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L’Islam, l’écorce du cœur

Chroniques d’un croyant (perplexe)

Le fiqh (jurisprudence), qui n’est qu’un ensemble de règles cultuelles et sociales, va donc harmoniser la pratique religieuse de l’aspirant-croyant. A l’aube de la communauté musulmane et ce jusqu’à l’époque de Hassan al Basri, la pratique religieuse se caractérise par un corpus sommaire tout en étant intimement rattachée à la spiritualité, c’est-à-dire à la quête de la transformation personnelle par la morale religieuse.

A cette époque, les actes de l’orant sont simples, limpides et sans aucune sophistication. Par la suite, l’empire de la civilisation musulmane va amener ce savoir à s’enrichir d’abord, pour ensuite s’édifier sous la forme d’un corpus savant, que feront naître les maîtres d’école juridique, pour enfin, obérer quelques siècles plus tard, l’élan spirituel et aboutir à ce que nous vivons aujourd’hui : une casuistique malsaine alimentant à la fois, la bonne conscience et la mauvaise foi. 

Le fiqh qui était un moyen pour permettre à la spiritualité d’émerger du cœur de l’homme, finira par assécher l’esprit et devenir une fin en soi. Dès lors, peu importe que tu mentes entre deux prières canoniques puisque seules comptent tes gestes et ton corps malignement soumis ; en réalité, il s’agit davantage aujourd’hui d’un fiqh social fait pour être vu, connu et reconnu en société. Beaucoup de nos mosquées sont enfermées, comme une prison sans fenêtres et donc, inaccessibles à la lumière, dans ce fiqh social générant une pratique cultuelle de la bonne conscience.

Qui, parmi nous, homme ou femme des mosquées, n’a-t-il pas entendu cet inlassable discours de l’imam, répété sans plus vraiment y croire, juste pour occuper le temps des « fidèles », sur les gestes à faire pour l’ablution et la prière, et comment les refaire en cas d’impureté subite ou d’erreur ? La perspective des musulmans en France se limite à ce mimétisme qui ne changera rien et surtout pas les âmes et la pensée. 

Il ne peut y avoir d’esprit aspirant à agir spirituellement sur le réel sans un corps et de cela, tout le monde peut en convenir. La spiritualité a besoin du fiqh et ce dernier sert la spiritualité. Néanmoins, souvenons-nous que la révolution spirituelle de l’imam al Ghazali a été essentiellement de rappeler que les règles cultuelles sont un moyen pour servir l’homme-éthique et l’aider à retrouver son être lumineux et métaphysique ; son petit ouvrage « bidayatou al hidaya-le début de la guidance », est un modèle en la matière.

Or, les mosquées voient la spiritualité comme suspecte, la réduisant à des pratiques douteuses faites de chants et du culte des saints. La vocation céleste de l’homme a été perdue par nos institutions religieuses et celles-ci ne cherchent qu’à améliorer leurs relations publiques avec les médias et le politique. Si nos mosquées reprenaient la démarche Ghazalienne consistant à réinscrire les pratiques cultuelles comme le moyen d’atteindre à la transformation spirituelle qui est en réalité le destin de l’homme terrestre, une bonne part de nos difficultés relatives à notre régression morale trouverait une issue heureuse. 

L’imam al Ghazali affirma que le cosmos vivant contient en son germe le monde spirituel, ce qui signifie qu’au tréfonds de la réalité terrestre le potentiel spirituel est présent et ne demande qu’à s’exprimer. De là, il est important de saisir que les cinq piliers de l’Islam doivent être intériorisés afin que l’esprit qui les porte se réalise. Malheureusement, pour ce qui concerne la prière (a’salat), deuxième pilier fondamental de l’Islam, sa signification profonde a été perdue par beaucoup d’entre nous.

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Elle n’est pas en réalité cette fâcheuse routine que l’on répète sans plus trop savoir pourquoi ou pour qui, et qui ne nous change pas, alors même que le Coran affirme que « la prière est une barrière à la turpitude et au mal ». Mais alors nous redemandera-t-on, qu’elle est la vocation intime et profonde de la prière ? Le grand père d’Averroès dans son ouvrage consacré à la prière rappelle un de ses sens étymologiques ; il explique notamment, que l’expression « salaytou l’oud » était utilisée par les bédouins du désert pour évoquer l’action de passer un bout de bois à travers le feu afin qu’il se redresse par l’effet de la chaleur.

La prière serait donc cette action qui permet à l’homme de se redresser, t’atteindre à la droiture malgré ses multiples tribulations. Le Prophète résuma l’action de la prière en une formule devenue célèbre en terre islamique : « la prière est la voie ascensionnelle du croyant – al sala’ mi’raj al mou’mine ». L’élévation signifie dans la Tradition mohammadienne ce perpétuel dépassement de soi, une transformation personnelle permanente, par une déprise de soi et un combat moral de chaque instant dirigé contre l’ego instigateur de tous les maux.

Cette spiritualisation est facile à dire et à écrire mais terriblement difficile à exercer. Toute une théologie de la prière intériorisée émergera avec une technique d’introspection spirituelle efficace. Il est évident que de nos jours l’aspect transformant de la « prière-en-acte » tend à disparaître. Pourquoi ? Redisons tout d’abord, que l’homme est dans le monde quand bien même il chercherait à s’en déprendre. De plus la modernité, qui n’est que le parti pris du rationalisme contre l’intuition spirituelle, corrode l’âme spirituelle en la rattachant à l’infrahumain.

Or, force est de constater que la majorité des musulmans est façonnée par la modernité et intègre à sa progression religieuse une part importante des principes nocifs de la modernité sans jamais vraiment le savoir. La « prière-en-acte », différente de la « prière-robotique », aboutit nécessairement à un regard-sur-soi lucide permettant à l’aspirant-croyant de découvrir ses manquements éthique (un cœur corruptible) et métaphysique (une mauvaise connaissance de Dieu). 

Ce regard lucide est ce qui permet « au-désirant-Dieu » d’aller jusqu’à Lui. La prière c’est d’abord se rappeler (dhikr) ou se ressouvenir de La Présence. Or, une société moderne qui se fonde sur l’absence du divin ne peut que générer l’oubli (nisyane) ou la négligence (ghafla). La distraction et le divertissement généralisés n’ont pas une autre fonction que celle-ci : laisser l’infrahumain s’exprimer davantage. Iqbal rappelait que la prière surgissant 5 fois par jour était un formidable moyen d’inverser cette mécanique infernale de nos occupations multiples de nos journées rythmées par notre quête du bien-être matériel. Mais malheureusement, avec notre quotidien toujours plus contraint en termes de temps, et pour s’en convaincre il n’y a qu’à observer nos pathétiques tentatives de prier à l’heure 5 fois par jour à New-York, Paris, Londres ou toute autre ville du monde, il paraît presque insurmontable de rompre avec la mécanique de l’oubli. 

Le Prophète avait annoncé que la prière disparaîtra dans sa dimension intérieure et ne restera alors, que des hommes ayant un cœur de loup en prière. L’heure morale est grave ; nous pratiquons une prière de l’absence plutôt qu’une prière de la Présence. A la vérité, notre esprit est halluciné par la vertigineuse quête des biens matériels et du divertissement.

Ceux qui résistent à l’état-écumeux du monde (zamane al ghoutha) portés par la vague de l’infrahumain et qui tentent de créer des poches de résistance morales, sont ces ouvriers de la 11ème heure, c’est-à-dire une heure avant minuit, juste avant que le cycle de l’humanité ne cesse. La Tradition affirme que l’action de ces ouvriers spirituels vaudra soixante-dix fois celle des premiers saints. L’âge sombre étend son emprise sur toutes les traditions. Michel Henry, grand philosophe chrétien de la deuxième moitié du 20ème siècle se demandait déjà s’il y avait encore des hommes pour sauver le monde ? 

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