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Propos désordonnés sur ces athées qui croient au diable…

Hanter est le propre des spectres ; on ne s’étonnera donc pas de ce qu’un nouveau spectre semble hanter la bonne conscience d’une certaine gauche – et au delà. Mais alors que l’on connaît des spectres débonnaires et bienveillants, des spectres sympathiques, amicaux, voire porteurs d’avenir, celui-ci se signale par l’insistante odeur de souffre qu’il répand dans son sillage. Odeur prégnante et contagieuse. On se rappelle l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme… qui a vu l’ours qui a mangé le facteur, et qui n’a pas eu peur. Un peu de la gloire du dernier rejaillit sur le premier. Ici, c’est de la fragrance sulfureuse qu’hérite celle ou celui qui connaît une personne dont un ami parle parfois en bien de quelqu’un qui a un jour par inadvertance serré la main à un proche de Tariq Ramadan.

C’est devenu comme un passe-partout pour qui veut dénoncer une initiative politique, une prise de position, un réseau, ou encore une revue, un courant, ou encore un mot d’ordre… ramadanisme, ramadanien, ramadanisante. Il est inutile d’en dire plus. On comprend d’emblée que cette initiative, ce réseau, ce courant, cette revue, ont opté pour ‘le côté obscur de la Force’, se sont compromis dans la complaisance avec ce que l’intégrisme islamiste peut faire de pire. Et ce n’est pas de la part de celles et de ceux qui se sont livrés à la critique de son travail1 que le simple nom de l’intellectuel genevois apparaît ainsi comme une injure ou comme un chiffon rouge. Non. C’est du côté de celles et de ceux qui prennent l’ignorance pour une vertu – ou pour la nécessaire conséquence d’un mépris militant. Ainsi des zélateurs du mauvais livre de Caroline Fourest.

Ce n’est pas sur le travail de Tariq Ramadan que l’on se propose ici de réfléchir quelques instants. C’est sur le sens de sa diabolisation. Car s’il faut appeler les choses par leur nom, ce spectre nouveau est bien le Diable.

Il n’est pas facile, lorsque l’on est athée, de parler du Diable. La question de l’incarnation du Mal soulève des problèmes théoriques qui ne sont pas à notre portée. On se sent bien démuni devant la toute puissance du Malin, lorsque l’idée même de transcendance nous est étrangère. Sans doute faut-il dès lors envisager le ‘cas Ramadan’ avec l’œil de l’ethnologue, et considérer la danse qui se danse autour de lui comme on considérerait quelque autre rite social sans trop s’interroger sur les motifs conscients des actrices et des acteurs de ce rite, mais en s’efforçant d’en dégager la signification propre.

Une telle perspective se révèlerait bien éclairante, mais on est bien obligé de reconnaître qu’elle ne conduirait sans doute à aucune surprise : derrière la ramadanophobie, se cache mal une forme à peine sophistiquée de racisme islamophobe.

Car ‘Ramadan’ est devenu l’image type, le paradigme du musulman. On peut même imaginer qu’il ne mange que de la viande hallal. Jamais le moindre jambon-beurre, même en cachette. On sait qu’il y a deux catégories de musulmans. Ceux qui ne prient pas plus de quatre fois par jour, qui acceptent à l’occasion – par politesse – de boire un verre de vin, et qui n’envisagent pas de se rendre un jour à La Mecque. Ce sont les musulmans modérés. Et il y a les autres. Qui ne sont pas modérés. Qui sont donc islamistes, toujours, intégristes, parfois, terroristes, à l’occasion. Et qui ne voit que Ramadan appartient à la seconde catégorie ?

Il y appartient en fait de la manière la moins républicaine qui soit : de manière ostentatoire. Rien que son nom, tenez ! Ramadan, ça ne s’invente pas ! En voilà un qui doit jeûner toute l’année, pour être plus sûr ! Quant à la fourberie consistant à se faire passer pour Suisse, avec la tête qu’il a, franchement…

Alors, quel meilleur vecteur pour exprimer à quel point on trouve l’Islam aussi détestable qu’exotique ? Il prétend faire passer sa conscience avant la loi, dit-on. Je n’irai pas vérifier si c’est vrai, moi, à qui il est souvent arrivé de lutter contre des lois que ma conscience jugeait inique. Qui ai aidé des sans-papiers à se maintenir sur le pourtant sacro-saint territoire national… Il suffira de noter que rien, si ce n’est, justement, l’idée que la République et l’ensemble de ses règles seraient ‘sacro-saintes’, ne justifierait objectivement qu’on reproche dans l’absolu à qui que ce soit d’en contester tel ou tel aspect. Et j’ignore si Tariq Ramadan le fait. Et je m’en fiche. Car ce que l’on ne reproche pas à l’Abbé Pierre ou à Elie Wiesel (faire passer leur conscience, même religieusement informée, avant toute autre considération), on ne le reprochera à Ramadan que parce que lui, ce n’est pas pareil. Lui, est musulman. Et c’est très grave.

Lorsque l’on ose pas dire (certains l’osent, d’où la précision) que l’islam est un chancre étranger qui mine l’Occident et ses valeurs, on dit en lieu et place que Tariq Ramadan est le Diable. Et les intégristes de la laïcité, les militantes et militants de l’athéisme, ne sont pas les derniers à danser cette nouvelle danse rituelle. Je croyais que les exorcistes étaient toujours confits en dévotion, et voilà des athées qui croient au Diable. Peut-être dans le fond ne sont ils pas si athées que ça. Peut-être sacrifient-ils à de nouvelles divinités : j’ai cité la République, la Laïcité, la Loi, l’Occident, la France… on peut en chercher d’autres. On en trouvera.

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Qu’on m’autorise pour finir un message personnel. Monsieur Ramadan, si vous lisez ce texte : je serais ravi, à l’occasion, de déjeuner avec vous. J’accepterais même de manger hallal pour l’occasion.

 

Cet article a été publié dans le 12ème numéro de la revue Socialisme International (printemps 2005), qui contient également un
entretien exclusif avec Tariq Ramadan et une présentation de l’Appel des
Indigènes de la République par Sadri Khiari. La revue est disponible à la librairie La
Brèche
( 27 rue Taine 75012 Paris tél 01 49 28 52 44/ fax 01 49 28 52 ). Pour vous procurer la revue, vous pouvez également envoyer un mail à [email protected]. L’adresse du site de la revue est www.revue-socialisme.org

 

Notes :

Qu’il soit permis de citer comme texte de référence l’analyse politique de l’œuvre de Ramadan proposée par Sadri Khiari dans ‘Critique Communiste’.

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