobiographie ou mes expériences de vérité (pp. XXXVII-XXXVIII). Paris: Presses Universitaires de France.

[xix] Chtatou, Mohamed. (2020). Understanding Ramadan, its History, and Original Meaning. Morocco World Newshttps://www.moroccoworldnews.com/2020/04/300806/understanding-ramadan-its-history-and-ori ginal-meaning

[xx] Ababou, M., Ababou, R. & El Maliki, A. (2008). Le jeûne du Ramadan au Maroc : un dilemme pour les patients diabétiques et les soignants. Sciences sociales et santé, 26, 79-104. https://doi.org/10.1684/sss.2008.0205

[xxi] Oumma. (2009). Lire le Coran pendant le mois de Ramadan. https://oumma.com/lire-coran-pendant-mois-ramadan/

[xxii] Al ‘Ajami. (2023). L’obligation du jeûne de Ramadan selon le Coran et en Islam. Oumma. https://oumma.com/lobligation-du-jeune-de-ramadan-selon-le-coran-et-en-islam/

[xxiii] Ibid.

[xxiv]  Chtatou, Mohamed. (2021). Abou Hamed al-Ghazali, défenseur et rénovateur de la foi islamique. Oummahttps://oumma.com/abou-hamed-al-ghazali-defenseur-et-renovateur-de-la-foi-islamique-2/

[xxv] Pisani, Emmanuel. (2015). Abū Ḥāmid al-Ġazālī (m. 1111). Archives de sciences sociales des religions, 169, 287-305. http://journals.openedition.org/assr/26763 ; DOI : https://doi.org/10.4000/assr.26763

[xxvi] Al Ghazālī, A. H. (2018). The Mysteries of Charity and the Mysteries of Fasting (p. 79) (M. A. Fitzgerald trans.). Louisville: Fons Vitae.

[xxvii] Ibid.

[xxviii] Ibid., p. 93

[xxix] Ibid.

[xxx] Al-Ghazâlî, (m. 1111). (2001). Les Secrets du jeûne en islam. La vivification des sciences de la religion (intro., notes et trad. par M. Gloton). Beyrouth : Dâr Al-Bouraq.

[xxxi] Al Ghazālī, A. H. (2018). Op. cit.

[xxxii] Ibid.

[xxxiii] Mobayed, Tamim. (2020). The Mysteries of Fasting (Reflections on Al Ghazālī’s Kitāb Asrār al-Siyyām). CILEhttps://admin.cilecenter.org/resources/articles-essays/mysteries-fasting-reflections-al-ghazalis-kitab-asrar-al-siyyam

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