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M. Fillon père Noël des possédants

François Fillon a emporté la primaire avec près de 65,5% des voix. C’est une nette victoire, mais dans les limites du genre.  Le candidat obtient l’adhésion explicite de 4 à 5% des Français. On notera aussi que la composition sociologique de cet électorat ne reflète pas celle du pays. Professions libérales, cadres supérieurs, inactifs et retraités en constituent l’essentiel. La France qui plébiscite M. Fillon est respectable, mais ce n’est pas elle qui se lève tôt pour gagner un modeste pécule.
La sociologie étriquée de son socle électoral constitue un handicap pour le candidat. L’élection présidentielle est un exercice où l’élargissement de son audience, au deuxième tour, est la clé du succès. Ce ne sera pas facile pour M. Fillon. Il est cocasse, en outre, d’entendre le vainqueur de la primaire faire l’éloge de l’esprit d’entreprise et du travail acharné, alors que son fan club, largement issu du troisième âge, ne respire pas vraiment cette atmosphère.
Plutôt bien pourvue, cette couche sociale ne souffrira pas des restrictions que le candidat entend imposer aux Français. Avec M. Fillon, ce sera une avalanche de cadeaux pour les possédants. Les chefs d’entreprise bénéficieront de la réduction de l’impôt sur les sociétés et de la baisse des cotisations sociales. Les rentiers seront gratifiés d’une réduction de l’impôt sur les revenus du capital. Les gros propriétaires accueilleront la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune avec des transports d’allégresse.
Il y aura des gagnants, mais aussi des perdants. Premiers visés, les fonctionnaires subiront la suppression de 500 000 postes. Comme les médecins de Molière, M. Fillon veut soigner le service public en lui infligeant une saignée. Les fonctionnaires devront travailler 39 heures payées 37 et se résoudre à une diminution de leur pension de retraite. Les agents du service public, c’est clair, ne seront pas à la fête. Mais la cure d’austérité la plus sévère, en réalité, concerne les salariés du secteur privé.
François Fillon ne se contente pas de supprimer les 35 heures. Il jette aux orties la durée légale hebdomadaire du travail. Le temps de travail sera négocié, au sein de chaque entreprise, dans la limite européenne de 48 heures hebdomadaires. En l’absence de législation, la quantité de travail exigée des salariés dépendra de ce rapport de forces. La substitution des accords d’entreprise aux accords de branche ayant pour effet de neutraliser les syndicats, on devine le résultat.
Avec un chômage élevé, les travailleurs du secteur privé ne seront pas en position favorable pour négocier avec les patrons. L’épée de Damoclès de la délocalisation planant au-dessus de leur tête, ils seront contraints d’accepter une régression de leurs conditions de travail et de rémunération. Engagé depuis des décennies, le basculement de la valeur ajoutée du capital vers le travail se poursuivra, avec la bénédiction d’un gouvernement qui pourra se prévaloir du suffrage populaire pour imposer l’austérité.
Le pouvoir d’achat des couches sociales modestes se dégradera aussi sous l’effet de la hausse de la TVA. Substituer la fiscalité indirecte à la fiscalité directe est une vieille recette des politiques de droite. Ce qu’il donne aux actionnaires et aux rentiers, M. Fillon le prélèvera dans le panier des ménages. Pour réduire la dette, il comprime les dépenses publiques. Mais pour compenser les réductions fiscales octroyées aux riches, il taxe la consommation populaire.
Le projet de M. Fillon a le mérite d’annoncer la couleur. Mais a-t-il la moindre chance de réussir ? La baisse des dépenses publiques et la hausse de l’impôt sur la consommation ne peuvent avoir qu’un impact négatif sur l’activité. Pour M. Fillon, peu importe ce choc déflationniste. Il croit dur comme fer aux vertus de la politique de l’offre. Il pense que les bienfaits dont il gratifie les possédants se traduiront en surcroît de richesses pour tous, et que l’accroissement des bénéfices se convertira en créations d’emplois.
Que ce mécanisme vertueux soit surtout une vue de l’esprit le laisse de marbre. Il appartient à cette droite qui ne jure que par la stabilité de l’euro, la dérégulation du marché du travail et le désarmement fiscal unilatéral. Avec ce programme, le candidat adresse un message explicite aux possédants dont il attend un sursaut salutaire au lendemain de l’élection. Simultanément, il donne des gages aux institutions européennes et aux dirigeants allemands, garants sourcilleux de l’orthodoxie budgétaire.
Mais il ne suffit pas d’avoir les voix des Français aisés et la bénédiction de la chancelière Angela Merkel pour gagner l’élection présidentielle. Hormis une poignée de masochistes, on ne voit pas ce qui poussera les ouvriers, les employés, les chômeurs, les fonctionnaires et les petits retraités à voter pour M. Fillon. Bien que ces catégories sociales représentent la majorité du corps électoral, le candidat semble déterminé à ignorer leurs aspirations.
Il va capitaliser au premier tour l’adhésion des couches aisées et d’une partie des classes moyennes, sensibles au discours sur l’effort et la rigueur. Mais il devra combattre sur plusieurs fronts à la fois. Face à François Bayrou et Emmanuel Macron, il lui faudra convaincre l’électorat qu’il est le mieux placé pour incarner la France des propriétaires. Ce faisant, il subira le tir croisé des candidats qui entendent exprimer, dans des styles différents, une colère populaire grandissante.
Pour le porte-parole de la « France insoumise », la brutalité du programme de M. Fillon fournira un ersatz, tout aussi mobilisateur, de ce qu’aurait été une candidature de Nicolas Sarkozy. Face à une famille conservatrice soudée autour de son candidat de choc, le camp progressiste se sentira ragaillardi. Enterrée un peu trop vite, la lutte des classes va revenir à l’ordre du jour. La lutte politique recentrée sur ses véritables enjeux, le candidat des insoumis pourra galvaniser les énergies de ce qui reste de forces vives et progressistes dans le pays.
La candidate du FN, de son côté, dénoncera ce souverainiste repenti, ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy, qui assume la forfaiture sur le TCE. Cet argumentaire sera complété par un tir de barrage contre un programme qui lèse les intérêts des classes populaires. Comme d’habitude, les ténors du FN vont se partager la tâche, les uns usant d’une rhétorique sociale à laquelle le parti d’extrême-droite s’est rallié depuis sa refondation, les autres pointant la duplicité d’un candidat qui clame son amour de la France mais immole sa souveraineté sur l’autel du mondialisme.
En exhumant l’ADN de la droite libérale orléaniste, François Fillon s’expose à une volée de bois vert. Son projet consiste, en réalité, à faire passer pour des réformes courageuses un vaste transfert de richesse vers les classes favorisées. Il peut se qualifier pour le second tour, mais le rassemblement nécessaire à la victoire finale n’est pas acquis. Il va traîner comme un boulet le libéralisme éculé de son programme et l’exiguïté de sa base sociale. Sur le plan politique comme sur le plan économique, M. Fillon risque de faire les frais de ses mauvais calculs.

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