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Le coup d’Etat égyptien vu de Tunisie

Il est toujours délicat de commenter de grandes mutations historiques sans le recul nécessaire à cet exercice. Il est encore plus difficile de réagir à chaud face à un évènement majeur aussi complexe que le « Tamarrod » égyptien et ses répercussions sur le paysage politique tunisien, les destinées des deux pays étant intimement liées depuis les révolutions de 2011.

Complexes, les récents évènements en Egypte restent pourtant simples à bien des égards. S’agissant des deux processus révolutionnaires respectifs en Tunisie et en Egypte, un élément de taille biaise la donne dans ce dernier pays : la révolution du 25 février ne s’est jamais réellement affranchie de ce péché originel qu’est une armée toujours aussi hégémonique. Un vieux contentieux jamais vraiment réglé l’oppose inlassablement aux Frères.

Les tenants du récit officiel de la « révolte populaire » du 3 juillet omettent de s’attarder sur le rôle littéralement providentiel de l’armée. Coup d’Etat post-moderne, « révolution assistée », encadrée, ou manipulée ? La nature réelle de cet ovni hybride tient en grande partie à la personnalité même du général al Sissi.

Tel un dramaturge omnipotent assénant un deus ex machina, ce sont ses hélicoptères de guerre qui ont largué à grands renfort d’effets spéciaux de laser verdoyant ces drapeaux « tombés du ciel » sur une foule certes hétéroclite. On en verserait presque une larme tant ce méga show fait appel aux ressorts habituels mais encore efficaces du nationalisme le plus convenu.

Le conte de l’armée se rangeant aux côtés du peuple serait idyllique si ce n’était le long historique des armées en la matière, des bruits de bottes qui ne se sont jamais avérés très democracy-friendly.

Nous pourrions nuancer en insistant sur le fait que l’armée a mis en place un civil pour assurer l’intérim. Mais quand le voile tombe sur l’épilogue, c’est bien Abdelfettah al Sissi qui prend la parole debout, entouré notamment d’hommes de religion assis, pour orchestrer une partition elle aussi bien réglée. Pour la révolution sans représentants des cultes, il faudra repasser.

Et si vous aviez quelques doutes quant au caractère contre-révolutionnaire de l’opération, les arrestations massives, conformément au bon vieux principe du délit d’appartenance, sont immédiatement là pour sceller le retour à la case départ, tout comme la censure de chaines religieuses mais aussi d’al Jazeera Direct.

Le génie inconscient du peuple tunisien aura probablement été de « déposer » un chef d’état-major des armées dont on découvrait quelques jours avant les évènements en Egypte qu’il ne se contentait plus non plus de sa mission de militaire. De quoi garantir qu’en Tunisie, les Frères ne renoueront pas de sitôt avec un statut qu’ils affectionnent : celui de victime.

Vers une « révolution bourgeoise » ?

La personnalité du « centriste intéressé » Al Baradei donne aussi à voir quelques similitudes avec l’expérience tunisienne qui là aussi a un train d’avance. Après avoir lui aussi accouru pour contribuer au premier gouvernement de transition de Mohamed Ghannouchi, Ahmed Néjib Chebbi défend aujourd’hui l’actuel projet de Constitution.

Pour trouver dans l’échiquier politique tunisien ceux qui sont les plus enthousiasmés par le mouvement Tamarrod égyptien, il faut se tourner d’abord vers tout ce qui se trouve à droite de l’ex PDP : Nidaa Tounes et l’ex- Afek Tounes. C’est là un enseignement important sur les orientations idéologiques d’un mouvement qui se dit apolitique.

L’une des interrogations persistantes autour de « Tamarrod » est en effet celle de savoir si le dénominateur commun de ses partisans c’est être anti islam politique, ou bien plus largement anti révolution elle-même, une révolution coupable d’avoir bénéficié aux Frères.

Le soutien d’une partie de l’extrême gauche (Front Populaire) complique davantage encore la détermination de ce qui fait l’essence de Tamarrod, un mouvement fait à la fois de déçus du scrutin de 2012, de nostalgiques, d’opportunistes, mais aussi d’anti islamistes épidermiques tentés de fermer les yeux sur un coup de force immoral au regard de l’éthique démocratique (recours à l’armée, alliances contre-nature, président Morsi fraîchement élu, etc.).

Concrètement, cette redistribution des cartes à l’aune du nouveau schéma égyptien se traduit cette semaine par les prémices de l’implosion d’al Joumhouri : les libéraux d’Afek accélèrent leur défiance par rapport au clan Chebbi qu’ils accusent d’être trop complaisant envers le pouvoir issu des élections du 23 octobre. Le premier cadre à quitter le parti vendredi est Yassine Brahim.

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Plus que jamais isolé, Chebbi assistait cette semaine, beau joueur, au premier congrès de l’Alliance démocratique, des sécessionnistes de son parti historique. C’est aussi l’occasion pour Nidaa Tounes, potentiel équivalent du parti d’Ahmed Chafiq aux prochaines élections, de reparler sans sourciller de révolution et de « correction du processus révolutionnaire »…

Le weekend dernier, tentant déjà de surfer sur la vague égyptienne, le parti de Béji Caïd Essebsi n’avait pu rassembler que quelques centaines de sit-inneurs devant l’Assemblée constituante. Il y a fort à parier que les structures du parti se placeront dorénavant plus intelligemment derrière le noyau Tamarrod version tunisienne. Mais ce dernier consiste en de jeunes illustres inconnus qui peinent à rassembler au-delà des effets d’annonce (200 000 signatures, 10 fois plus de signatures escomptés).

Les « foulouls » sont restés puissants en Egypte où des portraits de Moubarak sont régulièrement brandis à son procès. Impensable en Tunisie à part quelques excentriques à l’image de Mezri Haddad qui dès 2012 appelait l’armée à prendre le pouvoir. D’où la nécessité pour un peuple, davantage habitué à créer qu’à cloner, d’inventer sa propre rébellion si elle devait avoir lieu.

En somme, ce que la crise égyptienne vient rappeler aux fragiles démocraties arabes naissantes, c’est aussi la faillite d
es gauches arabes, décimées par des décennies de dictature, incapables de se réorganiser sans un esprit missionnaire comparable à celui des Frères.

Hollande arrive à point nommé

La semaine politique fut par ailleurs marquée de bout en bout par la visite évènement de François Hollande, la première d’un président français après deux années d’un froid diplomatique résultat des bévues du sarkozysme.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la visite d’Hollande, jusqu’au bout incertaine, est un soulagement pour son homologue tunisien.

Car ce que la tournure prise par la révolution égyptienne remet en cause, c’est précisément le modèle de cohabitation / coalition instauré par la troïka tunisienne. Une expérience déjà compromise avant les velléités de Tamarrod.

Dans ces conditions, la visite d’Etat du président français est une aubaine. Ce n’est plus seulement un nouveau capital légitimité que François Hollande vient insuffler au palais de Carthage : sa venue dans ce timing de crise est vitale pour un président Marzouki qui s’offre une tribune internationale. Devant un pavé médiatique des grands jours, il s’indigne jeudi de ce qu’il qualifie d’« intervention inacceptable de l’armée dans le processus démocratique égyptien ».

Un peu plus circonspect, le président français se contentera de prendre acte du contexte égyptien, tout en soulignant « un aveu d’échec » et l’« arrêt d’un processus ».

Sans que l’on sache vraiment si l’échec dont il s’agit est celui de la démocratie ou du bilan gouvernemental égyptien, l’échec dont des leçons ne manqueront pas d’être tirées est celui des Frères musulmans.

Commettant plus d’erreurs que leurs frères tunisiens moins radicaux, esseulés par un rejet des autres acteurs de la vie politique, ils auront permis à des forces à l’affut de phagocyter ce qu’il leur restait de légitimité. Des forces autoritaires qui ont aisément récupéré à leur avantage la colère de la rue. Ni la devise un peu courte « l’islam est la solution », ni les compétences d’un successeur installé par les militaires n’apporteront de réponses viables en Egypte.

Cette impasse inspirera vraisemblablement deux réflexes de survie à Ennahdha aussi peu réjouissants l’un que l’autre : soit le parti mettra de l’eau dans son vin en draguant à nouveau Nidaa et l’ancien régime, soit il durcira le ton avec des Ligues de protection de la révolution radicalisées.

Nawaat

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