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Printemps algérien : le 2e sera-t-il le bon?

Nous sommes encore en hiver mais, depuis que le réchauffement climatique a écourté cette saison en attendant son éviction définitive de la ronde des saisons dans les années à venir, on se sent en plein printemps, pour ne pas dire en été.
Non seulement le temps s’est mis en quatre pour nous précipiter dans la saison de l’optimisme et de la vue de la vie en rose, mais l’Histoire, dans un geste de mansuétude, lui a emboîté le pas pour donner le loisir aux Algériens et Algériennes d’accomplir quelque chose de grand : braver l’interdiction de manifester, surmonter la peur, scander un mot d’ordre unique – « Non au 5e mandat ! » – sans démolir en quelques heures le labeur collectif d’une vie.
Depuis, nous avons la sensation d’avoir été projetés dans un futur glorieux et le pays hume à pleins poumons un air chargé d’un sentiment de fierté et de dignité qui, s’élevant à une haute altitude, neutralise peu à peu les odeurs toxiques exhalées par le cadavre d’un pouvoir en putréfaction.
En 1988, nous avions pris le mois d’octobre pour un mois printanier avant de déchanter en découvrant notre erreur :  on était en automne, saison de cohabitation du clair et de l’obscur, des éclaircies rembrunies par des bourrasques dévastatrices et époque de l’année où on est le plus porté à la mélancolie et à la nostalgie. On voulait la démocratie, on a eu Daech avant la lettre… Erreur de jeunesse payée par des centaines de milliers de morts entre victimes et coupables.
Les révolutions ont en général leurs figures emblématiques, ce qui, dans presque tous les cas, a été regretté par la suite. Dans l’Algérie déboussolée de 1988, c’était Ali Benhadj. Dans l’Algérie déboussolée de 2019, une génération plus tard, c’est Rachid Nekkaz.
Le premier avait comme surgi en un claquement de doigt d’un Orient oublié, un Coran mal compris à la main et la bouche éructant de haine, et le second s’est évadé d’un Occident lointain avec pour tout viatique un portable et une caméra pour sauver un peuple opprimé. Les deux hommes sont rapidement devenus des icônes, traînant derrière eux de longues processions de foules prêtes à les suivre les yeux fermés jusqu’à Médine avec l’un, et la prison d’El-Harrach avec l’autre.
Les traits émaciés, un look famélique d’ascète, le premier promettait à tue-tête la restauration des temps médinois. Présenté comme un « twaychi » (trublion) apatride, le second assure qu’il ne réconciliera pas moins le niqab et la modernité dans une Algérie libérée d’un système crapuleux. Tous deux ont réussi à s’attacher la ferveur inconditionnelle et gouailleuse d’une jeunesse impatiente de sacrer hier Ali Calife, et aujourd’hui Rachid Président.
Le premier printemps algérien a été marqué par la figure tutélaire de Ali Benhadj et s’est vite fracassé, laissant derrière lui des rivières de sang. Le deuxième, qui n’a pas pour l’instant de figure tutélaire même si l’ombre de Rachid Nekkaz plane sur lui, sera-t-il, avec ou sans lui, le bon ?
Il est trop tôt pour le dire car les forces citoyennes qui se sont mises en mouvement pour annuler le 5e mandat sont focalisées sur leur objectif et n’ont encore atteint ni leur apogée ni leur objectif. Mais c’est le lieu de dire qu’il est intolérable et illégal d’utiliser la force publique pour empêcher un candidat à une élection présidentielle, M. Rachid Nekkaz en l’occurrence, d’aller à la rencontre des centaines de milliers de citoyens qui le réclament pour lui accorder ouvertement leur parrainage. Les deux choses ne se sont jamais vues dans la drôle d’histoire électorale du pays où on a toujours compté sur la fraude pour obtenir les résultats voulus.
Il serait naïf de croire que le pouvoir aggloméré autour du 5e mandat et qui a de lourds intérêts à défendre va facilement lâcher prise. Il se comportera comme un clan surarmé assiégé par des foules désarmées en pensant qu’il s’autodéfend naturellement, qu’il défend légitimement ses biens, ses propriétés et sa famille… N’était les réactions et pressions internationales qu’il redoute plus que tout, il n’hésiterait pas à tirer sur les manifestants ni à assassiner ou emprisonner toute personne représentant un danger pour lui. Au-delà des marches et des manifestations scandant des mots d’ordre, il faut commencer à réfléchir à des actions collectives pacifiques pour rendre le pouvoir non opérationnel.
Quoiqu’il en soit, s’il s’avère que ce deuxième printemps n’est pas le bon, nous devrions attendre le troisième, dans trente autres années, tels des astronomes guettant dans le vide sidéral le passage cyclique d’une comète non loin d’un astre mort que plus rien n’illuminera.

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