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L’oeuvre dar al islam

L’éloquence de la métaphore organique du hadith selon lequel la souffrance d’un membre de l’Oumma se répercute toujours de proche en proche dans la totalité du corps de la communauté est une nouvelle fois tristement rendue manifeste par la chronique. Qui de nous arguera de sa bonne foi dans les débats à venir que la racine de la tradition est saine et qu’il convient d’éviter de confondre « l’islam » et « les musulmans », se verra entendre dire, à tort ou à raison, que c’est à ses fruits que l’on reconnaît l’arbre et que l’on ne saurait tenir grief à l’honnête homme de fixer la valeur d’un message spirituel à l’aune du comportement de ses dépositaires.

Interne à l’humain une force dissipe notre propension à l’inhumain : le souvenir du Nom Suprême nous détourne du souvenir de l’hostilité des hommes ; le rappel de l’Absolu nous prémunit contre notre disposition à entretenir malgré nous le cycle de la violence sociale. Le modèle mohammadien se donne à penser comme modèle de réconciliation universelle. Corollaire : en Islam (selon la formule du sociologue Macluhan « the medium is the message ») le messager est le message.

Il s’agit donc d’exhumer le sens de notre vulnérabilité essentielle afin de ressaisir l’être du message là où notre empathie est empâtée faute de savoir extraire la pépite de l’hébétude de nos petites habitudes. La pensée qui panse ment sur la plaie vive de son irréductible insuffisance ; ne ressent jamais la vigueur du Souffle divin, inspirateur du seul élan susceptible de la porter au firmament de son originalité. (1)

La tradition soufie nous invite à compulser cette force d’élévation dans l’architectonique des Noms divins, contenant, chacun d’eux, le principe de la plus grande énergie disponible. La sagesse acquise, procédant à la mise en ordre subtile de ces noms (ou qualités), édifie, dans l’espace de nos représentations spirituelles, le possible au gré duquel le chemin le plus court entre la souffrance et la délivrance se signale toujours en contrepoint de notre expérience immédiate. (2)

Ce chemin (charia) nous livre ainsi la clef du mouvement adéquat. Nous disposant aux parages de ce domaine insituable du réel où s’opère le nouage de la grâce et de la détermination, le Souffle divin nous restitue à nous-mêmes dans la vibration originaire des ses plus beaux Noms. Le mouvement de la pensée entraîne celui de l’expérience – car la pensée ne pouvant rien à elle seule – c’est l’être (en sa totalité) dont elle a suscité la conversion qui se retrouve convoqué pour résister à l’oppression.

Autrement dit c’est en découvrant notre esprit – cette part de nous-mêmes qui n’est pas de ce monde – que nous opérons en ce monde « les mouvements de l’infini » exportant notre violence en son domaine propre de conjuration. C’est en découvrant cette réalité immatérielle éployée dans l’entièreté de notre organisme – et centrée sur le cœur – que nous trouvons dans l’expérience religieuse une invitation au dialogue ; et dans l’expérience de la rencontre avec l’autre, une invitation au renoncement à la haine et au mépris.

La Servitude encapsule le point nodal où la volonté humaine s’harmonise à la volonté divine (tawfiq) ; le centre à partir duquel rayonne la force à l’octroi de laquelle l’homme parvient à désarmer son inhumanité ; à faire largesse à ceux qui le privent, accueil à ceux qui le rejettent, et don de son amour à ceux qui le haïssent.

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Que l’antidote à la violence réside dans la vertu du dialogue, l’actualité nous en donne chaque jour la démonstration. Il n’est pas d’aberration commise au nom de la vérité qui ne soit directement imputable à un déficit de maîtrise. Le dialogue est probablement un art difficile ; mais c’est en renouant la chaîne de cette tradition artistique que les hommes trouveront la voie de la réconciliation universelle. La crise du monde actuel est une crise sans précédent du dialogue et de la communication, qui porte en elle, à n’en pas douter, les germes du déclin de notre civilisation.

Tout se passe comme si l’économie des échanges humains de notre temps était marquée par le primat de l’impulsion sur l’inspiration. Il nous faut donc reconnaître, dans l’exemple du fondateur de l’Islam, le potentiel axiologique de la médiation. Médiateur entre Dieu et l’humanité, comment ne le serait-il pas entre les hommes et les cultures ? Une lecture attentive de la Sira laisse clairement entrevoir – aux antipodes de la lecture stéréotypée de l’idéologie dominante – que le Prophète de l’Islam n’a jamais tant initié les cycles de la violence qu’il s’est toujours efforcé de les clore.

Ainsi est-ce son dialogue permanent avec l’Absolu qui lui permit de vaincre l’oppression, puis d’ouvrir, avec l’humanité, le dialogue le plus fertile de l’histoire. Ceux de « la génération de la joie » (asr al-sa’ada) qui eurent en premier le privilège de s’engager dans l’ouverture prophétique, furent, en ce sens, d’authentiques artistes ; ainsi nous reviendrait-il à leur suite – en ce monde passablement enlaidi par la démesure – d’embellir notre citoyenneté de l’œuvre dar al islam.

NOTES 

1 L’hébétude renvoie au sentiment de perte dans l’intuition du Divin ; à la stupeur (ilah) générée par la prise de conscience de la transcendance et omnipotence radicales de Dieu. Le Souffle divin est la force ou « résolution spirituelle » (himma) – ambition de L’atteindre – que le saint (waly) transmet à son patient. Et ce Souffle nous portera toujours d’autant mieux qu’on aura au préalable fait l’effort de nous délester de nos prétentions, « connaissances » et autres « acquis » intellectuels ; nous portera toujours d’autant mieux qu’on aura d’abord pris conscience du fait que notre pensée ne saurait à elle seule assurer le transport de l’âme et que ce sont la baraka et l’instruction des héritiers qui reconduisent idéalement la pensée vers sa terre natale : la conscience intime du Divin.

2 Les noms sont imprimés en l’homme (‘allama Adam al-asma) et constituent ainsi la part innée de la connaissance. Mais ces noms sont généralement en désordre ; leur mise en ordre procède de la sagesse acquise dans le cadre de l’initiation, suite au rattachement à la tradition – suite au rattachement à l’ordre précisément, lequel est le véhicule de la hikma prophétique. Ainsi l’architecture des noms est-elle parfaite et sublime (iswatou hassana) dans l’exempla prophétique. La représentation spirituelle est l’imago muhammadi ; en investissant son espace imaginal, l’imago muhammadi délivre le sujet des causes de sa souffrance.

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