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Notre projet se résume à l’appellation de notre mouvement « Justice et Spiritualité »

Chers amis de la rédaction de “oumma .com”.

Je vous envoie le texte intégral de mon intervention que je n’ai pas pu faire directement parce que j’ai été interdite de quitter le territoire après l’affaire de l’interview qui me vaut une poursuite pour atteinte au régime monarchique. J’étais censée traiter de ce sujet dans le cadre du Forum Social Méditerranéen auquel j’ai été invitée par l’association catalane Sodepau que je remercie chaleureusement pour son ouverture.

Interpellée dans la salle d’embarquement, j’ai été empêchée à la dernière minute de quitter le territoire. On dit que j’ai provoqué le Roi ; en fait j’ai défié le mensonge Makhzenien.

Makhzen est un terme marocain qui désigne le Pouvoir or Mme Christine Daure-Serfaty rappelle qu’étymologiquement cela veut dire « épicerie ». Jamais le Makhzen n’a plus mérité son appellation étymologique. N’ayant pas de stratégie il opte pour des bilans à la petite semaine.

J’ai un procès le 28 juin 2005 alors que je suis encore en appel pour le verdict qui m’a valu 4 mois de sursis pour avoir manifesté avec le mouvement auquel j’appartiens le 10 décembre 2001, jour international des droits de l’homme en solidarité avec l’AMDH (association de l’extrême gauche : Association Marocaine des Droits de l’Homme) et contre toutes les violations de ces droits à quelque niveau que ce soit. Je suis passible de trois à cinq ans de prison pour ce nouveau procès.

Tous les « démocrates » marocains sont en émoi ; les vrais (très peu nombreux, voire en voie de disparition, qui m’ont soutenue dans le sens du droit à la liberté d’expression) et les faux qui ont déclenché un véritable tsunami « démocratique » contre mon droit de penser en dehors de la panurgite nationale.

Je défraye la chronique depuis deux semaines environ pour avoir osé …commettre le crime de réfléchir autrement …et d’avoir exprimé une approche académique qui sort de la norme tracée. Toujours est-il que nos chers démocrates se sont bien démasqués cette fois dans une logorrhée haineuse pleine de fiel contre tout ce qui peut sortir le Maroc de son sommeil sacré. C’est l’unanimité de l’élite pour le statu-quo et la non assistance à nation en danger de crise cardiaque ; crise chronique et ancienne puisque je tiens le diagnostic d’un discours de feu Hassan I (que Dieu l’ait en sa sainte miséricorde).

Dans ces calculs épiciers, le Makhzen qui a des concordances étymologique aussi avec une idée de barrage m’a empêché de quitter son territoire…Jaloux peut-être de ses ressources humaines qui lui manquent tant…

Je n’ai pas assisté au Forum mais, à l’heure de la mondialisation, il est impossible d’arrêter la pensée. Mais que dire à un…entrepôt ? L’intervention, grâce aux vrais démocrates et militants de Sodepau sera lue.

Toutefois je regrette de ne pas avoir assisté à une telle manifestation pour deux raisons majeures.

1°) D’abord pour le grand respect que nous avons envers ces mouvements qui luttent pour des sociétés équitables et un avenir à visage humain. Nous pensons que c’est un espace où une véritable solidarité entre les bonnes volontés peut naître et se développer. Et cela convient parfaitement à notre vision de l’avenir. Le partenariat, la solidarité de tous sont l’antidote contre la barbarie de la globalisation matérialiste.

2°) Ensuite j’aurais voulu remercier de vive voix l’effort des amis de Sodepau qui ont relevé le grand défi de dépasser l’émotion et d’aller vers une démocratisation réelle de ce mouvement. Ils sont allés dans le sens d’un véritable dialogue et non plus d’un monologue qui juge sans comprendre et écouter ce que l’autre peut proposer…

Je les remercie infiniment ainsi que tous ceux qui m’ont soutenue. Je remercie également Mme Nahla Chahal de du CCIPPP pour m’avoir invitée à participer dans un atelier dans le même cadre.

Intervention de Madame Nadia Yassine dans le cadre du Forum Social Méditerranéen sur invitation de l’association catalane Sodepau.

Présentation du Mouvement Justice et Spiritualité

Un grand salut à tous les militants

L’observateur étranger perçoit le mouvement « Justice et Spiritualité » comme un mouvement politique « islamiste » et on nous rajoute souvent extrémiste. Dans cette intervention il s’agira de décortiquer cette définition.

Sommes- nous « islamistes »(vocable chargé de toutes les connotations négatives) ?

Sommes- nous un mouvement politique ?

Sommes -nous extrémistes ?

I – Sommes-nous islamistes ?

Si être islamiste veut dire se définir par rapport à un référentiel islamique alors nous sommes « islamistes » mais cette définition par rapport au référentiel islamique ne correspond pas à l’image réductrice qui assimile l’islam au terrorisme. Il est impératif de sortir de ce manichéisme qui compromet à jamais tout espoir de dialogue. La réalité du monde musulman est beaucoup plus complexe que ce que ce que développe cette approche simpliste due à une paresse intellectuelle souvent, à l’islamophobie très en vogue toujours après le 11 septembre.

L’islamisme ou le recours au référentiel islamique est si varié que les thèses en deviennent parfois antinomiques les unes des autres. L’islam n’est ni un bloc idéologique, ni une réalité sociopolitique unique. Quel rapport entre le wahabisme et le soufisme ; entre la Turquie et le Maroc, entre le Qatar et la Malaisie. 

Quand on parle de l’islamisme au Maroc (par exemple), on pense que c’est un bloc monolithique avec quelques variantes près. On ne sait pas que j’ai été personnellement déclarée apostat par des membres d’un mouvement marocain, dit lui aussi, islamiste.

 Non seulement parce que je suis une femme qui ne devrait pas avoir de visage ni jouir du droit à la parole mais parce que nos idées sont jugées trop dérangeantes pour beaucoup de lectures traditionnelles pour lesquelles la légitimité du pouvoir autocratique est sacrée.

Tout cela pour dire qu’il y a un véritable débat dans le monde musulman et une pensée contestataire et autocritique qui peut trouver des recoupements tout à fait possibles avec l’esprit de ce forum. Etre islamiste pour notre mouvement c’est d’abord se ressourcer par rapport à un référentiel spirituel qui reste celui des peuples musulmans et y puiser la légitimité nécessaire et le consensus pour gérer la modernité et dépasser nos archaïsmes politiques.  

II – Sommes-nous un mouvement politique ?

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Il est très clair que la dimension politique est très présente dans notre théorie comme dans notre pratique.

1) Dans la théorie

Nos écrits de base remettent en question l’histoire officielle du pouvoir en mettant le doigt sur tous les détournements à des fins politiciennes subis par le Message coranique à l’heure des grands schismes de l’Islam (quelques décennies après la mort du Prophète.). Ils dénoncent l’inversement du processus qui voulait, à l’origine, que le pouvoir soit au service d’un Message porteur d’une spiritualité universelle et d’une équité  sociale à multiples applications.

En effet depuis le coup d’Etat ommeyade, la Révélation fut prise en otage par le Pouvoir et servit la cause des tyrans avec la complicité consciente ou inconsciente d’une certaine jurisprudence.

La dynamique salutaire et universelle amorcée par la Révélation coranique et la pédagogie de l’enseignement du Prophète en fut bouleversée. Tout s’en trouva remis en question : de la théorie du pouvoir jusqu’au statut de la famille en passant par la qualité de nos sociétés politiques. Les peuples islamiques se trouvèrent petit à petit emprisonnés dans les imbroglio d’un système juridico-politique légitimant l’autocratie et privant nos peuples de toute culture politique ; les excluant, du coup, de toute initiative volontariste. Toute la force vive de nos nations fut déviée à l’encontre de l’ennemi extérieur et la seule action qu’on nous permettait était celle qui servait la volonté des Princes et leur intérêt.

Ne nous étonnons pas de voir une telle violence se développer dans nos sociétés. L’ennemi ne peut être qu’extérieur et que physique. L’autocritique et la construction de nos sociétés ne sont pas à l’ordre du jour dans notre culture détournée de l’esprit du Message.

Parti pour être le précurseur d’un modèle universel qui trouve beaucoup de recoupements avec les modèles démocratiques les plus civilisés, le monde musulman devint le vivier de tous les extrémismes et la pépinière de tous les excès en matière de despotisme, champ propice à la misère psychologique et économique où nous sommes arrivés aujourd’hui.

2°) Dans la pratique

S’il est clair pour nous que l’autocratie doit être dénoncée comme ne correspondant pas à nos sources spirituelles et à nos repères historiques originels ; il est très clair aussi qu’il n’est pas question d’opter pour la violence contre le régime en place. Le Pouvoir est certes essentiel pour un véritable changement mais il n’est pas question de viser le pouvoir pour le pouvoir. Pour cela nous avons construit l’action politique sur 3 « NON »

– Non à la violence

– Non à la clandestinité

– Non au financement extérieur.

a) Non à la violence

Basée sur la non- violence notre action ne peut être que volontariste car nous pensons que le choix initial de l’Islam est l’Education et que l’homme est la base de toute chose et de toute société. Changer l’homme pour changer la société. Le pouvoir suivra d’une façon ou d’une autre. L’Education est donc pour nous un chantier-clef afin de renouer avec nos sources et à élever la visée de l’homme vers des horizons spirituels qui l’anoblissent et qui le préparent à sa félicité éternelle que seul le divin nous permet de percevoir ; mais aussi afin de libérer les consciences des carcans historiques.

b) Non à la clandestinité

Nous refusons l’action clandestine subversive et avons choisi la légalité en présentant un dossier en bonne et due forme aux autorités en tant qu’association légale. Le pouvoir se met dans l’illégalité en enfreignant ses propres lois et en nous déclarant semi-clandestins.

Le Pouvoir veut nous emprisonner dans le jeu partisan afin de nous décrédibiliser. Notre chantier éducationnel est installé depuis une trentaine d’années. Nous misons sur le long terme mais cela ne veut pas dire que nous sommes des quiétistes. Si le Maroc avance c’est bien parce que nous le bousculons chaque fois qu’il est possible pour que le Pouvoir lâche du lest. C’est nous qui avons instauré la culture de la manifestation civilisée lors de la série de procès que le Pouvoir n’a cessé de nous intenter depuis trois décennies. Nous avons fait avancer la liberté d’expression après que la gauche ait été enrayée de la vie politique ou récupérée pour ses faiblesses intrinsèques et fatales. Nous payons cette avancée de notre liberté et de notre paix personnelle.

c) Non au financement extérieur  

Le non au financement extérieur nous garantit la liberté de pensée et nous protège des dérives que le 11 septembre a révélé. N’ayant de compte à rendre à personne, nous sommes un mouvement pauvre mais libre de notre pensée.

III – Sommes-nous des extrémistes ?

On doit cette accusation à notre attitude intransigeante envers le Pouvoir. Nous avons, certes, une attitude des plus fermes envers le régime autocratique et le condamnons sans appel qu’il prenne l’aspect d’un régime monarchique héréditaire ou celui d’une pseudo-République excluant la souveraineté populaire au point de devenir plus héréditaire que la Monarchie (cf Syrie, et bientôt l’Egypte, Lybie, Irak…).

Ceux qui prennent le temps d’analyser notre pensée s’aperçoivent très vite que nous sommes d’obédience soufie. La spiritualité est un puissant antidote contre la barbarie et nos programmes éducationnels se basent essentiellement sur cette dimension. Il s’agit de convaincre non d’imposer.

Nous prônons aussi l’idée que le Coran est certes le repère par excellence de notre identité et que loin de condamner l’effort de réflexion, il l’encourage et en fait même une obligation.

Dire :« il y a tout dans le Coran » pour tourner le dos à la réflexion est encore le subterfuge d’une jurisprudence complice avec les pouvoirs en place qui rejettent l’idée que la terre tourne. Le Coran est une Constitution certes or une Constitution ne donne jamais de détails et garantit les options majeures des sociétés. Si le Coran garantit une chose au niveau de l’option politique, il garantit la souveraineté populaire, à condition d’en mettre l’interprétation à l’abri de la jurisprudence complice d’une quelconque autocratie.

Nous voulons libérer les peuples musulmans en dégageant le Coran de ces lectures du compromis.

Nadia yassine
Jeudi 15 juin 2005

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