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L’enseignement spirituel du Prophète (partie 2)

LA FORMATION D’UN PROPHETE

Dans une seconde partie, l’auteur examine la relation entre le Coran et le Prophète. Celle-ci est semblable au lien qui unit un maitre à son disciple dans une sorte « d’école de la Révélation »1. Un maitre bienveillant et intransigeant qui « lui ordonne et lui interdit ; l’admoneste, le conseille, le console »2. Dans le sillage du Prophète, toute l’humanité est appelée à suivre la Révélation et à l’appliquer dans une sorte « d’adoration perpétuelle »3. Patience et endurance, « qualité fondamentale des prophètes »4 sont une voie qui mène à Dieu. De même, est-il engagé, au même titre que les autres prophètes avant lui, et les croyants après lui, à se confier totalement à Dieu et de remettre en lui la conduite ultime de ses œuvres.

Le Prophète est appelé à pratiquer ce que la tradition a baptisé « les vertus bonnes et généreuses » (makârîm al-akhlâq). Bonnes et mauvaises actions ne sont pas égales. La première chassant la seconde. Y compris face à ses opposants ou ses Compagnons. C’est l’accomplissement de la Sagesse coranique, condition préalable à la réussite de sa mission, qui se trouve synthétisée dans ce verset : « Fais preuve de mansuétude, ordonne le bien et détourne toi des ignorants »5.

Malgré l’engagement sans faille requis pour mener sa mission à bien, le Prophète n’est pas épargné par le doute. « Ne sois pas de ceux qui sont pris de doute » (al-mumtarin)6. Le message est adressé par-delà sa personne, à tous les humains ici concernés. D’où un va-et-vient entre les mises en garde, les ordres et les interdits adressés tantôt au « tu », désignant le Prophète, tantôt au « vous » se rapportant à l’ensemble des hommes. Il se trouve ainsi que la « pratique des vertus comme la générosité doit rester mesurée sans rivaliser vainement avec les qualités divines. L’humilité reste toujours la qualité par excellence du serviteur »7.

Pour que s’accomplisse le cycle de la Prophétie, Muhammad est appelé à se dépouiller de tout ce à quoi il aspire. Il lui est ainsi refusé le don de pouvoirs miraculeux contrairement à ses prédécesseurs. Le Coran assure cette fonction de signe miraculeux que le croyant est appelé à méditer (signes de la création). Ce refus le ramène à sa condition d’homme simple, élu pour transmettre le message, « devant s’effacer pour être pris en charge par son Seigneur »8. Devant les défis lancés par ses opposants, il lui est rappelé que la révélation est une grâce qui ne requiert aucun prodige surhumain. « Il doit rester un homme envoyé à des hommes »9. Dieu est celui qui entend et sait tout. Il est celui qui, face à ses adversaires, « se porte garant de la véridicité du Prophète. Le Coran ne lui attribue aucun miracle. Tout est don divin et miséricorde » 10.

Sa mission se révèle par endroits impossible à mener : « comment appeler à Dieu des hommes qui persistent dans l’incrédulité ? Comment admettre que les hommes courent à leur perte alors qu’il leur apporte le salut ? »11. Intervient donc la pédagogie divine qui fait admettre au Prophète la distinction entre le commandement de Dieu et Sa sagesse. Au souhait de se voir doté de pouvoir miraculeux pour convaincre les incrédules, Dieu lui répond qu’Il est le seul à pouvoir guider »12. « Avertir les hommes est une chose, les amener à croire en est une autre »13. Cette réalité est difficile à admettre pour le Prophète à qui Dieu fait comprendre que tous les hommes ne sont pas prédisposés à entendre, à admettre et à comprendre le message14. Si l’annonce d’un châtiment terrible ne change rien aux incrédules, « le Prophète ne peut qu’accepter ce qui est comme la mort ou l’infirmité15.

« Formé par le Coran », le Prophète est astreint à quelques convenances comme ne pas hâter la Révélation et ne pas appeler à tout prix les hommes. Le Coran reproche au Prophète de s’être « renfrogné », mécontent qu’un de ses humbles compagnons viennent le solliciter, alors qu’il essaie de gagner un riche Qurayshite à sa cause. Le Prophète est repris par la Révélation qui lui rappelle qu’à Dieu appartiennent la richesse et le pouvoir de guider les hommes. La voie à emprunter par le Prophète est ainsi celle de la « servitude, de la pauvreté et du dépouillement. C’est alors qu’à travers son regard, celui de Dieu se portera sur ses humbles Compagnons »16.

« Commandé, dirigé, amendé, exhorté, dépouillé, effacé même »17, le Prophète est un apprenti en formation, sur la voie de la perfection intérieure de serviteur de Dieu et qui, en dépit de son élection, reste un simple homme.

LES MISSIONS DU PROPHETE

La troisième partie traite de la mission du Prophète que le Coran présente comme un avertisseur (nadhîr) faisant face à ceux qui s’obstinent à nier la véracité de sa mission « je ne suis qu’un annonciateur de bonne nouvelle (bashîr) »18. Cette double qualité s’inscrit dans une vision duelle du devenir de l’homme dont rend compte le discours coranique : entre ses responsabilités Ici-bas et son sort dans l’Au-delà renforcés par les avertissements et annonces. On voit bien comment le Prophète se voit confier les rôles « d’interprète de la justice et de la miséricorde divine » et « d’organe de la Parole de Dieu »19.

Deux termes qualifient le Prophète et font ressortir deux fonctions distinctes : celle de la prophétie consiste à « recevoir » le message divin tandis que celle de l’Envoyé renvoie à la mission de le transmettre. Il s’agit de restituer la Parole qui lui est « descendue » sur son cœur20 amplifié par l’usage de l’impératif « dis ! » qui introduit certaines sourates ou encore « récite ! » de la première révélation (« iqra ! »).

Le Prophète assure de même la fonction de médiateur entre l’Énonciateur du message et ses destinataires. Il se voit placé dans une position « d’interface entre Dieu et les hommes »21. Lorsque ses contemporains l’interrogent au sujet de l’Heure, il lui est enjoint de répondre « sa science est auprès de mon Seigneur. Lui Seul la manifestera en son temps »22. Cette fonction de médiation s’accorde avec celle de l’explicitation car bien qu’étant un livre clair (bayân) doté de versets éclairants (mubîn), le Prophète est chargé de l’expliciter23. Une explicitation dans le sens de la clarification du sens mais aussi dans « l’exemplarité conforme à la Révélation ». L’explicitation prophétique prolonge la transmission.

On retrouve de même une double médiation de l’Ange et du Messager auprès des hommes. Le Prophète se voit cependant chargé d’une fonction complémentaire. Appeler les hommes à suivre une voie vers leur Seigneur. Le Prophète s’exécute avec la permission de Dieu. Le message ainsi transmis s’opère « au nom et en vue de Dieu » dans les conditions de la Transcendance de Dieu qui Seul assure la descente de cet appel (la Révélation), auquel les hommes répondent en suivant la voie vers le Très-Haut. Nulle garantie que les hommes y adhèrent. Nul ne peut les contraindre, pas même le Prophète. La voie leur est offerte directement par Dieu, libre à eux de la refuser.

« La Révélation est appel et rappel. Le Coran se nomme lui-même dhikr : souvenir, mention, invocation, rappel et remémoration »24. Le Prophète est chargé de conserver le souvenir des récits prophétiques contre l’oubli des hommes et de rappeler à ses contemporains leur devenir25. En plus de la simple transmission, le Prophète est chargé de réciter la Parole révélée qui transforme intérieurement les auditeurs et leur enseigne la lettre, l’espoir et la mise en pratique de ce que le Coran nomme « la sagesse » (al-hikma)26.

REVELATION ET AUTORITE

La quatrième partie s’intéresse à l’autorité du Prophète et souligne que sa mission fait l’objet d’attaques, et que dans ce contexte, Dieu annonce le secours apporté à son Prophète et la défense de son autorité.

Une partie du discours coranique consiste donc à répondre aux accusations lancées contre le Prophète. La négation de ses accusations fait ainsi écho à la négation de toute autre divinité tel que proclamé par la profession de foi musulmane : « Pas de dieu si ce n’est Dieu et Muhammad est l’Envoyé de Dieu ». Ce qui explique la façon positive d’affirmer la foi et l’obéissance ainsi que leur traduction en actes. : « Croyez en Dieu et son Envoyé, et dépensez ce dont il vous a confié la lieutenance »27.

La foi en la Révélation et en la mission du Prophète implique en outre l’obéissance aux commandements de la Révélation. Le « bienfait divin » à venir est l’effet même de cette obéissance à Dieu et à son Envoyé. L’autorité du Prophète vient de celle de Dieu, toutes deux se confondent « obéissez à Dieu et à son Envoyé » est-il enjoint à « ceux qui croient »28. L’analyse sémantique de ce verset suggère que l’obéissance à l’un implique l’obéissance à l’autre29. Cette source unique de l’autorité, émanant de Dieu seul, dépossède, dans un certain sens, le Prophète d’une autorité propre, au même titre que le pouvoir de guider les gens. « Dieu l’investit d’un côté et le destitue de l’autre pour la perfection de sa servitude »30. D’autres passages font clairement la distinction entre autorité de Dieu et autorité du Prophète31. Il s’agit là de la réaffirmation du rôle de transmetteur d’autorité que joue le Prophète en direction de ses successeurs, « ceux qui détiennent l’autorité » (ûlu al-amr) qu’il s’agisse des savants ou des chefs de la communauté32.

La contrainte est cependant de mise lorsque le Prophète a affaire à ceux qui ne reconnaissent pas son autorité. Si le Coran ne le présente pas comme un prophète combattant, à l’image de David33, la fonction qu’il exerce est comparable. L’ordre de combattre est d’abord donné au Prophète dans un sens de l’opposition ou de la discussion plutôt que de la lutte armée : « Livre-leur au moyen du Coran un grand combat » (jihadan kabiran)34. Il convient de souligner que jusqu’à la fin de la période médinoise, « le jihad garde un sens général, de combat, sans recours nécessaire aux armes »35 ce dont rend compte la mémoire traditionnelle du vécu prophétique qui n’atteste d’aucun combat « extérieur » contre les hypocrites alors qu’il est appelé à mener un combat dur à leur encontre (jâhid wa-ghluz ‘alayhim)36.

La forme guerrière du combat est une réponse radicale à l’opposition féroce de son peuple et des tribus d’Arabie, comme si, dans le contexte de l’époque, « l’épée avait plus de force que la Parole »37. D’où l’évocation répétée du récit de Moïse opposé aux magiciens de Pharaon. L’effet recherché est ainsi de confirmer l’authenticité de l’inspiration divine. Lorsque le Prophète est accusé d’emprunter des « mythes des Anciens », le Coran « réplique par l’affirmation de son caractère révélé, procédant du mystère divin »38. S’opposer au Prophète, c’est s’assurer une fin funeste et confirmer l’autorité divine dont il est investi.

1 Gril, D. Le Serviteur de Dieu, Paris : Cerf, 2022. p 26

2 Ibid. p. 26

3 Ibid. p. 28

4 Ibid. p. 29

5 Coran : 7,199

6 Coran : 10- 94-85

7 Coran : 17, 36-38

8 Coran : 17, 86-96

9 Gril, D. Le Serviteur de Dieu, Paris : Cerf, 2022, p. 33

10 Ibid.

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11 Ibid. p. 34

12 Ibid.

13 Gril, D. Le Serviteur de Dieu, Paris : Cerf, 2022, p. 34

14 Coran :2, 6-7

15 Gril, D. Le Serviteur de Dieu, Paris : Cerf, 2022, p 34

16 Ibid. p 36

17 Ibid.

18 Coran : 7, 188

19 Gril, D. Le Serviteur de Dieu, Paris : Cerf, 2022, p 37

20 Gril, D. Le Serviteur de Dieu, Paris : Cerf, 2022, p 38

21 Ibid p 39

22 Coran : 7-87 ; 79-42

23 Coran : 16, 44

24 Gril, D. Le Serviteur de Dieu, Paris : Cerf, 2022, p 40

25 Ibid. p 40

26 Coran : 2-151

27 Coran : 57, 7

28 Coran : 8, 20-21

29 Gril, D. Le Serviteur de Dieu, Paris : Cerf, 2022, p 43

30 Coran : 4-80

31 Coran : 5, 92 ; 24, 54 ; 64, 12

32 Coran : 4, 59

33 Coran : 2, 251 ; 38, 26

34 Coran : 25, 51-52

35 Gril, D. Le Serviteur de Dieu, Paris : Cerf, 2022, p 45

36 Coran : 9, 73 : 66, 9

37 Gril, D. Le Serviteur de Dieu, Paris : Cerf, 2022, p 45

38 Ibid. p. 46

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