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Le permis de voter d’Aymeric Caron et les procédés simplificateurs d’Éric Naulleau sur Twitter 

Il est faux de penser qu’un cheminement intellectuel se dévaloriserait par un quelconque ajustement raisonné.

Certains, aux œillères épaisses, peuvent avoir l’outrecuidance de croire que le maintien, coûte que coûte, de la cohérence de leurs propos, constitue l’unique Saint Graal de la vérité intellectuelle. Ils parviennent de ce fait à emprisonner leur esprit dans des certitudes obtuses.

Ainsi de la fois où Éric Zemmour, arc-bouté sur son thème favori de l’invasion migratoire, avait été lamentablement piégé à On n’est pas couché par Aymeric Caron. Ce dernier avait pointé à juste titre qu’il était factuellement faux d’affirmer, comme le faisait avec insistance l’actuel président de Reconquête !, que sur les 65 millions d’habitants peuplant la France – nous étions alors en 2014 –, 7 millions étaient des enfants de moins de 4 ans d’origine étrangère. D’ailleurs, vue la relative vieillesse de la population française, ce chiffre ne pouvait même pas être repris pour rendre compte de l’ensemble des individus de cet âge, sans distinction d’origine, qui vivaient en 2014 sur le territoire français. Mais, malgré l’invraisemblance de son affirmation, Éric Zemmour refusait en toute mauvaise foi de reconnaître son erreur manifeste, sans doute de peur de perdre la face.

La simplification idéologique

Une autre manière, plus retorse celle-là, de faire montre de mauvaise foi intellectuelle, est de tenter de disqualifier, aux yeux du public, un adversaire idéologique, par un déni simplificateur des nuances de ses positions. Éric Naulleau semble s’être conduit de cette façon, fréquente chez lui, lorsqu’il a lancé, tout récemment, une salve contre l’idée émise, dans un essai il y a 5 ans par Aymeric Caron, sur l’instauration d’un permis de voter, disposition permettant de vérifier que les citoyens, appelés à sélectionner un candidat lors d’une élection, mesurent réellement les immenses enjeux de leur choix politique.

La sortie d’Éric Naullleau s’explique-t-elle parce qu’Aymeric Caron est devenu, entre-temps, candidat à la députation pour le compte du bloc de gauche animé par Jean-Luc Mélenchon ? Difficile de répondre à cette question, tant il est délicat de déchiffrer une intention non-explicitée. Il ne reste donc, afin de se donner une idée de la motivation d’Éric Naulleau, qu’à exposer les faits tels qu’ils se sont enchaînés.

Une pérégrination sur Twitter

Ce texte tire son origine de mes pérégrinations sur Twitter. L’une de celle-ci m’a confronté à des tentatives, avérées ou supposées, de manipulations sur la position d’Aymeric Caron sur l’instauration d’un permis de voter.

Je retracerai donc l’histoire de cette pérégrination, montrant ainsi les pièges tendus par Twitter, écueils qu’il faut savoir éviter si l’on souhaite viser la vérité journalistique.

Première étape : Eric Naulleau s’attaque à Aymeric Caron sur le permis de voter, tweet que je relaie en affichant mon opposition à cette mesure

Au commencement, il y a eu un post, rédigé par Éric Naulleau, et diffusant, le 4 mai dernier, l’extrait d’un échange ayant eu lieu il y a 5 ans dans C à vous. On y voit un dialogue entre Anne-Elisabeth Lemoine et son invité Aymeric Caron, noué à propos de la position de ce dernier en faveur de l’instauration d’un permis de voter, mesure expliquée dans son essai d’utopie politique, intitulée Utopia XXI, qu’il venait présenter à cette occasion.

Dans son tweet, Éric Naulleau critiquait cette disposition d’apparence censitaire, que l’auteur d’Utopia XXI considérait comme devant être adoptée dans une société idéale. Il feignait également de s’interroger sur le fait de savoir qui disposerait de la capacité à sélectionner les électeurs les plus qualifiés à voter, en répondant immédiatement que cette charge serait l’apanage des « citoyens les plus qualifiés comme lui ». Et de manier l’ironie en désignant la mesure de « magique ».

Cinq minutes après sa première diffusion, j’ai retweeté le post, en affichant mon opposition à cette réforme du droit de vote, qui m’apparaissait allant à l’encontre du principe de la souveraineté détenue par le peuple.

Première erreur, je l’ai fait sans remarquer que l’information venait d’Éric Naulleau (ce qui m’aurait peut-être mis la puce à l’oreille lors des étapes ultérieures de cette pérégrination sur Twitter).

Deuxième étape : alerté par un utilisateur, j’apporte un rectificatif en disant que l’accusation visant Caron était un fake

En réaction à l’expression de mon opinion, critique, sur le permis de voter, un twittonaute a souhaité attirer mon attention sur le fait qu’il s’agissait d’un « Fake » visant Aymeric Caron. Et de m’affirmer que je venais de relayer une « interview de 2017 où il racontait le scénario de son nouveau livre de fiction (Utopia XXI) ». Que je manquais donc, en substance, de « déontologie » journalistique. Enfin, que je ne devais pas croire « bêtement » ce qui était raconté sur le réseau social.

C’est là qu’est intervenue ma deuxième erreur. Ayant le cœur penchant à gauche, et me réjouissant que l’union venait alors de se concrétiser entre LFI et EELV, en attendant que la rejoignent le PC et le PS, j’ai immédiatement posté un démenti de ce que je considérais dorénavant comme une rumeur. En m’appuyant sur un tweet d’Aymeric Caron lui-même, posté en réponse à la polémique naissante, et qui indiquait que le permis de voter, bien que présente dans son essai d’utopie politique, n’était pas inscrite au programme de son parti allié à LFI, la Révolution écologique pour le vivant (REV), j’affirmais qu’il ne défendait pas la mise en place de cette disposition limitative.

Cette deuxième erreur était confortée par le fait que je ne m’étais pas aperçu de la première, celle qui m’aurait informé, si j’avais fait preuve de rigueur, que le tweet dénonçant la position d’Aymeric Caron émanait d’Éric Naulleau, intervenant habitué à faire des raccourcis dans les médias audiovisuels comme sur Twitter. Ces états de services auraient dû me convaincre que l’information devait être prise avec des pincettes. Bref, je m’enfonçais dans les simplifications.

Troisième étape : les affirmations antérieures d’Aymeric Caron, sur Twitter à propos du permis de voter, me sont rappelées afin que je révise une nouvelle fois ma position

Ce tweet était à peine diffusé, que j’étais déjà interpellé par des twittonautes, m’apprenant qu’il y avait trace sur le réseau qu’Aymeric Caron avait bien défendu une telle disposition pour le droit électoral. Sur mon insistance, mes interlocuteurs, qui refusaient dans un premier temps d’accéder à ma requête, de peur qu’Aymeric Caron ne cherchât à effacer les preuves de ses interventions passées en faveur du permis de voter, me firent parvenir les liens des deux tweets en question.

Le premier de ces posts date de juillet 2020, et faisait suite à un échange de vues, avec Raquel Garrido, sur le vote obligatoire, sujet sur lequel ils s’opposaient. Aymeric Caron finissait par admettre être « partisan du permis de voter », qu’il disait développer dans son livre Utopia XXI. Il enchaînait immédiatement, dans le même post, sur le fait que « Twitter n’étant vraiment pas l’espace pour développer les arguments sereinement », « il faudra qu’on en parle en direct ».

Le deuxième tweet est une réponse donnée, le 25 février dernier, à un internaute, qui demandait à Aymeric Caron s’il était favorable à un permis de voter. L’ancien chroniqueur d’ONPC répondait « absolument », tout en nuançant son propos, en ajoutant que le permis de voter « s’accompagne de plusieurs autres facteurs pour que cette mesure rende le pouvoir au citoyen ».

Quelle fut ma réaction ? Une énième faute, cette fois due à ma précipitation. A l’image d’Éric Naulleau, j’omettais que les réalités, quelles qu’elles soient, ne se résument nullement à des énonciations simplificatrices. Je postais donc un nouveau tweet, dans lequel je présentais mes excuses à l’égard de ceux auxquels j’avais indiqué, quelques minutes auparavant, que tant que je n’avais pas de liens présentant les tweets prouvant la position d’Aymeric Caron en faveur du permis de voter, je considèrerais cette information qu’ils relayaient comme un fake. Et je prenais devant eux la résolution d’écrire cet article, qui, finalement, après m’avoir forcé à ne pas schématiser une pensée, me permet de fixer un raisonnement nuancé sur la question du droit de voter.

Le simplisme de Twitter

Cette mésaventure m’apprend, et je ne suis pas le premier à le dénoncer, que Twitter réserve de nombreuses embûches à ceux qui ne prendraient pas le recul nécessaire face aux flots d’informations véhiculés par le réseau social.

Le simplisme y règne, accentué par le nombre limite de caractères imposé. Favorisant la création de tendances, le réseau se structure par l’enchaînements de vagues plus ou moins puissantes, alimentées par ceux qui recherchent la polémique. C’est en tout cas ce qu’a récolté Eric Naulleau dans son attaque ayant visé Aymeric Caron.

Comment rendre compte du permis de voter d’Aymeric Caron ?

Par ailleurs, bien qu’il soit critiquable dans le sens où il irait à l’encontre de la souveraineté populaire instituée par la Révolution de 1789, le permis de voter se comprend bien au-delà, pour Aymeric Caron, de sa propre matérialité. Il s’inscrit, en effet, dans un ensemble de dispositions plus vaste appelées, selon l’idée qu’il s’en fait, à régenter une société idéale. Il serait par exemple accompagné d’une durée hebdomadaire de travail ramené à 15h, ce qui laisserait amplement le loisir aux citoyens de prendre en charge, au sens noble du terme, leur responsabilité politique, en s’informant profondément de l’état de leur société et des remèdes envisagés par les candidats pour en annihiler les maux. Ils n’auraient, pour ainsi dire, aucune excuse à opposer à leur incompétence. Cette nuance, de taille pour apprécier la juste valeur du permis de voter avancé par Aymeric Caron, n’est bien évidemment pas présente dans le réquisitoire d’Éric Naulleau.

En tout état de cause, le permis de voter n’est pas à l’ordre du jour politique du président de REV. Eric Naulleau, qui n’est pas né de la dernière pluie, ce qui fait qu’il sait bien que son intervention, produite dans un contexte électoral, s’inscrit dans la compétition des législatives à venir, aurait dû le rappeler s’il cherchait à éclairer le citoyen.

Cette absence de précisions dénote, à tout le moins, qu’il est entré en campagne, comme cela transparait dans sa critique de l’union de la gauche, laquelle intègre en son sein, selon lui, l’islamogauchisme. Pour ce faire, il use de procédés simplificateurs et, partant, malhonnêtes.

Adel Taamalli

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2 commentaires

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  1. Salam. Si donc les réseaux sociaux se prêtent aux déformations simplificatrices délibérées ou non des propos initiaux d’un auteur, au point de plonger un journaliste dans la confusion, comment est-ce que la grande masse des gens ne serait pas trompée, manipulée, induite en erreur par ces réseaux et surtout les anciens médias, toujours politiquement efficaces, dont les présentateurs/journalistes abusent d’amalgams et raccourcis?

    Rester lucide est un effort permanent, rester lucide et rationel ne va pas de soi dans cette société où l’univers médiatique multi-forme est hypertrophié. C’est comme lutter pour rester ferme dans la foi comme il nous est annoncé en substance qu’il sera moins aisé de rester ferme dans la foi que de tenir des braises ardentes au creux de ses mains. Or, la rationalité/lucidité et la foi vont ensemble, c’est la confusion qui est leur égal contraire.

    Croissant de lune.

  2. Leçons à tirer de ce récit :
    – il ne faut pas tirer plus vite que son ombre, comme le fait lucky Luck,
    – il faut toujours vérifier les propos de personnalités connues pour leur sens de la girouette, comme c’est le cas de Nulleau,
    Il faut donc toujours se rappeler le verset 6 de la sourate 49 du Coran, pour éviter de juger injustement les gens.

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