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L’enseignement spirituel du Prophète (partie 3)

MODELE ET MEDIATEUR

La sixième partie fait état des qualités de modèle et de médiateur du Prophète. Sa place se limite-t-elle à l’appel des croyants ou intervient-il directement dans leur cheminement ?

Le Prophète est le premier appelé à suivre la voie de Dieu. Suivre la voie du Prophète c’est suivre la voie de Dieu. Dès lors, obéir au Prophète, c’est obéir à Dieu. Cet engagement dans cette voie implique un discernement intérieur qui relève de la grâce divine. Elle rend possible l’obéissance, puis l’adoration, la gratitude et l’amour dans l’imitation du Prophète. Aimer Dieu implique nécessairement d’aimer le Prophète1.

Suivre le Prophète, c’est l’imiter extérieurement (ce qu’enseigne la Sunna) et intérieurement (ce qu’enseigne le Coran, au moyen de l’invocation abondante, l’espérance et la pure adoration). Le Coran affirme l’identité du modèle abrahamique et muhammadien. Le beau modèle de Muhammad est le prolongement du beau modèle dans Abraham. Le Coran inscrit ce double modèle dans la voie qui mène à Dieu.

Côtoyer le Prophète c’était ressentir l’effet d’une présence divine dont il était chargé. Le Coran institue une vénération du Prophète, condition sine qua none de la foi et point de distinction de la croyance. Le comportement à son égard est imprégné de respect et de déférence2. On remarque la tension entre simplicité de sa condition humaine et la sacralité de son être en tant qu’élu de Dieu.

L’INTERCESSEUR

La septième partie aborde le rôle d’intercesseur du Prophète à qui Dieu enjoint de demander pardon pour les croyants. En plus de sa fonction de transmission, d’assistance, il prépare les hommes à la rencontre de Dieu dans l’Au-delà. Il est le garant de la miséricorde et de la réconciliation de Dieu avec ses serviteurs.

Il est investi d’une fonction de témoin (shâhid) envers les croyants dans ce monde comme dans l’autre. Mais il est aussi objet de témoignage (shahîd). Il s’inscrit dans le prolongement d’une longue lignée de témoins prophétiques chargés de veiller sur leurs propres communautés. Il est également auxiliaire de Dieu sur ce plan, chargé de ce principe divin car Dieu est le témoin absolu, « témoin de toute chose ».

Une autre qualité du Prophète, exercée par délégation divine, est la miséricorde qui s’opère par retour de Dieu vers les hommes et retour des hommes vers Dieu, à l’image de la sourate al-Tawba. Il est « miséricorde » pour les croyants3 qu’atteste la qualité « al-Rahîm », du Dieu miséricordieux qui dispense sa miséricorde spécifique aux croyants (al-ra’ûf al-rahim).

Mais le Prophète est un « avertisseur pour les mondes »4  donc pour l’humanité dans son ensemble : « Dis : ô hommes, je suis l’envoyé de Dieu »5. Ce qui ne signifie pas que tous les hommes reconnaitront la mission du Prophète6.

La huitième partie se penche sur le statut d’Élu de Dieu du Prophète. Par le terme « ‘abd », qui signifie à la fois « serviteur », « adorateur » et « esclave », le Coran affirme sa totale dépendance à Dieu, dépourvu qu’il est de liberté propre, n’agissant que ordre de son Maître. En même temps, le « dépouillement de toute individualité » fait de lui un modèle pour l’humanité. Serviteur donc, et élu de Dieu à la fois.

La Révélation faite au Prophète est un pur don de l’esprit qui « procède de l’ordre de Son Seigneur »7. Il y a un -équilibre entre petitesse de sa condition humaine et immensité de la grâce divine, grâce accordée comme condition attachée à la Révélation8 et rendue possible par le « caractère magnifique » du Prophète9. « Son caractère est le Coran » rapporte Aicha dans un hadith.

La proximité du Prophète avec les croyants est également affirmée comme présent au plus près « de leurs propres âmes »10. L’injonction divine appelant les croyants à prier sur lui introduit le fidèle en présence de Dieu, des anges et du Prophète « dans un temps rituel au-delà du temps ordinaire »11. Le Prophète se place dans ce sens dans la continuité d’Abraham, et se voit prolonger son héritage de « religion immuable d’Abraham »12. Faire acte d’islam, c’est s’en remettre entièrement à Dieu, selon le modèle d’Abraham.

Le Coran insiste sur la nature humaine du Prophète, au même titre que les autres prophètes, comme pour lever toute ambiguïté entre le divin et l’humain. De la même façon , Jésus se nomme « serviteur de Dieu »13. « Du fait de sa conception, est aussi Parole et Esprit de Dieu »14. Muhammad quant à lui est clairement identifié à la lumière divine telle qu’annoncée aux autres prophètes qui l’ont précédé ce qui fait dire à la Révélation s’adressant aux Gens du Livre : «  vous est venu de la part de Dieu une lumière »15. C’est une « lumière de guidance » qui fait « sortir des ténèbres vers la lumière »16.

Ceci participe à l’avènement de la doctrine de la lumière muhammadienne, « réalité lumineuse » telle que puisée dans les versets de la Lumière17 et les premières exégèses. Cela participe à définir sa réalité principielle, comme venue avant tous les Prophètes18.

La nature et la réalité du Prophète a donc été fait l’objet de maints questionnements. Et ce d’autant plus que des versets l’assimile à la « vérité » (al-haqq)19. Cette ambiguïté désigne l’autorité divine investie20 et renvoie à la présence divine elle-même qui vivifie les cœurs21.

L’épisode du pacte de Hudaybiya est instructif puisqu’il énonce le pacte noué avec le Prophète mais aussi, de façon théurgique, avec Dieu, « la main de Dieu est sur leur main »22 et le savoir divin pénètre les cœurs23. Un état béatifique est communiqué à ses adeptes.

L’ELU DE DIEU

La neuvième partie examine la relation entre le Prophète et la Révélation. Le Coran souligne qu’il « vient de vous » ou de « vous-même » comme pour rappeler sa stricte nature humaine et son adéquation aux destinataires du message. S’il ne « reçoit que l’ordre d’adorer, de s’en remettre à Dieu, de réciter et d’être avertisseur »24, le Prophète s’identifie au Coran, comme si le lire revenait à le suivre (talâ, yatlû).

Le Coran évoque par endroits l’épreuve endurée par le Prophète pendant la Révélation : c’est une « parole lourde » pour la « poitrine » (sadr)25, pour la mémorisation, la récitation mais qui est en même temps facilité dans ce sens26. Le Coran et le Prophète sont tous deux investis de la mission d’annonce et avertissement 27. L’un et l’autre sont des rappels (dhikr). L’un et l’autre sont la vérité28.

Contrairement aux autres prophètes, Muhammad n’est pas en situation de dialogue avec Dieu. L’énonciation ne va que dans un sens : tantôt par l’interpellation (« Ô ! »), l’injonction (« Dis … »), le soutien29, l’interrogation30, la consolation qui instaure une familiarité voire une intimité sans précédent entre un humain et Dieu qui va jusqu’à faire serment sur la « vie » du Prophète31. « Qu’il s’agisse d’évènements majeurs ou d’éléments mineurs, le Coran actualise par touches successives la présence du Prophète. Il inscrit sa mémoire dans la continuité de celle des prophètes dont il refonde l’histoire sacrée que parachève celle du Prophète »32.

1 Coran : 3, 31-31

2 Coran : 24, 62-63

3 Coran : 9, 61

4 Coran : 25, 1

5 Coran : 7, 158

6 Coran : 4, 79

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7 Coran : 17, 85

8 Coran : 4, 113

9 Coran : 68, 1-4

10 Coran : 33,6

11 Gril, D. Le Serviteur de Dieu, Paris : Cerf, 2022, p 59

12 Coran : 6, 161

13 Coran : 19, 30

14 Coran : 4, 171

15 Coran : 5, 15

16 Coran : 57, 9

17 Coran : 24, 35

18 Coran : 2, 252 ; 4, 163

19 Coran : 3, 86

20 Coran : 8, 20-21

21 Coran : 8, 24 ; 9, 61

22 Coran : 48, 8

23 Coran : 48,18

24 Coran : 27, 91-92

25 Coran : 73,5

26 Coran : 54, 17

27 Coran : 41, 3-4 ; 36, 69-70

28 Coran : 47, 2

29 Coran : 33, 37

30 Par exemple : « As-tu vu/n’as tu pas vu/ t’est elle parvenue l’histoire de …? ».

31 Coran : 15, 72

32 Gril, D. Le Serviteur de Dieu, Paris : Cerf, 2022, p 74

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