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Le supplice de Djamel Bensmaïl : un crime d’Etat ?

Les crimes d’État dans l’histoire contemporaine de l’Algérie (1957-2021) ne se comptent pas. De ‎celui de Abane Ramdane (décembre 1957) à celui de Boudiaf (juin 1992), les causes en étaient ‎politiques. Ils s’expliquaient par les luttes pour le pouvoir et une certaine « raison d’Etat » pouvait ‎être invoquée, même s’ils n’ont jamais été reconnus comme tels. ‎

Dans le cas de l’assassinat de Boudiaf, j’ai toujours pensé que c’était à cause du Sahara occidental, à ‎laquelle il ne croyait pas et ne s’en cachait pas. Ceux qui sont allés le chercher au Maroc, où il vivait ‎paisiblement depuis un quart de siècle, pour présider le « Haut Comité d’État » n’avaient pas pensé ‎à cet aspect. Il en est ainsi de nos dirigeants depuis Messali Hadj : ils ne voient pas plus loin que le ‎bout de leur nez. Ceux d’aujourd’hui ont tout bonnement perdu la vue.

Cette instance a été créé en janvier 1992 pour suppléer à la vacance de la présidence de la ‎République, à la suite de la démission forcée de Chadli parce qu’il refusait d’annuler les élections ‎législatives dont le premier tour avait été remporté par le FIS. La décision de le « liquider » a dû ‎être prise en mars 1992, après son voyage à caractère « privé » au Maroc, où il avait eu une ‎rencontre « semi-officielle » avec le roi Hassan II.

Depuis plusieurs jours, l’Algérie est secouée par un crime atroce, filmé sous tous les angles, et où l’on ‎voit une foule insulter, battre, piétiner, immoler puis décapiter un jeune artiste engagé, venu en ‎Kabylie aider ses compatriotes à lutter contre les violents incendies qui la ravageaient.

L’inexplicable et l’inadmissible dans l’affaire, c’est que les faits se sont déroulés à quelques mètres ‎de l’entrée du commissariat de police, sous les yeux indifférents de plusieurs policiers, et avec ‎l’assentiment des plus hauts responsables nationaux de la DGSN qui auraient ordonné ce retrait ‎soi-disant pour ne pas causer de plus importantes pertes, ce qui veut dire que celle de Djamel était ‎concédée avant d’être actée.‎

Bouleversée par ce drame, l’opinion publique attendait avec impatience que l’autorité judiciaire ‎apporte des réponses aux nombreuses questions inspirées par ces images hallucinantes, rappelant ‎des scènes du Ku Klux Klan dans l’Amérique du XIXe siècle, ou les rites sacrificiels que pratiquaient ‎les Mayas il y a mille ans. 

Le supplice, auquel a été soumis le jeune Djamel, les a dépassés en horreur au point de regretter ‎que – mort pour mort – il n’ait pas bénéficié d’un sort plus clément comme la crucifixion du Christ ‎qui a entraîné l’apparition d’une nouvelle religion, ou plus civilisé comme l’étouffement de George ‎Floyd immortalisé par une formule (« Black Lives Matter ») dont on a fait une sorte d’addendum à ‎la Charte universelle des droits de l’homme.

Or voici qu’hier, 15 août, c’est le directeur de la police judiciaire qui fait une déclaration publique sur ‎les circonstances dans lesquelles a été assassiné le jeune artiste. Ses propos et son raisonnement ‎ont laissé sur sa faim l’opinion publique, qui a vu sa curiosité légitime se transformer en certitude ‎qu’il y a du louche, que c’est une « bavure », une mauvaise évaluation des choses, ou même un ‎crime d’État.

La version du directeur contredisait le communiqué délivré par le Parquet quelques jours plus tôt et ‎valait reconnaissance de la responsabilité de la police dans ce meurtre, du commissariat de la daïra ‎‎(sous-préfecture) au « commandement supérieur » évoqué par le directeur. Les explications qu’il a ‎fournies pour justifier l’inaction de la police, qui a assisté du début à la fin au lynchage sans esquisser ‎le moindre geste dans ce « flagrant délit », sont irrecevables.

Deux ou trois rafales tirées en l’air ‎auraient suffi pour mettre fin à l’expédition meurtrière et disperser la foule composée non pas de ‎‎« têtes brûlées », des cocktails-molotov ou des armes blanches à la main, mais d’adultes à l’aspect ‎ordinaire, sérieux et responsable.

Même les individus arrêtés et à qui la parole a été donnée dans la foulée de la déclaration du ‎directeur n’avaient pas l’air de malfaiteurs à la mine patibulaire, ni d’écervelés prêts à en découdre, ‎mais de personnages du commun comme vous et moi.

Les dizaines de vidéos diffusées sur les ‎réseaux sociaux montrent une foule énervée mais pacifique, parlementant avec les policiers en civil ‎sans animosité, et qui se serait dispersée sur de simples injonctions verbales dans sa direction. Il y avait du brouhaha, ‎mais pas une tension explosive et une foule en transes.‎

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En voyant le jeune supplicié coincé dans la cage du véhicule de police, torse nu, le dos plein ‎d’ecchymoses et s’échinant à expliquer à ceux qui l’insultaient et le battaient qu’il était accusé à ‎tort, il n’était pas en proie à la peur ou à la panique comme l’aurait été n’importe qui d’autre à sa ‎place.

S’il avait été coupable, son attitude aurait été autre, il se serait effondré en larmes et sollicité ‎le pardon. Lui était plutôt étonné de ce qu’on lui reprochait et faisait face aux molosses avec calme ‎et ingénuité comme s’il était certain que le quiproquo allait cesser.‎

Selon toute vraisemblance, la police a livré Djamel Bensmail à une foule persuadée qu’elle était ‎autorisée à assouvir ses envies meurtrières. Le droit, la loi, le sens moral, faisaient obligation aux forces de l’ordre présentes sur les lieux ‎d’empêcher ce crime par tous les moyens, au péril de leur vie, en tirant à balles réelles ‎sur quiconque se serait opposé à elles dans l’exercice de leurs fonctions, et même si l’opération ‎devait se solder par des victimes.

Tout, n’importe quoi, mais pas ce qu’on a vu sur les vidéos.

En fait, un groupe de trois ou quatre policiers armés de Klachs et affichant leur résolution à faire ‎usage de leurs armes au besoin aurait suffi pour dissuader et tenir en respect une foule qui, ‎visiblement, ne manifestait aucune hostilité envers eux, en attendant l’arrivée de renforts de ‎police ou de gendarmerie à supposer que cela fut nécessaire.

La police a, du sommet à la base, laissé commettre sous ses yeux et ceux du monde un lynchage ‎barbare. En adoptant cette attitude, elle a délibérément suspendu sa raison d’être en tant ‎qu’institution chargée de la protection de la vie humaine et de l’ordre public, et par conséquent à ‎l’existence de l’État pendant toute la durée du crime. Elle a ainsi forfait à sa vocation, à sa mission, à sa ‎raison d’être car d’autres options qu’elle connaît mieux que nous, simples spectateurs, s’offraient à ‎elle.

Elle a choisi de sacrifier un jeune homme de 34 ans venu faire du bien, de trahir son serment de ‎défendre en toutes circonstances la loi, l’ordre et la sécurité des biens et des personnes et de ‎rendre l’État complice d’un crime d’État sans raison d’État, sauf à croire à la théorie défendue par ‎certains, selon laquelle il s’agirait d’une opération destinée à faire d’une pierre deux coups : se ‎débarrasser d’un « hirakiste », et imputer le crime au MAK.

Faut-il qu’on n’ait plus peur pour l’avenir mais pour l’immédiat, le présent, le lendemain, le court ‎terme ? Il n’y a donc plus de limites à la déchéance et l’incompétence de l’État algérien ? Faut-il ‎applaudir à ses folies et se résigner au supplice de Tantale vers lequel il pousse la nation ? ‎

 

 

 

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Un commentaire

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  1. Le doute est péché. Je reconnais volontiers que j’ai moi moi-même instruit dans mon raisonnement une raison douteuse sur le comportement des policiers sur place.
    Dieu seul sait ce qui s’est vraiment passé entre les agents des force de l’ordre et leur hiérarchie .

    J’ai peur oui j’ai peur de penser a un scénario et de repondre a cette question ? Pourquoi la police qui d’habitude on l’a vu pour le Hirak est prompt a réagir a laissé faire !
    On peut l’expliquer par la peur des fonctionnaires de police qui face a une foule nombreuse a pris peur et a préféré sauver sa peau.
    L’Etat avait il également peur d’envenimer la chose car si par malheur un policier avait paniqué et tiré dans le tas le mal aurait été plus grand et la lecture de l’événement aurait de dire que l’Etat Algerien tue des kabyles désarmés et la cela aurait été d’une violence bien pire.
    Si je pense comme un complotiste et c’est cela ma crainte je peut envisager également que l’Etat Algerien a laissé faire pour briser un elan de solidarité qui existait pour le Hirak et laisser la division entre kabyles et arabes .
    Si je laisse s’installer ce scénarios dans ma tête alors je penserais que ce pays est gouverné par des criminels et que la seule façon de s’embarrasser c’est le soulèvement populaire.
    Mais les conséquences ? Voudrais je que mon pays finissent comme la Libye c’est a dire morcelé de partout.
    Les Algériens sont attachés au roman national et qui prendra le risque de déchirer cette page glorieuse de l’Algérie qui pendant 8 ans de guerre a fini par chasser le colonisateurs.
    Je suis un musulman et persuadé que le prophète Mohammed salla Lhahou alayhi wa salem est véridique.
    Ils nous dit salla Lhahou alayhi wa salem que derrière un mal se cache derrière un bien et que cela ne bénéficie qu’au croyant.
    Je peut me dire que la mort de Djamel va au contraire cimenté l’union national et chassé de notre nation les démons du tribalisme.
    Le jour de la mort a Djamel Allahyarhamou est peut-être la naissance d’une réelle citoyenneté Algérienne et que le pays en sortira plus fort .
    Je le souhaite du fond du coeur pour que la mort de Djamel ne soit pas vaine.
    Djamel est rentré dans le coeur de tout les Algériens. Un chahid que veut respecter le peuple et accomplir ce quoi Djamel appeler toute sa vie l’union entre tout les Algériens.
    Pour finir une anecdotes d’un ami de Djamel Allahyarhamou qui le définissait comme un humaniste .
    Un jour son ami trouve Djamel pieds nu et son copain lui demande :” Djamel ou sont tes chaussures ” et Djamel de raconter qu’il les a donnés a autrui qui en avait plus besoin ”
    C’etait cela Djamel un garçon avec un coeur d’oiseau fragile devant toute les souffrances de son pays et soucieux de vivre en être humain accomplie.
    Allahyarhamou Djamel on ne t’oubliera jamais notre frère.

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