in

Quand l’école préfère ressembler à autre chose

La loi sur la laïcité sera vraisemblablement votée. Peu de choses laissent penser le contraire. L’intention de légiférer oriente le débat. Elle en délimite le champ, définit le lexique et ébauche les perspectives. Parmi d’autres propensions, elle part plus légitime. Ses modalités explicites normatives et tranchées, ainsi que ses efficiences en matière de changement et de développement, en font l’une des propensions fondamentales de l’institution politique. Le comportement politique moderne a une modalité essentielle : l’instigation ou l’évitement de lois. Ceux qui veulent apporter des changements structurels et durables ont très souvent recours à la législation.

L’advenue juridique de la conception laïque de l’école (l’intention de statuer sur les signes religieux) n’a donc rien de choquant en soi. Ce qui paraît toutefois difficile à concevoir clairement ce sont les menaces précises sur l’ordre laïc à l’école. Quels dangers présideraient, en fait, à cette levée des boucliers juridique ? Sont-ce les dangereuses tolérances entre vie privée et espace public qui se trouvent rétablies par le port de signes religieux ? Est-ce l’adhésion plus précoce à des valeurs métaphysiques pouvant empêcher tout apprentissage de connaissances scientifiques et méthodologiques nécessaires (consubstantielles du développement mental, affectif et social des élèves) ? S’agit-il de la perte du contrôle institutionnel (rôle invoqué des professeurs et des proviseurs) sur la conduite des élèves ?

Vie privée-espace public  :

Avant tout, l’école publique est un espace d’apprentissage et d’éducation des masses. Les différences des uns et des autres y seront tenues pour des réalités secondaires, ni régies ni sollicitées par l’ordre scolaire.

En matière de différence, l’ordre laïc contrôle l’école sous un mode structuraliste (priorité des formes sur les substances). L’organisation scolaire aurait plus pour objet la relation entre les différences culturelles et identitaires que ces différences elles-mêmes. Vous êtes ce que vous êtes, faites seulement en sorte que les autres aussi jouissent du même droit d’être ce qu’ils sont. L’école se tient à l’écart de vos différences, elle veille seulement sur la relation entre elles et empêche ainsi le choc de leurs expressions conquérantes.

Sur le thème des signes religieux néanmoins, l’on assiste toutefois à un déplacement de « l’objet laïc » ! Ce n’est plus la relation entre les différences respectives des élèves qu’on cherche à gérer, ce sont désormais les substances mêmes de ces différences qu’on appelle à reconstituer !. Ce qui semble en cause dans le débat sur le voile- puisqu’il est à l’origine des controverses- ce n’est pas tant sa relation aux autres signes religieux -ou à leur absence- que le sens intrinsèque qu’on lui confère. Là, ce sont les contenus mêmes des identités qu’on cherche à contrôler et pas simplement leurs formes. L’ordre laïc abdique de la sorte son structuralisme (dont se prévaut l’école publique) et revendique une posture idéologique injectant le droit jusqu’aux substances même des diverses identités. Vous ne pouvez pas être ce que vous êtes, faites en sorte de n’être que : des entités apprenantes sans aucune autre substance, qui serait forcément concurrente ! L’école se contredit elle-même : elle cesse de faire apprendre un savoir au-delà des contingences. Vous ne pouvez en fait et en droit pas apprendre, dès lors qu’il vous manque les normes de l’ordre laïc ! Ce n’est pas toute la contradiction, car à y regarder de près, l’ordre laïc n’est là et n’opère que sur des entités différentes : quel sens y aurait-il, sinon, à contrôler des différences qui n’existent pas ! Nivelées, annihilées ou reniées d’emblée. A moins qu’il ait la laïcité innée, un élève saura-t-il respecter des différences jamais perçues. ?! Est-ce à dire que l’on voudrait décréter inexistant, sinon fallacieux le fait identitaire ? Ridicule ! Car cela aura une conséquence inverse et revient à nier la raison d’être même de l’ordre laïc : les différences collectives et individuelles ?!! Ces paradoxes finiront par présenter l’école sous un jour moins républicain qu’elle n’en fut lors des premières apparitions du système laïc ! Ce qui est en soi un scandale !

Les religions empêchent un apprentissage nécessaire :

Publicité
Publicité
Publicité

Adhérer à une foi en autre chose que rien, peut empêcher le processus d’apprentissage ; en ceci qu’elle procède à une organisation binaire du savoir : ce qui est permis de savoir et de se poser comme question et ce qui ne l’est pas. Que prendre et que laisser dans le matériau à apprendre ! Jusqu’où peut-on apprendre ? Le conflit entre savoir et foi se pose d’emblée. Le triomphe d’un terme sur l’autre se présente donc comme équiprobable. Des précautions seraient alors bonnes à prendre pour que savoir il y en ait. L’une des solutions serait de choisir pour champ à ce conflit un autre lieu que l’école. Encore faut-il que ce « déplacement » soit irrévocable. C’est pourquoi un ordre de priorités doit être établi. Des priorités aussi bien logiques qu’institutionnelles. Priorité logique : les notions métaphysiques ne se rendraient accessibles que sur le socle de connaissances physiques et logiques préalables et nécessaires. Priorité institutionnelle : les expressions de foi seraient découragées voire punies pour permettre une primauté du savoir, donc une mise à l’écart du deuxième terme du conflit et partant un déplacement de ce dernier à d’autres sphères que l’enceinte scolaire.

Le hic est que l’hypothèse des priorités est plus fondée institutionnellement que scientifiquement. L’apparition incoercible de notions métaphysiques pose plutôt un impératif d’étude que de méconnaissance. Elle constitue un objet de recherche et non de contrôle. C’est par ce qu’on pose d’emblée la primauté sensorielle qu’on décrète l’impossibilité réelle d’une advenue métaphysique de nos représentations. D’autres part, rien ne prouve le caractère concurrent des explications métaphysiques d’une part et positives expérimentales ou logiques de l’autre. Croire en quelque chose, n’est pas le moment définitif d’une recherche sur un thème ; ceci n’est qu’un moment de cette recherche. Un élève qui se pose des questions sur l’origine du monde et s’accommode d’une explication métaphysique disponible (la création) n’a pas arrêté d’y réfléchir. Rien, absolument rien ne l’empêche de reposer dans son for intérieur cette question. Mieux, tout l’incite à se la poser au regard des conditions d’intelligibilité qu’il découvre et acquiert soit explicitement et de façon consciente, soit de façon moins contrôlée, moins formalisée. Or, un élève d’une confession donnée n’a pas d’autre occasion de reposer cette question que dans l’enceinte de l’école, parmi les explications d’élèves d’autres confessions et les explications scientifiques ou logiques dispensées en classe. Comme chez Kant, la raison nécessite une compagnie. Interdire aux élèves de quelque confession que cela soit cette occasion c’est annihiler en eux toute possibilité d’en douter, mais aussi donner- décidément- à la foi son caractère définitif et concurrent au savoir. Ainsi, par je ne sais quelle ineptie, on ne fait qu’attiser le conflit entre foi et savoir, par là où l’on voulait justement l’éviter !

De l’ordre :

Serait-ce alors la difficulté de l’institution scolaire à contrôler le comportement des apprenants qui « problématise » le port des signes religieux ? Pour en revenir à l’approche « structuraliste » qui consiste au sein de l’école à gérer plutôt les relations entre les différences culturelles, ethniques et religieuses que ces différences elles-mêmes, la menace pressentie aurait trait à l’évolution présumée de ces relations. Les instigateurs d’une loi craignent une évolution conquérante où les élèves se mettent à empiéter les uns sur les droits des autres, à montrer des signes de préférence religieuse et au final d’endoctrinement.

Cette hypothèse n’est ni plus ni mois défendable que d’autres. Seulement faut-il la présenter avec le minimum de vraisemblance et/ou d’intelligibilité. Une fois de plus, faut-il « prouver » ou du moins constater sur plusieurs échantillons que les attitudes religieuses chez les élèves avaient ainsi pris leur forme irrépressible et que le reste du parcours scolaire n’a aucune incidence sur elles. Que ces attitudes n’auront qu’une seule évolution, en l’occurrence une posture opposée aux valeurs de la République. Et qu’à terme, cette opposition n’a d’autre horizon que de rallier le fondamentalisme religieux. Cette association d’hypothèses est elle-même paradoxale. Car, pour passer à la deuxième, il faudra déjà prouver la première. Sinon on n’a plus rien à voir avec la science puisqu’on fera passer les explications désirées pour des explications prouvées par un automatisme quasi compulsif. En clair, il faudra prouver, autrement que par leur casier judiciaire, que les fillettes voilées, exclues en 1993 de leur lycée aient d’abord renoncé aux valeurs de la République et qu’elles aient ensuite rallié les rangs d’une organisation islamiste. Aussi ridicule que cela puisse paraître, ce sont d’incontournables moyens d’accréditer la thèse des irrémédiables effets de ces attitudes religieuses sur le bon fonctionnement de l’école publique. Hélas, cet inéluctable et fondamental travail d’enquête n’a pas -ou alors si peu- été réalisé. Peu de réponses généralisables là-dessus, et le raisonnement demeure plutôt hypothétique. Mais quand on est certain de ses hypothèses !! on ne prend pas la peine de les tester ! C’est comme ça. Sauf que ça, ce n’est rien d’autre que la définition d’un dogme !!

La loi sur la laïcité à l’école revêtira plutôt un caractère préventif, qui n’est pas sans rappeler le nouveau concept de guerre préventive..

Publicité
Publicité
Publicité

Laisser un commentaire

Chargement…

0

La loi anti-voile : un aveuglement collectif

Tous à la manifestation nationale du samedi 14 février