Après l’offensive fulgurante déclenchée le 27 novembre dernier par la rébellion armée, le régime tyrannique de Bachar Al Assad, abandonné par ses protecteurs russe et iranien et par son armée, a été balayé. Le dictateur a fui en Russie.
La rébellion syrienne, avec à sa tête Hay’at Tahrir Al cham, contrôle désormais la majeure partie du pays. Le principal objectif de la révolution syrienne, à savoir le renversement du régime de Bachar Al Assad, a été atteint.
Mais l’instauration d’un Etat de droit, dans lequel tous les Syriens seront égaux devant la loi, est encore loin d’être acquise et dépend de la manière avec laquelle les vainqueurs vont relever les nombreux défis, internes et externes, auxquels ils vont être confrontés.
Les défis internes de la Syrie
A l’intérieur, la révolution syrienne va devoir faire face à de nombreux défis dont les principaux sont les suivants :
- Le maintien de l’ordre public. Le principal chef de la rébellion armée, Ahmed Al Charaa (plus connu sous le pseudonyme de Abou Mohammed Al Joulani) a, dès son entrée à Damas, déployé des forces de sécurité en vue d’assurer la protection des personnes et des biens. Les premiers témoignages émanant des habitants des villes libérées n’ont pas fait état d’exactions ni de dépassements semblables à ceux qui ont été signalés dans le cadre de la prise de contrôle d’Idlib par les insurgés en 2014.
- La continuité des services publics. Le chef des rebelles a également annoncé que l’ancien premier ministre continuera à diriger les institutions jusqu’à la passation des pouvoirs à une nouvelle instance exécutive issue de la révolution et a ordonné à ses troupes de ne pas s’approcher des bâtiments publics.
La rébellion semble avoir compris que la continuité des services publics est un facteur essentiel pour la préservation de la stabilité surtout dans la perspective du retour de plusieurs centaines de réfugiés en provenance de Turquie.
- L’instauration d’une autorité exécutive transitoire. Si pour des raisons fonctionnelles, les rebelles se sont résignés à reconduire les ministères et les institutions de l’ancien régime, ils seront dans l’obligation dans les prochains jours d’instaurer une nouvelle autorité exécutive pour diriger la période transitoire.
La coalition de l’opposition à l’étranger vient d’appeler à une période transitoire de 18 mois, en vue de préparer l’adoption d’une nouvelle Constitution qui sera suivie de l’organisation d’élections libres. Cette question sera des plus délicates.
La coalition de l’opposition syrienne à l’étranger est un véritable panier de crabes.
En son sein, on trouve des opposants de la première heure et des transfuges de l’ancien régime dont l’opportunisme ne fait aucun doute. Pire, certains membres de la coalition sont des agents patentés de puissances étrangères. Si l’instance exécutive transitoire devrait être la plus représentative possible, les rapports de forces sur le terrain devraient permettre aux révolutionnaires de garder la main sur le processus de changement en cours.
- Le parachèvement de la libération de la Syrie et la restauration de l’unité territoriale. A côté de la gestion politique et administrative de la période transitoire, les révolutionnaires seront confrontés à la question du parachèvement de la libération du territoire, notamment au nord-est du pays où les miliciens kurdes, avec le soutien de l’armée américaine, continuent de contrôler une large bande du territoire, sans parler des poches qui sont toujours sous le contrôle des djihadistes de l’ »Etat islamique ».
Si le futur Etat syrien devrait garantir la protection des droits de toutes les composantes ethniques et confessionnelles de la Syrie, les révolutionnaires n’accepteront aucune tentative de fragmentation et de partition du pays.
- La reconstruction de la Syrie. Treize années de guerre ont laissé le pays en ruines. La reconstruction de la Syrie et la réunion des conditions pour le retour des millions de réfugiés seront au centre du programme du nouvel Etat syrien. Le processus de reconstruction pourrait démarrer sans attendre la fin de la période transitoire.
L’enjeu de la reconstruction, qui conditionne pour partie le retour de la stabilité interne, dépend malheureusement du degré d’engagement des futurs bailleurs de fonds internationaux et dépasse donc les limites de la politique intérieure syrienne.
Les défis externes de la Syrie
1.La reconnaissance internationale de la nouvelle Autorité et la levée de l’embargo international. La nouvelle Syrie libre n’aura aucune chance de s’en sortir sans la reconnaissance par la communauté internationale de la nouvelle réalité politique issue de la révolution qui devrait être suivie de la levée de l’embargo international imposé à la Syrie.
Au lendemain de la chute du régime de Bachar Al Assad, les Etats-Unis et leurs alliés ont manifesté leur approbation mais attendent les prochains développements sur le terrain pour donner leur évaluation finale. Les anciens soutiens du régime (Russie, Iran) se sont résignés à la nouvelle réalité et tendent la main aux représentants de l’opposition syrienne.
Il faut savoir que toutes ces puissances internationales et régionales auraient souhaité un autre vainqueur à Damas que Hay’at Tahrir Al Cham, cette dernière étant toujours classée « organisation terroriste » et la tête de son chef est toujours mise à prix à 10 millions de dollars.
Mais les intérêts stratégiques étant ce qu’ils sont, ces puissances sont en train de réviser leur copie. De hauts responsables américains et britanniques ont déclaré que leurs pays respectifs étudiaient l’éventualité de la levée d’interdiction sur l’organisation Hay’at Tharir Al Cham. Si tout se passe comme prévu, l’autorité exécutive transitoire n’aura pas d’autre choix que d’épouser les contours de la nouvelle réalité sociopolitique issue de la révolution.
- La gestion de l’alliance stratégique avec la Turquie. L’offensive militaire des rebelles syriens qui a fini par balayer le régime de Bachar Al Assad n’aurait jamais été possible sans l’aval et le soutien de la Turquie. La nouvelle Syrie libre ne pourra se protéger et se reconstruire sans le soutien du voisin turc.
C’est dire que la préservation de cette alliance stratégique sera importante et sensible puisqu’il s’agira également de contrebalancer cette alliance par d’autres partenariats régionaux et internationaux pour éviter de tomber dans un statut de vassal que les Syriens attachés à leur indépendance et à leur souveraineté n’accepteront jamais.
Si la libération des territoires au nord-est contrôlés par les milices kurdes et le désarmement de ces derniers ne pourraient que mettre d’accord Syriens et Turcs, une fois cette tâche achevée, la présence militaire turque au nord de la Syrie n’aura plus aucune justification.
- L’inclusion complexe de la nouvelle Syrie dans l’ordre régional. Débarrassée de l’ingérence iranienne, la nouvelle Syrie aura à gérer les relations avec les pays arabes voisins, à commencer par le voisin irakien qui pourrait utiliser la carte des groupes djihadistes qui contrôlent encore des poches dans le nord est de la Syrie pour intervenir soit directement soit via ses milices chiites.
Les bonnes relations existantes entre l’Irak et la Turquie pourraient servir à atténuer les différends entre Damas et Bagdad mais c’est surtout la lutte commune contre le terrorisme des groupes djihadistes qui sera déterminante dans l’établissement d’une relation plus apaisée entre deux pays voisins qui seront appelés à trouver d’autres motifs de rapprochement que la géographie religieuse qui les oppose désormais.
Ne serait-ce que pour éviter d’être sous la coupe de la Turquie, la nouvelle Syrie aura à cœur à diversifier ses partenariats régionaux. Le Qatar continuera à être le seul pays du Golfe sur lequel la Syrie pourra compter puisqu’il a été le seul à soutenir politiquement, diplomatiquement et financièrement les révolutionnaires syriens.
Mais si les autres monarchies du Golfe ont fait le mauvais choix de parier sur le régime de Bachar Al Assad jusqu’au début de ce mois, elles se sont vite ravisées et ont pris acte de la nouvelle donne.
Si les Emirats continuent à comploter contre la révolution syrienne en pointant du doigt le danger « terroriste », l’Arabie saoudite vient d’exprimer son soutien à la Syrie et a mis en garde contre toute atteinte à son unité. Une position qui sera sans doute reprise par les autres pays du Golfe et du monde arabe.
- La nouvelle Syrie face aux pressions occidentales. Les puissances occidentales qui feignent de saluer la chute du régime de Bachar Al Assad font preuve d’une grande hypocrisie. En effet, si elles ont tenté de prendre en marche le train de la révolution syrienne de 2011 en instrumentalisant plusieurs groupes armés, à commencer par leur cheval de Troie constitué par l’ASL (armée syrienne libre), les puissances occidentales se sont ravisées dès 2015 et se sont contentées de laisser pourrir la situation en Syrie avec tout ce que cela suppose comme conséquences humanitaires désastreuses.
Indifférents aux massacres et aux souffrances indicibles des populations civiles, les Occidentaux n’ont pas hésité à donner un sursis au régime sanguinaire de Bachar Al Assad, dès lors qu’il s’est tenu à une lâche neutralité face à la guerre génocidaire menée par l’armée israélienne à Gaza.
Maintenant que le régime baathiste est tombé, les Occidentaux redécouvrent le lucratif fonds de commerce des droits humains et des droits des minorités en Syrie !
L’agitation de l’épouvantail des violations des droits humains relève avant tout d’une opération à caractère stratégique. Dans leur sordide chantage à la violation des droits des minorités, les capitales occidentales ne seront pas seules. Elles seront en bonne compagnie aux côtés du régime de Poutine et des ayatollahs iraniens connus pour leur légendaire respect des droits des minorités !
Mais l’instrumentalisation de la question des droits humains et des droits des minorités par des puissances étrangères, soucieuses avant tout de la défense de leurs intérêts stratégiques, ne signifie pas que cette question n’est pas à l’ordre du jour.
Les risques d’une dérive autoritaire, qui sont inhérents à tout processus révolutionnaire, sont réels pour des raisons historiques objectives.
D’abord, il n’est pas facile d’instaurer de nouvelles traditions démocratiques dans une société laminée par un régime dictatorial qui a duré plus de cinq décennies. Ensuite, il faut considérer le fait que la composante la plus puissante au sein de la révolution, Hay’at Tahrir Al Cham, sera amenée à résister aux démons du salafisme radical qui lui collent à la peau depuis sa naissance.
La préservation des droits fondamentaux de tous les citoyens syriens par-delà leur différences ethniques et confessionnelles et l’avancée vers l’instauration d’un Etat de droit en Syrie ne sont pas seulement des impératifs politiques conditionnant la paix civile.
Elles sont aussi des exigences à caractère diplomatique qui permettront à l’Etat syrien en cours de refondation de faire face aux nombreuses ingérences internationales auxquelles il sera nécessairement confronté.
- Le chantage à la normalisation avec Israël. La nouvelle Syrie ne pourra pas échapper aux pressions occidentales visant à la pousser vers une normalisation avec l’Etat d’Israël. Les provocations de ce dernier vont se multiplier contre la Syrie comme l’illustrent déjà les derniers raids qui ont visé les arsenaux chimiques et balistiques dans la banlieue de Damas pour éviter qu’ils tombent entre les mains des révolutionnaires syriens.
En attendant de se remettre sur pieds, la nouvelle Syrie n’a aucun intérêt à tomber dans les provocations israéliennes. Les révolutionnaires syriens ont réaffirmé leur volonté de coexister pacifiquement avec tous les pays voisins.
Si des acteurs internes, au demeurant minoritaires, comme les mercenaires de l’ASL, cherchent à gagner les faveurs des puissances occidentales en promettant la normalisation avec l’Etat d’Israël, il n’est pas dit que le nouvel Etat syrien qui sera issu d’une élection libre se laisse enfermer dans pareille perspective.
Dans la pire des hypothèses, si la préservation de l’intégrité de la Syrie devait passer par ce triste scénario, la normalisation en question ressemblerait plus au modèle de l’Egypte c’est-à-dire à une sorte de paix froide avec l’Etat d’Israël plutôt qu’à une normalisation du type de celle qui est à l’œuvre dans les cas du Makhzen marocain et de l’Etat artificiel des Emirats, deux entités fonctionnelles au service de la domination étrangère dans la région.
En tout état de cause, l’heure est au parachèvement de la libération du pays, à l’instauration d’une autorité exécutive transitoire consensuelle, capable de préparer des élections libres donnant lieu à de nouvelles institutions légitimes, à la consolidation du front intérieur et à la reconstruction du pays pour qu’il retrouve son statut éminent dans l’ordre régional et international.
Un statut qui soit digne du berceau de la civilisation omeyyade et de la renaissance arabe moderne.
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