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Les commentaires du mois de ramadan : une sourate méconnue, la Fatiha (celle qui ouvre)

La sourate al Fatiha est la preuve du miracle du Coran. En effet, c’est celle que l’on récite (au moins) dix-sept fois par jour sans jamais se lasser de la réciter alors que l’homme se lasse vite d’une chose qu’il répète.

Cette sourate a un pouvoir quasi magique, nous le montrerons plus loin. Cependant, une des difficultés à répéter la même formule est le risque de ne plus être apte à la saisir en laissant la routine prendre le dessus sur nos âmes.

Il y a un préalable à reconnaître lorsque nous lisons la Parole de Dieu. Tous les maîtres du Coran affirment qu’il faut devenir un « être capable de Dieu », c’est-à-dire qu’il est nécessaire de se préparer à se rendre disponible pour accueillir Sa Parole. C’est ce que demande le Coran à « ceux qui croient » dans la sourate le tonnerre (C.13, 28-29) : « Ceux qui croient, et dont leur cœur se rassure au Rappel de Dieu – Et de quoi d’autre, que du Rappel de Dieu, le cœur a-t-il besoin pour se rassurer » ?

Ce verset établit de manière claire cette nécessité de se mettre à la disposition de Dieu, par le cœur, centre de la vie intérieure de l’homme et siège de la connaissance essentielle, pour espérer devenir cet « être capable de Dieu ».

Pour illustrer ce qui vient d’être dit, prenons l’exemple du grand Omar ibn al Khattab. Le Calife avait l’habitude de soigner certaines souffrances en récitant la sourate al Fatiha. Après sa mort plus personne dans son entourage ne pouvait le refaire. L’on avait demandé à l’un de ses compagnons de guérir un malade de la même manière en récitant la sourate al Fatiha, mais cela n’a pas fonctionné, celui-ci aurait dit alors : « la Fatiha, reste la Fatiha et elle restera toujours parmi nous, mais Omar, lui, n’est plus ». C’est la preuve qu’un réceptacle intérieurement purifié est très important. C’est pourquoi le ta’lim (l’apprentissage) et la tazkiya (l’épurement de l’âme) sont indissociables dans la lecture (avoir une oreille), la compréhension (avoir un cœur) et l’assimilation du Coran (devenir un témoin) : « Ceci est un rappel pour celui qui a un cœur, qui prête l’oreille et témoigne » (C.50, 36).

Des millions de pages de commentaires ont été écrites pour puiser les sens de la sourate al Fatiha, et encore aujourd’hui, à juste titre, on lui cherche du sens. Il est impossible d’avoir tout lu sur les innombrables compréhensions qu’elle a suscitées depuis sa révélation. Néanmoins, dans les commentaires passés (médiévaux) comme contemporains il y a beaucoup de redites. Dans les savoirs islamiques c’est un fait, nos savants se répètent beaucoup ; on peut ainsi aisément ramener l’ensemble de ces compréhensions à l’essentiel, tout en reconnaissant qu’aucune compréhension n’épuisera le Coran.

On peut déjà dire, sur la forme de la sourate à partir de nos sources, qu’elle se divise bien en deux parties. Le premier segment consacre l’exaltation de la transcendance de Dieu (versets 2 à 4) et la seconde partie est dédiée au croyant et à ses multiples demandes (verset 6 à 7). La sourate compte sept versets et, comme dans toutes les sourates, il faut être attentif au verset médian (ici, le 5ième). Cette sourate prépare et installe un dialogue personnel entre Dieu et le croyant. Or, comme dans tout dialogue avec le divin, il y a un préalable : on loue d’abord Celui à qui l’on va demander des bienfaits.

Ce que nous souhaitons dans cette synthèse de commentaires, c’est de donner au public musulman francophone, un accès à des significations qui ont été soit méconnues soit oubliées. Le monde moderne étant totalement désacralisé considère l’univers et ce qu’il contient comme autonome, alors qu’une société traditionnelle équilibrée affirme, quant à elle, que cet univers est relié à son Principe divin ; c’est ce qui distingue un musulman traditionnel d’un musulman construit par la modernité, le second pratique un rite mais à une idée vague de ce lien entre l’univers et son Principe divin. Le musulman moderne croit en un Dieu lointain, flou et coupé de l’univers mais il prie comme on lui a appris à prier et en ce sens, il est plus musulman que croyant.

La sourate al Fatiha, à l’heure de la post-vérité, doit être relue pour déconstruire cette perception agnostique de Dieu qui nourrit le musulman désacralisé et pour redonner à ce dernier, l’intellectualité véritable qu’offre le Coran et qui s’oppose frontalement au rationalisme dégénératif et prométhéen.

Sur la forme donc, nous disions que la sourate est divisée en deux parties bien distinctes, ce que confirme une tradition prophétique, et elle fait partie des rares sourates ayant été révélées d’une seule traite. Le verset intermédiaire (barzakh), « c’est Toi que nous adorons et c’est Toi que nous implorons pour notre secours » est ce moment où, après avoir exalté la Transcendance de Dieu, nous pouvons Lui demander Ses grâces. Ici, l’adoration ne signifie pas seulement le culte ou le rite, c’est une adoration-connaissance ; qui connaît adore et qui adore connaît. Il faut que le croyant connaisse Celui qu’il prie : le Dieu-Seigneur (rûbûbya), le Dieu-Miséricordieux (rahmaniya) et le Dieu-Roi (malakûte). La transfiguration personnelle ne peut se faire que grâce à la réalisation de ce que nos théologiens nomment la « ‘abdiya ». La « ‘abdiya » est cet état de dévotion, qui nécessite de faire par choix le vœu de servir.

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Sans cet état de dévotion, nous ne pourrons passer du monde de la prière avec la langue à la prière pleine et consciente. Il n’est pas si étrange que nos demandes soient si rarement exaucées alors qu’elles l’étaient si souvent chez les compagnons sans que ces derniers n’en abusent ou qu’ils en fassent un privilège pour attraper des personnes crédules comme c’est légion de nos jours ; il y a beaucoup de religieux mais très peu « d’hommes ou de femmes du Seigneur » (rabbaniyoune).

La basmallah du premier verset nous appelle à focaliser notre être tout entier sur Dieu. « La prière, a dit le Prophète (ç), nécessite une réelle et grande concentration ». On sait que le grand Ali en a donné une signification profonde en rappelant que toute la sourate se concentre sur le point de la lettre « bâ ». Difficile de savoir ce qu’il voulait réellement signifier, la science des lettres n’étant plus enseignée, mais on peut déjà dire que la forme de la lettre « bâ » /(بــ) schématise une descente puis une liaison allant se rattacher par la droite (par le bien) à la lettre qui suit. Tout est dit : « la révélation descend pour relier l’homme à son Principe divin et le relier par le bien à un monde sacralisé ».

Par ailleurs, Fakhr-al-dine Al Razi, s’était posé la question de savoir pourquoi dans cette prière nous disons « al-hamdou li llah » (louanges à Dieu) plutôt que « al-hamda li llah » dans le deuxième verset ? Selon notre savant, si nous disons « al hamdou li llah » c’est parce que nous affirmons une vérité qui nous transcende, c’est Dieu Lui-même qui se loue ; autrement dit, nous ne sommes qu’un réceptacle qui fait écho à cette vérité.

Car, rappelle Al Razi, si nous avions reçu le verset selon la formule « al hamda li llah » nous aurions été astreints à être complétement véridiques au moment de réciter cette prière sinon nous aurions été considérés comme des menteurs, rendant ainsi notre prière vaine car considérée comme un mensonge. Or il est très difficile de dire cette louange en toute vérité et pleinement conscient. Ainsi, le fait de dire « al hamdou li llah » est l’expression d’une miséricorde divine car c’est accepter que le croyant puisse dire cette formule tout en étant parfois distrait durant sa prière ; le croyant n’est que le lieu de passage d’une vérité que vient d’ailleurs.

Qu’il soit présent ou non à lui-même durant cette prière, l’univers entier reconnaît que Dieu est digne de louange. Même si je ne comprends pas pleinement ce que je dis ou que je suis distrait pendant que je prie, Dieu ne comptera pas cela comme un mensonge. La miséricorde de Dieu se retrouve dans le choix même des mots du Coran.

Enfin, pour clore ce rapide regard autour de notre sourate, nos commentateurs ont cherché à comprendre pourquoi celui qui prie et qui est censé déjà être sur « le chemin droit » (sirate al moustaqim) demande-t-il malgré tout que Dieu le guide sur « ce chemin droit » ? Le fait de le demander est pour le croyant l’expression d’une humilité intérieure : je ne suis pas sur le chemin droit grâce à mes seuls efforts mais grâce à la bonté de Dieu. L’homme met une limite à son propre pouvoir en reconnaissant qu’il y a un pouvoir plus grand encore.

La sourate al Fatiha n’a pas encore révélé tous ses secrets mais elle permet à chacun de la redécouvrir selon son état du cœur. C’est elle qui nous ouvre tout un univers coranique, mais aussi et surtout tout un monde intérieur et ce, afin de nous prémunir de nos maux et prévenir le monde du chaos humain.

Car n’oublions pas, qu’il ne faut pas réenchanter le monde comme l’affirme la « pensée ignorante » occidentale, et le répètent bêtement certains musulmans prométhéens, mais il faut avant tout le resacraliser en le reliant au Principe divin. La pensée coranique habite notre avenir et la sourate al Fatiha en est la clef.

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