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Le dispositif médiatique français, une singularité dans le monde occidental

La France se retrouve en 44me position, en matière de liberté de la presse, au classement annuel de « Reporters sans frontières », publié fin octobre. La « Patrie des Droits de l’homme », ce pays qui a longtemps revendiqué une « charge d‘aînesse » à l’égard des « peuples primitifs » pour justifier ses conquêtes coloniales, est désormais dépassé par des pays tels que la Lituanie, la Jamaïque, la Namibie, la Tanzanie, la Corée du Sud et la Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Le dispositif médiatique français présente une double singularité dans le monde occidental, celui d’être détenu pour l’essentiel par des amis d’un président en exercice, en l’occurrence Nicolas Sarkozy, et, de concentrer la plus forte endogamie entre média et politique dans la sphère occidentale.

Fait sans précédent dans les annales des médias, les grands titres de la presse écrite et audiovisuelle se trouvent sous la coupe de grands conglomérats quasi exclusivement tributaires des commandes de l’Etat, dont la fortune s’est constituée sur la base des marchés publics financés par le Budget, soit en dernier ressort par le contribuable, dont ils formatent désormais l’opinion par leur rôle prescripteur, découlant de leur position hégémonique.

Voici, à titre informatif, le dispositif médiatique français, détenu pour l’essentiel par les deux principaux marchands d’armes, Arnaud Lagardère et Serge Dassault, et, le principal bétonneur du pays, Martin Bouygues.

Arnaud Lagardère, qualifié de « frère » de Nicolas Sarkozy, actionnaire de référence pour le compte français du groupe aéronautique EADS, est le premier éditeur français et le détenteur du principal réseau de librairie de France via les relais « Relay », dans les gares françaises et les stations du métro parisien.

Dans le domaine audiovisuel, il possède trois stations de radio (radio Europe1, Europe 2, RFM), quatorze chaînes de télévision (Canal J, MCM, Mezzo, Tiji, la chaîne météo, CanalSatellite, Planète, Planète Future, Planète Thalassa, Canal Jimmy, Season, Ciné Cinéma et Euro Channel, ainsi que le site informatif Allo Ciné Info. Dans le domaine de la presse écrite : L’hebdomadaire Paris Match, Elle magazine, le Journal du Dimanche, et deux quotidiens régionaux, La Provence et Nice Matin.

Dans l’édition, Hachette, Fayard, Grasset, les éditions juridiques Dalloz, Dunod et Armand Colin, les éditeurs scolaires Larousse Hatier, Hazan, Le Masque, Marabout, Pluriel, Stock, Le Livre de Poche.

Arnaud Lagardère possède en outre « Lagardère Team Sport », une équipe pluridisciplinaire de sportifs de haut niveau pour des compétitions professionnelles.

Martin Bouygues, parrain d’un des trois fils de Nicolas Sarkozy, Louis, est le premier groupe de bâtiment et travaux publics de France et propriétaire d’un des trois réseaux de téléphonie mobile (Bouygues telecom).

Dans le domaine audiovisuel, il possède la chaîne généraliste de télévision TF1, la plus importante de l’espace francophone européen, et ses treize déclinaisons : la chaîne d’information continue, LCI, Odyssée, Eurosport, Histoire, UshuaïaTV, S Star, Cinétoile, Cinéstar, Télétoon, Infosport, Série Club, TF6, TV Breizh.

Bouygues dispose d’une gamme de trois sociétés de production de films : Téléma, Film Par Film, TF1 Film Production, les sociétés de distribution de films : TFM, la société d’édition vidéo (TF1 Vidéo) et pour la presse écrite de deux magazines (Tfou Mag, Star Academy), ainsi que du quotidien gratuit Métro.

Serge Dassault, avionneur, fabricant du Rafale, l’avion de supériorité technologique, également proche de Sarkozy, possède Le Figaro, L’Express, le Figaro Magazine et Valeurs Actuelles. Le sénateur de l’Essonne a eu un moment, l’été 2010, des visées sur « Le Parisien », le quotidien le plus lu du bassin parisien.

A ce trio, il convient d‘ajouter, Vincent Bolloré, le vacancier du président français, à qui il a prêté son yacht pour sa première escapade post électorale à Malte. M. Bolloré possède la chaîne de télévision Direct TV,, les journaux gratuits Direct Soir et Matin Plus, en sus du groupe publicitaire Havas où figure dans son escarcelle la firme RSCG de Jacques Séguela, le marieur de Nicolas Sarkozy avec le mannequin Carla Bruni, ainsi que l’institut de sondage CSA. Deux autres instituts de sondage sont détenus par des proches du président, l’IFOP par la patronne des patrons français, Laurence Parisot, présidente du MEDEF, Et Opinion Way, le plus grand bénéficiaire des contrats publicitaires de la présidence sarkozy.

Deux grands titres quotidiens parisiens échappent à l’emprise directe du pouvoir : le journal « Le Monde », détenu majoritairement par des actionnaires ne bénéficiant pas de l’agrément présidentiel (le banquier Mathieu Pigasse (Banque Lazard), Xavier Niels (le réseau internet Free) ainsi que Pierre Bergé, le patron de la maison de couture Yves saint Laurent, ainsi que le quotidien « Libération » (banquier Edouard Rothschild), et deux hebdomadaires, la revue Marianne.

Indice d’un activisme fébrile à l’égard des médias, l’homme qui avait placé son conseiller durant la campagne présidentielle, Laurent Solly, à la direction de TFI, récidivera quelques mois plus tard en propulsant Harry Roselmack au siège de présentateur du 20 Heures de la Une, premier noir aux manettes du JT le plus vu d’Europe, et son ami Pierre Sled, à la tête des programmes de France télévision, alors que Jean Pierre El Kabbache, sur Europe 1, lui fait office d’amplificateur radiophonique, sollicitant son agrément pour la nomination de journalistes affectés à sa couverture.

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Dans la foulée, Nicolas Sarkozy fera promulguer une loi sur l’audiovisuel public, en février 2009, conférant au Président de la république le droit de nomination des présidents de l’audiovisuel public (France Télévisions et Radio France), dessaisissant le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) de cette prérogative, qui se borne désormais à donner un simple avis. Les commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat disposent bien d’un droit de veto, qui demeure, toutefois, assez symbolique. Le Parlement ne peut, en effet, rejeter une nomination voulue par le chef de l’Etat que si une majorité qualifiée 3/5e des députés et sénateurs des deux commissions se dégage.

Autre singularité française, l’endogamie entre média et politique atteint un record en France, où la scène politico médiatique contemporaine abonde de ces couples célèbres dont les plus visibles sont Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères, et Christine Ockrent (France 24-pôle audiovisuel extérieur), Jean Louis Borloo, ministre d’État et ministre du Développement durable et Béatrice Schoenberg (France 2), Dominique Strauss-Kahn, ancien ministre des Finances et Directeur du Fonds Monétaire International, et Anne Sinclair (RTL-TF1), Alain Juppé (à l’époque ministre des Affaires étrangères) et Isabelle Juppé (La Croix), sans oublier les deux dernières idylles, celle de Nicolas Sarkozy avec Anne Fulda (Le Figaro), du temps de l’escapade new-yorkaise de son épouse Cécilia Sarkozy et celle de François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, avec Valérie Trierweiler (Paris Match, puis Direct TV) et l’intermède de François Baroin, du temps de son passage au ministère de l’Intérieur avec Marie Drucker (France 3).

La mutation professionnelle a cédé la place à l’accouplement. Dans le nouveau cas de figure, l’activité ne change pas, mais se couple tant au niveau de la vie professionnelle que conjugale avec un partenaire qui représente l’autre pôle du pouvoir, nourrissant par là même le procès d’une confusion des genres préjudiciable à la démocratie.

Dans ce contexte, Internet semble avoir pris la relève, devenant le refuge la presse critique, particulièrement les sites électroniques Médiapart et Rue 89, ainsi que le site satirique Bakchih aux côtés de l’hebdomadaire satirique « Le Canard Enchaîné », principal pourvoyeur des révélations de la presse française sur le dysfonctionnement du pouvoir.

Indice du climat délétère qui règne dans les rapports entre médias et politique, sous la présidence Sarkozy, le chef de l’état a convoqué, en personne, dans un procédure inhabituelle, le directeur du Monde, Eric Fottorino, pour lui signifier son mécontentement du choix de ses nouveaux actionnaires, présumés proches du parti socialiste. Le journal le Monde, de son côté, a déposé une double plainte pour violation des sources professionnelles en rapport avec l’affaire Woerth Bettencourt, portant sur un possible financement occulte du parti présidentiel (UMP) et sur un possible conflit d’intérêt du ministre du travail, ancien ministre du budget.

Deux journalistes travaillant sur cette affaire, Gérard Davet (Le Monde) et Hervé Gattegno (Le Point), ont été cambriolés, fin octobre 2010, et leur ordinateur respectif dérobé, de même que deux ordinateurs du site Mediapart, qui joua un rôle pionnier dans cette affaire, alors que le site « Rue 89 » était poursuivi par Alain de Sérigny, conseiller d’Eric Woerth, en dédommagement d’un préjudice qu’il estime à cinq millions d’euros.

« Le Canard enchaîné » va même jusqu’à soutenir que Nicolas Sarkozy, en personne, superviserait l’espionnage de journalistes. L’accusation est de taille. Dans un article signé de son rédacteur en en chef, Claude Angeli, l’hebdomadaire satirique en date du 3 novembre 2010 affirme que « depuis le début de l’année, au moins, dès qu’un journaliste se livre à une enquête gênante pour lui ou pour les siens, Sarkozy demande à Bernard Squarcini, patron du renseignement français, de s’intéresser à cet effronté. En clair, de le mettre sous surveillance, de recenser ses relations et, surtout, ses informateurs ».

Citant des sources anonymes au sein de la division centrale du renseignement intérieur (DCRI), le journal précise que la DCRI a même mis en place un groupe spécial chargé de traquer les sources de certains journalistes. La méthode, explique Le Canard enchaîné, passe d’abord par la consultation des factures téléphoniques détaillées des journalistes pour identifier leurs sources. « Les opérateurs sont d’une grande complicité avec nous », assure une source au sein de la DCRI. L’hebdomadaire évoque le cas d« Un bon nombre de membres du Quai d’Orsay convoqués au siège de la DCRI », à la suite d’une plainte déposée par Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères.

Alain Genestar, Directeur de Paris Match, avait été, auparavant, démissionné de son poste sur injonction de Nicolas Sarkozy pour avoir autorisé la publication d’une photo de Cecilia Sarkozy, se baladant dans les rues de New York avec son amant de l’époque devenu depuis lors son époux, le publiciste Richard Attias et l’éditeur First, qui se proposait de publier un livre de Valérie Domain, journaliste à Gala et auteur d’une biographie autorisée sur Cécilia Sarkozy, y renoncera à la suite de sa convocation au ministère de l’intérieur, fin 2005, au terme d’une conversation sans doute persuasive de Nicolas Sarkozy.

Pour la première fois depuis la création du classement annuel, en 2002, Cuba ne fait pas partie des dix derniers, mais occupe quand même la 166e place sur 178. Au “trio infernal, Erythrée, Corée du Nord, Turkménistan” s’ajoutent l’Iran, la Birmanie, la Syrie, le Soudan, la Chine, le Yémen et le Rwanda, précise l’association.

La France (44eme position) se place juste devant l’Italie (49eme place) en matière de liberté de la presse, parmi les grands pays européens. « La France perd encore une place et les déclarations de la majorité présidentielle « très menaçants, parfois insultants, envers certains médias ont eu une résonance mondiale et, dans beaucoup de pays, le gouvernement français n’est plus considéré comme respectueux de la liberté d’information », souligne RSF dans la 9eme édition de son classement dans une allusion aux attaques des partisans du président Nicolas Sarkozy contre la presse, particulièrement la presse électronique (Mediapart et Rue 89) dans la foulée de l’expulsion musclée des Roms, en guise de dérivatif au scandale Woerth Bettencourt.

RSF fait remarquer que « si l’Union européenne ne se ressaisit pas, elle risque de perdre son statut de leader mondial dans le domaine du respect des droits de l’homme », posant la question de son autorité morale à l’égard des régimes autoritaires. « Comment pourra-t-elle alors se montrer convaincante lorsqu’elle demandera aux régimes autoritaires de procéder à des améliorations ? » écrit-il.

Il invite en conséquence les pays européens à « retrouver leur statut d’exemplarité.”

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