in ,

Le double jeu des services marocains dans la lutte antiterroriste

La Belgique vient de demander officiellement au Maroc "une collaboration étroite et poussée en matière de renseignements et de sécurité", a indiqué lundi, non sans une certaine fierté, le ministère marocain de l'Intérieur alors que la traque de suspects impliqués dans les attentats de Paris se poursuivait en Belgique. Le roi Philippe de Belgique s'est entretenu avec le roi Mohamed VI du Maroc pour lui faire part de cette demande de collaboration, exprimée par le gouvernement belge, a expliqué le ministère dans un communiqué.

A la suite de cette communication téléphonique, le ministre marocain de l'Intérieur Mohamed Hassad et son homologue belge Jan Jambon ont été en contact dans le cadre de "la mise en oeuvre concrète et immédiate de cette demande à l'instar de la collaboration existante avec la France", précise le communiqué. Toujours selon le communiqué du ministère de l’Intérieur marocain, les chefs de la Direction générale de la surveillance du territoire et de la Direction générale des Études et de la Documentation (renseignements militaires) se sont également entretenus avec leurs homologues belges. Le royaume de Belgique compte une importante minorité marocaine (environ 500.000 personnes).

Le fait que le roi Philippe ait téléphoné à son homologue marocain Mohammed VI pour demander que les deux pays travaillent ensemble en matière de sécurité et de renseignements doit surtout être vu comme une forme de "soutien de la collaboration existante entre le Maroc et la Belgique". "On ne peut certainement pas dire que la collaboration avec les services marocains est mauvaise. Les relations sont bonnes, mais cela ne fait jamais de tort quand la collaboration est soutenue au plus haut niveau", a expliqué mardi le porte-parole du ministre de l'Intérieur Jan Jambon à l'Agence Belga.

Une campagne de lobbying en faveur du Makhzen

Eu égard aux menaces terroristes auxquelles font face les Etats européens, l’annonce d’une « collaboration plus étroite » avec les services de renseignement marocains ne peut que rassurer. L’efficacité de ces derniers semble confirmée par ce qui s’est produit la semaine dernière en région parisienne. En effet, c’est un renseignement marocain qui avait contribué à mettre les enquêteurs français sur la piste du djihadiste belgo-marocain Abdelhamid Abaaoud, organisateur présumé des attentats du 13 novembre à Paris et tué cinq jours après lors d'un assaut policier à Saint-Denis, près de Paris. Peu après, le président français François Hollande avait reçu et remercié le roi Mohammed VI pour "l'assistance efficace" du Maroc à l'enquête sur les attentats revendiqués par le groupe Etat islamique (EI).

Il n’en reste pas moins que les conditions qui entourent cette collaboration entre les services européens et marocains en matière de lutte antiterroriste posent un certain nombre de questions non élucidées. Les médias français et belges, qui ont relayé l’information selon laquelle c’est grâce aux services marocains que le présumé cerveau des attentats de Paris, Abdelhamid Abaaoud a été retrouvé, n’ont pas été prolixes quant aux conditions dans lesquelles les services marocains sont arrivés à le localiser. Pour brouiller sans doute les pistes, la police française a laissé croire aux médias que c’est par sa cousine, Hasna Aït Belhocine, que les services français sont remontés jusqu’à Abdelhamid Abaaoud. Le fait que les services de renseignement marocains aient pu localiser Abdelhamid Abaaoud à la suite de l’arrestation de son frère à sa descente d’avion à Agadir, il y a un mois, a été passé sous silence. On ignore dans quelles conditions ni pourquoi le frère du suspect a été arrêté au Maroc.

On ignore encore plus dans quelles « conditions » la police marocaine est arrivée à lui arracher les précieuses informations qui ont conduit à la localisation et à la neutralisation de son frère à Saint Denis. Aucun média ni aucune organisation des droits de l’Homme ne s’est inquiété jusqu’à présent du sort de ce ressortissant belgo-marocain. La sécurité à Paris ne vaut-elle pas quelque entorse à ces droits de l’Homme qui sont généralement invoqués pour justifier les croisades impériales en Libye et en Syrie, croisades dont quelques éclats meurtriers sont arrivés jusqu’à Paris ?

Mais au-delà des zones d’ombre qui entourent le volet policier de l’enquête antiterroriste en France et en Belgique, ce que le communiqué du ministère de l’Intérieur marocain ne dit pas c’est que le Makhzen marocain est en train de tirer profit de la mobilisation antiterroriste en Europe pour se repositionner sur la scène diplomatique après qu’il eut essuyé quelques revers ces derniers temps depuis l’annonce par des responsables suédois de l’intention de leur pays de reconnaître la république sahraouie et depuis que l’Union européenne a rappelé par la bouche de sa commissaire aux affaires extérieures son soutien au droit du peuple sahraoui à l’autodétermination. En effet, depuis l’annonce par les médias français du rôle joué par les services marocains dans la localisation du djihadiste belgo-marocain Abdelhamid Abaaoud à Saint-Denis, nous assistons à une campagne médiatico-politique d’intense lobbying en faveur de la coopération sécuritaire avec le Maroc, une campagne d’autant plus hypocrite qu’elle passe sous silence les conditions dans lesquelles les services marocains collectent leurs précieuses informations. Curieusement, ceux qui font du lobbying en faveur du Maroc en Europe sont pratiquement les mêmes qui s’occupent des campagnes de lobbying pro-israélien…
La Belgique menée en bateau par le Maroc ?

La volonté du Makhzen marocain de faire de sa collaboration à la lutte antiterroriste en Europe une nouvelle rente géopolitique est apparue clairement ces derniers jours dans le royaume de Belgique. Ce dernier a été pratiquement paralysé durant plusieurs jours et a vu ses activités économiques et sociales perturbées, occasionnant ainsi la perte de plusieurs dizaines de millions d’euros, et ce sur la base d’informations en provenance des services marocains au sujet de probables attentats dans la capitale belge. L’opacité qui a entouré une semaine de mobilisation sans précédent ne permet pas d’en faire un bilan serein et objectif mais un certain nombre d’indices pourrait laisser penser à une grosse opération de désinformation. Sur une quinzaine d’interpellations, seule une personne a été inculpée pour activités en lien avec une entreprise te
rroriste. Des hommes politiques belges sont intervenus pour demander des explications à leur gouvernement mais en vain.

Il est à se demander si la Belgique n’a pas tout simplement été menée en bateau par son soi-disant allié marocain. De deux choses, l’une. Soit la menace terroriste était une pure invention des services marocains pour faire chanter les Belges, ce qui paraît difficile à soutenir. Soit les informations que les services marocains auraient glanées de la part de leurs agents infiltrés au sein de l’EI en Syrie étaient trop générales et trop vagues pour la raison simple que ces agents infiltrés ne sont que des seconds couteaux sur lesquels il est difficile de compter pour déjouer les projets terroristes conséquents. Cette dernière hypothèse paraît plus plausible.

Publicité
Publicité
Publicité

Reste à savoir pourquoi le Maroc se laisse entraîner à jouer à ce jeu au risque de perdre sa crédibilité et de froisser ses amis européens ? Sur un plan plus politique, le Maroc était obligé de montrer patte blanche pour cacher le double jeu de ses services de renseignement qui ont fermé les yeux sur le départ de milliers de jeunes marocains en Syrie, avec l’arrière-pensée de manipuler un certain nombre parmi eux. Il faut savoir que pour le Maroc, le régime syrien tout comme le défunt régime libyen de Kadhafi, est un régime hostile.

Rien d’étonnant donc à ce que les services marocains encouragent en sous-main le départ des jeunes djihadistes sur le front syrien surtout depuis que le roi du Maroc a choisi de remettre la gouvernance interne aux islamistes du PJD dont les liens avec les pétromonarchies du Golfe qui interviennent en Syrie ne sont un secret pour personne. Bien entendu, les services marocains n’étaient pas les seuls à jouer à ce jeu. Des services occidentaux, arabes, turcs et israéliens ne se sont pas gênés de s’adonner à ce jeu chacun ayant ses préférés dans la nébuleuse djihadiste. Dans la région du Sahel, la situation n’est pas fondamentalement différente. Si les services marocains sont suspectés d’entretenir des liens avec les djihadistes du Mujao, les services français et algériens ne sont pas en reste. Les premiers manipulent les combattants du MNLA et les seconds entretiennent des liens avec le groupe armé Ansar Eddine.

Une nouvelle page dans le « grand jeu »

Tant que ses protecteurs occidentaux et ses bailleurs de fonds du Golfe fermaient eux-mêmes les yeux sur les monstres de l’EI, le Maroc pouvait se permettre un certain double jeu. Mais depuis que les puissances occidentales ont décidé que la mission de l’EI est terminée, visiblement tout le monde, y compris le Maroc, cherche à faire preuve de zèle dans la lutte antiterroriste. Grâce au quadrillage policier de ses communautés installées en Europe et grâce à ses milliers de recrues au sein de l’EI, les services marocains disposent sans doute de quelques cartes à jouer.

Leurs alliés européens qui font semblant de les féliciter en public n’hésiteront pas à leur rappeler en coulisses l’exigence d’une « collaboration plus étroite » dans la lutte antiterroriste. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre les paroles du ministre belge de l’Intérieur « la collaboration avec le Maroc est bonne mais elle peut être meilleure ». Les mères belges d’enfants victimes de rapts parentaux dont les pères ont fui au Maroc auraient sans doute souhaité le même égard dans les discussions entre officiels belges et marocains en vue de régler les dossiers qui sont source d’une souffrance humaine indescriptible…

Bien entendu, la volonté des autorités marocaines ne suffit pas elle-seule à donner à leur collaboration à la lutte antiterroriste l’efficacité souhaitée. D’autres tendances lourdes sont à prendre à considération. Une participation européenne plus active à la recherche d’une solution politique juste et équitable aux conflits qui déchirent le Moyen-Orient serait moins couteuse et plus efficace à long terme dans la lutte antiterroriste que tous les programmes sécuritaires actuels. Mais pour cela, l’Europe doit se libérer du poids des lobbies qui la paralysent et qui ne veulent pas entendre parler du lien pourtant évident entre l’instabilité qui règne dans la région et la politique coloniale israélienne. Des voix se sont élevées en Belgique pour demander à leur Etat de revoir ses relations avec l’Arabie saoudite accusée de financer les réseaux djihadistes mais curieusement ces mêmes voix ne semblent pas mesurer le danger que constitue la mainmise des lobbies israéliens dans le processus de décision de leur pays qui met à rude épreuve jusqu’à la souveraineté de leur Etat. Les mêmes voix semblent également ignorer le danger qui consiste à rendre la sécurité de leur pays aussi dépendante de la collaboration d’un Etat comme le Maroc qui pratique un double jeu dangereux et qui vit lui-même de l’aide financière de l’Arabie tant décriée.

Pour se racheter et détourner l’attention de son travail de noyautage des institutions de l’Europe via des élus et des fonctionnaires qui excellent dans le double discours et la double allégeance, le Maroc a décidé de collaborer ouvertement à la guerre des puissances occidentales contre l’EI. L’information aurait été rassurante pour tout le monde si elle ne s’accompagnait pas d’effets autrement plus inquiétants. En effet, c’est le Maroc qui collabore avec les services occidentaux et c’est la Tunisie qui vient d’être frappée par un attentat spectaculaire au cœur de la capitale. Au lendemain des attentats de Paris, l’EI n’a pas trouvé mieux que de menacer l’Algérie, un pays qui se refuse à être entrainé dans des conflits en dehors de ses frontières. Une nouvelle page dans ce qui est appelé cyniquement dans le jargon spécialisé « le grand jeu » vient de s’ouvrir. Il n’est pas sûr qu’elle apporte la paix et la sécurité que les citoyens désabusés attendent légitimement de leurs gouvernants…
 

Publicité
Publicité
Publicité

Un commentaire

Laissez un commentaire

Laisser un commentaire

Chargement…

0

Un postier américain insulte et crache sur deux femmes voilées, sous l’objectif d’une caméra de vidéosurveillance

Attentats: le père qui avait interpellé Valls envisage de porter plainte