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Alain Chouet : « Il existe sur le territoire français 1514 quartiers de non-droit interdits d’accès aux forces de sécurité »

Interview réalisée par Saïd Branine et Ian Hamel

Ancien chef du service de renseignement de sécurité de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), Alain Chouet vient de publier « Sept pas vers l’enfer », ouvrage dans lequel il dépeint une société française profondément malade du séparatisme et de la violence fondamentaliste.

« Quarante années d’aveuglement, d’ignorance, de lâcheté et de “bien-pensance“ ont progressivement conduit la France aux limites de la rupture du pacte républicain », écrit-il (*). La France compterait 1514 quartiers de non-droit, interdits d’accès aux forces de sécurité, aux services des secours, aux services médicaux et sociaux. 1514 quartiers établis sur 859 communes, et regroupant 4 millions d’habitants, soit 6% de la population de l’Hexagone.

A la question posée par Oumma sur la ghettoïsation, ce spécialiste des problèmes de sécurité et de terrorisme répond que, selon, lui la ghettoïsation aurait été autant choisie que subie. Tous les lecteurs ne seront pas forcément d’accord avec l’ancien espion.

Oumma : Lorsque la violence fondamentaliste est évoquée, deux courants sont aussitôt pointés du doigt : ceux de la mouvance des Frères musulmans et de la mouvance salafiste. Estimez-vous que ces deux mouvements sont seuls responsables du phénomène de radicalisation que l’on peut constater au sein de l’islam ? 

Alain Chouet : Opposer les Frères Musulmans aux salafistes ou les distinguer les uns des autres n’a pas de sens. Les Frères Musulmans sont des salafistes comme les Wahhabites ou les Tablighis. Les uns et les autres ont leurs objectifs propres qui se rejoignent parfois ou s’opposent sur certains points, mais tous contribuent avec plus ou moins d’intensité à la radicalisation de l’islam.

Oumma : En France, une controverse houleuse a opposé certains chercheurs, scindés en deux camps distincts : les tenants de la théorie de l’islamisation de la radicalité contre ceux de la radicalisation de l’islam. Où vous situez-vous ? Quelles sont, selon vous, les principales causes de la radicalité religieuse ? 

Alain Chouet : Je n’ai pas de légitimité à trancher dans cette controverse qui oppose deux chercheurs français reconnus. Ce que je constate en tant qu’observateur, c’est que la lecture radicale néo-hanbalite des sources de l’islam, qui ne concernait que 2 ou 3% du monde musulman au milieu du 20e siècle, s’est développée de façon foudroyante ces cinquante dernières années, sous l’impulsion de diverses initiatives d’États ou de groupes politiques qui trouvaient leur compte ou leur légitimation dans une affirmation fondamentaliste de la religion.

Et cette lecture populiste, réactionnaire et prédicante de la religion a fourni une caution et une justification à tous ceux qui, ne trouvant pas leur place politique, économique ou sociale dans des modèles sociaux démocratiques, libéraux et ouverts, souhaitent s’en distinguer par la violence et la destruction de l’ordre établi.

Oumma : Dans votre livre, vous parlez d’un séparatisme en France. Comment se traduit-il précisément ? Ne faut-il pas plutôt parler d’une ghettoïsation subie, avec une absence totale de mixité sociale, dans des quartiers parfois laissés à l’abandon ? 

Alain Chouet : Comme l’a constaté la Cour des Comptes, le séparatisme se traduit d’abord par le fait qu’il existe sur le territoire français 1514 quartiers de non-droit interdits d’accès aux forces de sécurité, aux services de secours, aux services médicaux et sociaux, etc. Ces quartiers sont établis sur le territoire de 859 communes et regroupent environ 4 millions d’habitants. Ce sont donc ainsi près de 6% de la population hexagonale qui vivent hors la loi et hors les pratiques culturelles et politiques de la collectivité nationale.

La « ghettoïsation », souvent invoquée pour expliquer cette séparation, est d’abord un argument victimaire pour justifier le séparatisme et les violences qu’il engendre. Cette ghettoïsation a été autant choisie que subie. Toutes les vagues migratoires que la France a connues au cours du siècle écoulé se sont d’abord regroupées par affinité et pour des raisons conjoncturelles dans des zones géographiques données, et cela n’a pas donné lieu à des phénomènes de dissidence violente localisés. Elles se sont ensuite diluées sur l’ensemble du territoire, à mesure que l’assimilation des deuxièmes et troisièmes générations se faisait.

Cette dilution ne s’est pas faite pour l’immigration maghrébine, arrivée massivement et brutalement dans les années 70 dans un pays dont le ralentissement économique ne permettait pas de les intégrer par le positionnement social que fournit un travail, ni de leur assurer un niveau de vie minimal sans recours à des transferts sociaux massifs qu’ils ont vite perçus comme une rente qu’il convenait, pour certains d’entre eux, de compléter par des activités délinquantes rémunératrices qu’il fallait protéger par un isolement du reste de la collectivité nationale.

D’où la constitution de ces fameux « ghettos » que les différents pouvoirs ont tenté de réduire par une politique de construction de logements sociaux et par un déversement incontrôlé et massif d’aides et de subventions dans le cadre des « politiques de la ville ». Ces aides ont été perçues comme un complément des rentes de l’assistanat social et n’ont jamais contribué à l’intégration des supposés bénéficiaires. De même, les politiques de construction de logement sociaux se sont traduites en l’apparition de nouveaux ghettos, les résidents d’origine du quartier fuyant l’arrivée des nouveaux bénéficiaires aux comportements et aux pratiques souvent « dissidents ».

Oumma : N’y a-t-il pas un paradoxe criant, voire une vraie hypocrisie, dans la manière dont les politiques en France traitent cette question sensible ? Ils prétendent, en effet, lutter contre l’islamisme, tout en choisissant comme interlocuteurs privilégiés des représentants issus d’associations ou de mosquées ayant des liens avec les Frères musulmans, ou étant inféodées à des pays étrangers qui, précisément, prônent un islam conservateur.

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Alain Chouet : Il y a dans ce phénomène plus d’ignorance et d’arrogance que d’hypocrisie. L’association des Frères Musulmans est parvenue en un siècle à devenir la seule organisation islamique salafiste transnationale bien structurée, capable de vendre ses services à qui en avait besoin, en particulier aux pétromonarchies théocratiques qui craignent aussi bien les dérives démocratiques des musulmans que la concurrence religieuse de l’Iran.

La répression que les Frères ont subie dans nombre de pays arabes les a conduits à adopter des stratégies pragmatiques et opportunistes, à organiser leur insaisissabilité, à développer des tactiques de dissimulation et de double langage propres à séduire des politiques occidentaux parfaitement ignorants de l’Islam et de la culture musulmane, mais aussi suffisamment arrogants pour penser qu’ils étaient capables de contrôler les Frères et les orienter dans le sens de leurs intérêts.

Quant aux connivences et aux complicités des dirigeants politiques occidentaux avec les régimes les plus réactionnaires et intégristes du monde musulman, il faut en rechercher les raisons dans les espoirs de bénéfices financiers que suscitent les richesses des pétromonarchies, dans des alliances plus ou moins avisées de l’Occident contre l’URSS d’abord, puis l’Iran islamique ensuite, dans la capacité des nouveaux responsables de ces pétromonarchies à développer un soft power intelligent pour préserver leur légitimité discutable et leurs pratiques totalitaires. Au total, et si on fait vraiment les comptes, les Occidentaux n’ont pas gagné grand-chose à cette soumission aux pétro monarques, et nos sociétés y ont beaucoup perdu

Oumma : Vous rappelez qu’en début de l’été 2001, alors que les services occidentaux s’attendaient à une attaque terroriste majeure, vous aviez reçu l’ordre de reconvertir la moitié des effectifs antiterroristes à l’immigration clandestine. N’est-il pas utile de rappeler, encore une fois, l’aveuglement de ceux qui nous gouvernent ? En se demandant s’ils ne sont pas capables de récidiver ? 

Alain Chouet : Oui, il faut le rappeler. La menace salafiste atteint actuellement un étiage dans son expression violente. Cela est dû en partie aux succès de la lutte antiterroriste et aux repositionnements des dirigeants saoudiens, qataris, pakistanais et même turcs. Les uns et les autres ont perçu les dangers de l’expression violente du salafisme, qui pourrait bien finir par les atteindre eux-mêmes. Cette menace est de plus reléguée au second plan par les développements dramatiques de la situation dans l’est européen et leur expression militaire.

Pour autant, et en ce qui concerne la France, le danger est toujours là. Les auteurs des nombreux attentats que nous avons connus depuis 2015 ne sont pas – à l’exception peut-être des assassins du Bataclan – des aventuriers étrangers spécifiquement formés pour nous frapper en application d’une stratégie particulière et selon des tactiques précises. Ce sont des enfants de notre société, des produits de notre environnement social, éducatif et culturel, passés spontanément à la violence après s’être radicalisés dans leur coin pour des raisons diverses. Il y en a toujours et il y en aura encore, tant que durera l’influence des sponsors idéologiques de la dissidence salafiste et que nous n’essaierons pas d’atténuer les problèmes du séparatisme au sein de notre société.

Oumma : Vous parlez de la découverte, dans la périphérie d’une grande ville, d’armes de guerre, de fusils d’assaut, de lance-roquettes, et de la décision des autorités de ne rien faire, car une opération risquerait de « mettre le feu » à un quartier sensible et contribuerait à « stigmatiser » ses habitants. Vous ne dites pas de quand date cette information. Pensez-vous qu’aujourd’hui encore les autorités décideraient de ne rien faire? 

Alain Chouet : J’ai daté cette notation de la fin des années 90. Ce n’est pas très précis, mais cela donne une indication. C’était donc il y a un peu plus de vingt ans. Les choses ont évidemment changé depuis et la multiplication des attentats terroristes, à partir de 2001, dans le monde entier et plus particulièrement depuis 2015, en France, a évidemment changé la donne. Aucun responsable administratif ou politique ne pourrait aujourd’hui adopter une attitude réservée ou dilatoire par rapport à de tels faits.

Oumma : Vous évoquez le jeune juge François Burgaud, déconsidéré par la gestion calamiteuse de l’affaire d’Outreau, nommé ensuite au parquet antiterroriste du Tribunal de Paris. Est-ce seulement du mépris vis-à-vis de la lutte antiterroriste ? De l’inconscience ?

C’est sans doute un mélange de tout cela. Et la conviction de beaucoup, à l’époque, que les prises de position de la France dans le monde arabe et musulman mettaient notre pays à l’abri des menaces qui en émanaient. C’est une erreur classique et récurrente des décideurs politiques français.

Oumma : Pour vous, les « djihadistes » que combat l’armée française au Sahel sont en fait des “bandits armés qui se drapent dans les oripeaux de l’islam“, des trafiquants de drogue. Un discours que l’on entend guère. Pourquoi ? D’autant que l’on ne combat pas des trafiquants de cocaïne comme on combat des djihadistes de l’État islamique. Des trafiquants de drogue n’ont aucun intérêt à poser des bombes en Europe. 

Alain Chouet : Je maintiens cette évaluation que je complète dans mon livre par le fait que l’expression violente des conflits au Sahel, drapée dans de soi-disant considérations religieuses, sert aussi de paravent à des contentieux nationaux, ethniques, claniques, tribaux, mais aussi économiques et sociaux, restés irrésolus dans les pays de cette zone depuis la décolonisation.

Cela dit, je ne revendique pas la paternité de cette lecture qui n’est pas si rare que cela. N’étant pas un vrai spécialiste de cette région, je me suis basé sur les travaux tout à fait remarquables de vrais experts de la région, comme Bernard Lugan, Antoine Glaser et quelques autres. Leur évaluation est d’ailleurs confortée par les travaux collectifs d’experts de l’International Crisis Group (ICG) qui conclut : « Ne pas considérer cette distinction (entre djihadistes et trafiquants) revient à ranger dans la catégorie “djihadistes” un vivier d’hommes en armes qui gagneraient à être traités différemment. »

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4 commentaires

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  1. Si nous ne dominons plus certaines parties de notre territoire, il faut limiter l’immigration massive, qui n’est plus une immigration de culture chrétienne, mais de peuplement.
    Avons-nous besoin d’autant d’immigrés de culture étrangère en pleine période où le chômage atteint 5 millions et demi de personnes ??
    Les immigrés ont plus besoin de nous que nous n’avons besoin d’eux.
    Considérons les 2 principaux contributeurs à l’immigration dans notre pays : l’Algérie en tête, suivie du Maroc. Aucun de ces pays n’est en guerre !
    Le plus désagréable, c’est que le régime algérien, pour faire oublier son incompétence et sa corruption, dresse contre nous des gens qui se prennent depuis 60 ans pour des victimes.

    • L’immigration est un mot né d’une volonté politique et défini par lui pour opposer les gens de souche européenne ou intra-européenne et les gens venus d’ailleurs. Il faut arrêter de voir l’immigration comme un mouvement autonome doté d’une conscience collective. C’est encore les politiques qui lui ont donné une conscience politique en l’asservissant aux tâches les plus ingrates. La radicalisation est née de cette politisation des consciences collectives. En gros on crée le méchant pour lui donner son rôle de méchant. Les spécialistes ne font que reprendre analyses sociologiques orientées politiquement. Les lois dites “naturelles” ne sont pas si naturelles lorsqu’on les conceptualisent sur un substrat prédéfini.

    • Par contre votre orientation c’est le grand remplacement du pétainiste zemmour ! “Les immigrés ont plus besoin de nous que nous n’avons besoin d’eux”.Qui est allé les chercher par bus au Maghreb pour bâtir ce pays et pour faire tourner les usines de voitures et avant la France a trouvé de vrais combattants contre le nazisme et non des collabos,la corse a été libérée par ces mêmes maghrébins.En guise de reconnaissance la France ne leur verse pas la même pension de guerre que celle versée à leurs camarades français,des victimes de guerre n’ont jamais eu leurs noms inscris sur les stèles de commémoration !Vous savez certainement que des français sont des immigrés dans les pays du golfe et que la France a été toujours gagnante en tant que force occupante et aujourd’hui en tant que vendeur d’armes!

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