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Les vrais « sifflés » du stade de France

Une fois passée la « ferveur patriotique » déclenchée par les sifflets qui ont accompagné la Marseillaise au stade de France à l’occasion du match amical opposant les formations française et tunisienne, et une fois la polémique qui s’en est suivie estompée, il est plus sain de décortiquer certains messages que la valse des « indignés » de tout bord a empêché de voir ! Après le peu de scrupule et le manque de cohérence médiatiques et politiques, il faut, nous semble-t-il, un temps pour la rigueur et la véracité de l’analyse scientifique. Même si le sifflement de l’hymne national est un acte des plus « stupides », aucune société au monde, surtout celle qui se veut moderne et responsable, ne peut et ne doit opposer à la stupidité des actes, celle des analyses, et à l’irresponsabilité des actions, celle des réactions, ou encore à l’outrage à un symbole, l’outrage à d’autres symboles.

Une question de méthode

Les évènements survenus au stade de France seraient, comme le veut « l’analyse institutionnelle », des symptômes d’autres phénomènes plus graves. Il est primordial de fonder notre analyse sur des schémas plus cohérents et moins aléatoires, et ce à condition de ne pas tomber dans les travers d’une explication unique et simpliste (« la stupidité » dans le cas actuel), passant outre une complexité nécessaire à l’explication et à la compréhension.

Loin de prêter une quelconque qualification d’intelligence aux sifflements, il est tout autant inacceptable de considérer tous les siffleurs comme de « petits voyous » qui doivent quitter le stade et pourquoi pas la France. Mieux connaître les responsables (siffleurs) revient à mieux identifier les destinataires (sifflés) et par conséquent déchiffrer les messages (sifflets) qui leur sont adressés.

Mais, après avoir retenu les hypothèses de l’insouciance de jeunes venant faire la fête, l’émulation entre des populations d’origine maghrébine (« qui fait mieux dans la provocation »), le suivisme irréfléchi occasionné par l’inévitable effet de foule, ou encore le déficit d’éducation d’un certain nombre de jeunes en proie à de vrais problèmes de mal être, ne faut-il pas voir aussi dans ces évènements des enseignements qui échappent au psychodrame qu’on a voulu assigner aux sifflements d’une rencontre sans enjeux ? Pour cela, oublions un moment « les sifflets » et attardons-nous un peu sur « les sifflés » ! La marseillaise n’étant qu’un simple paravent, qui sont vraiment les personnes ou encore les symboles visés par les sifflets « les moins stupides » du stade de France ?

Une affiliation revisitée

A l’annonce de la composition des deux équipes, les joueurs de l’équipe de France ont été hués à l’exception d’un seul joueur : Franck Ribéry. S’est-on demandé pourquoi ce joueur a été épargné par les sifflets. C’est simplement parce que pour des milliers de jeunes, il représente tout ce qui est beau et séduisant dans ce pays : une France décomplexée, entreprenante, qui réussit même au-delà de ses propres frontières, chaleureuse, et qui plus est, ouverte sur l’autre, allant même jusqu’à épouser (au sens propre comme au sens figuré) certaines de ses particularités. A l’opposé, le joueur qui a été le plus sifflé est incontestablement le franco-tunisien Hatem Ben Arfa. Tout simplement parce qu’il représente aux yeux de milliers de siffleurs (à tort ou à raison) ce qu’ils détestent le plus : le renoncement, l’effacement, l’abandon. Jouer contre son pays d’origine est pour ces siffleurs un acte de déloyauté qui ne l’est pas lorsque l’adversaire de l’équipe de France est autre que le pays des ancêtres.

Le traitement réservé à Ribéry et Ben Arfa n’est pas l’expression d’une désaffiliation comme le laissent entendre les commentaires catastrophés d’une certaine élite médiatique et politique, mais plutôt d’« une affiliation revisitée » des jeunes dits issus de l’immigration. L’adhésion à une France conçue comme une addition (la France de Ribéry) et non comme une soustraction (la France de Ben Arfa) des valeurs communes et des valeurs particulières.

Une France qui lorsqu’il s’agit du Maghreb, de l’Afrique et à un moindre degré la Méditerranée, a suivi le chemin inverse de la tolérance et de l’ouverte dont elle a fait preuve vis-à-vis de l’Europe et de l’Amérique ! Paradoxalement, certains siffleurs ont sifflé l’altération, par ceux qui sont censés les défendre et appliquer, de deux symboles clés de la république : égalité et fraternité. En ce sens, ils sont plus attachés à une copie originale de la République et non à une version manipulée et truquée. Fort heureusement, les vrais « sifflés » du stade de France ne sont pas les symboles mais plutôt ceux qui les instrumentalisent et dénaturent !

Ces jeunes qui expriment une réelle désaffection vis-à-vis de leurs dirigeants, et à défaut de savoir manier la langue de bois, savent manier les sifflets. Il y a des sifflets qui sont plus éloquents que des mots !

Sifflets contre la manipulation

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L’autre grand « sifflé » du stade de France est le président français Nicolas Sarkozy. Pour avoir assisté à la rencontre France-Tunisie, j’ai pu mesurer comme beaucoup d’autres la côte de popularité du président pour une partie de ses concitoyens. En prenant le risque de stigmatiser une catégorie de français pour des raisons électoralistes (racailles, nettoyage au Karcher, mouton dans la baignoire, etc.) et en mettant l’accent sur une certaine lecture sélective de la République et de « l’identité nationale », Nicolas Sarkozy avait installé une confusion dangereuse dans l’esprit de milliers de jeunes : la France rime, à leurs yeux, avec stigmatisation, discrimination et exclusion.

En sifflant l’hymne national, une partie des jeunes présents au stade de France en veulent toujours à celui qui n’est pas devenu le président de tous les Français en dépit de mesures fortes destinées à effacer les effets dévastateurs de la campagne présidentielle de 2007 (comme la nomination de ministres issus de la diversité). Des déçus et des frustrés de la France qui ont sifflé avant tout une forme de « sarkollaise » expression de la confusion entre le président et une image de la France qu’ils rejettent.

Or, cette image a été sciemment entretenue par des ministres et des parlementaires remontés contre « des siffleurs » invétérés ! Inspirés par leur candidat devenu président, ils ont fait dans la surenchère verbale et rivalisé d’insultes grossières à l’encontre de ceux qui ont été traités il n’y a pas si longtemps de « racailles », et qui sont rangés aujourd’hui dans la catégorie des « imbéciles », « voyous », « petits merdeux », et des « dégueulasse ».

Ces accusations témoignent d’un manque de retenue de la part des responsables politiques qui n’arrivent pas à se contrôler à chaque fois qu’ils ont à traiter avec ces « redoutables jeunes issus de l’immigration » ! De « petits merdeux » ou de « petits sauvageons » selon qu’on est de droite ou de gauche, considérés comme des citoyens de second plan à qui on a toujours réservé ce qu’il y a de pire dans la République : chômage, précarité, quartiers difficiles, établissements scolaires déficients, manipulation de l’opinion à l’occasion des grands rendez-vous électoraux, propos les plus dégradants ! Et dire que les dirigeants français s’étonnent de l’ingratitude de cette population qui doit tout à la République.

Les incidents qui ont entaché un match placé pourtant sous le signe de l’amitié, ainsi que le déchaînement d’une classe politique étrangement à l’unisson dans l’indignation et dans le mépris réservés aux « siffleurs », traduisent le déficit de communication et de pédagogie dont font preuve les responsables français et non pas du refus d’intégration de jeunes appelés constamment à « faire leur valise pour réintégrer le pays de leurs origines » (cf. les propos de Lionel Luca, député UMP des Alpes Maritimes).

Pour une appartenance décomplexée

Enfin un dernier « sifflé » qui nous renseigne sur la complexité d’un évènement sportif devenu « le surlendemain » une affaire d’Etat. Il s’agit de l’entraîneur tricolore Raymond Domenech qui a eu incontestablement la part du lion des sifflets du stade de France avant le début du match et à l’annonce des formations des deux équipes. Les siffleurs n’ont pas exprimé cette fois-ci un mal être ou une quelconque revendication sociale ou identitaire, ils se sont exprimés comme 70% des Français qui souhaitent le départ d’un entraîneur décevant par son apathie et ses choix tactiques.

En sifflant Domenech, les siffleurs l’ont fait par amour pour leur équipe nationale, dont ils exigent performance et assiduité. C’est leur côté français qui a réagi et émergé pendant le sifflement de l’entraîneur national dont personne ne veut à l’exception du Conseil fédéral. En ce sens, leurs sifflements se sont mêlés aux sifflements de supporters tricolores présents dans le stade. Cette opposition sportive entre le pays des origines et le pays de naissance ou d’accueil, a révélé au grand jour une autre opposition culturelle chez une catégorie de Français qui vit un réel déchirement identitaire entre deux appartenances qui s’affrontent au lieu de se compléter, qui se neutralisent au lieu de se renforcer.

Le discours des responsables politiques ne fait qu’attiser « un conflit identitaire » de beaucoup de jeunes qui ne veulent pas et ne peuvent pas se débarrasser d’une culture, d’une couleur, ou d’un prénom pour avoir accès à une citoyenneté à part entière. Ces responsables politiques de tout bord qui ne cachent plus leur admiration au candidat démocrate américain Barack Obama et son parcours exceptionnel, feraient bien de s’inspirer de ce qui a fait la force de ce dernier : sa capacité à réconcilier deux mondes, à mobiliser deux registres, à changer sans renoncer, à décomplexer la double appartenance.

La France des banlieues, de l’immigration, de la diversité ira mieux et constituera une vraie force pour l’ensemble du pays, le jour où les responsables politiques apprendront à lui parler avec humilité, reconnaissance et respect. Le match France-Tunisie aura servi ainsi de catalyseur, et les « sifflets stupides » tant décriés se transformeront en sifflets de l’espoir.

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