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De l’Algérie de Nezzar à l’Egypte de Sissi : le même refus de la démocratie au nom des alibis anti-islamiste et féministe

La victoire du FIS aux élections législatives du 26 décembre 1991 en Algérie a été saluée avec ferveur par le commandant Abdessalem Djelloud qui s’est dit persuadé du succès des islamistes dans toute consultation libre organisée dans le monde arabe. Ces propos valurent au numéro 2 libyen d’être mis en résidence surveillée jusqu’en 2011, quand les milices islamistes marchaient sur Tripoli avec le soutien de Bernard-Henri Lévy.
L’ex-nouveau philosophe voyait l’ensemble des problèmes musulmans à travers ce que lui disait le commandant Massoud qui tendait, à entendre B. H. Lévy (surtout soucieux de faire oublier l’ancienneté et la gravité du conflit israélo-palestinien), à faire de l’Islamisme le seul et unique grand problème des pays musulmans. Bien que le pronostic de Djalloud ait été confirmé par les victoires électorales des islamistes au Tadjikistan en 1992, puis au Yémen en 1994, la France, suivie en cela par les pays de l’Union Européenne, a préféré les simplifications récurrentes du médiatique B. H. Lévy au réalisme du commandant Djalloud.
L’intervention de l’armée russe à Doutchambé pour arrêter les chefs du Parti de la Renaissance Islamique, coupables d’avoir gagné les élections législatives d’avril 1992, fut accueillie avec la même bienveillance que le « coup d’Etat du soulagement » (Jean Daniel) du 11 janvier 1992 fomenté à Alger par des adversaires de l’alternance. C’est ainsi que l’on a fait croire au mythe de la « dictature, rempart contre l’intégrisme ».
Des commentateurs habituellement plus nuancés expliquaient qu’il suffisait d’aider l’Algérie à se débarrasser de ses méchants islamistes pour que tous les autres problèmes trouvent leur solution, par surcroit. Des pigistes algériens de service, surenchérissaient sur le « nazisme vert ». D’autres relais des officines inspirées par l’Action psychologique du V° Bureau de la guerre d’Algérie invoquaient les élections de 1933 en Allemagne, comme Finkielkrault citait Munich à tout bout de champ.
L’alibi féministe servit, au Nouvel Observateur notamment, à présenter les putschistes du 11 janvier 1992 comme les sauveurs de la femme algérienne moderne. Etait systématiquement accusé de complicité avec le terrorisme quiconque s’avisait de comparer cette laborieuse justification d’un acte anti-démocratique avec l’approbation de l’invasion soviétique de l’Afghanistan par Georges Marchais, qui crédita l’Armée Rouge d’une volonté d’abolir le « droit de jambage ».
Dans les salles de rédaction parisiennes, les « Républicains » algériens exposaient leurs singulières conceptions d’une « démocratie sans élections », au nom d’un laïcisme protégé par des militaires prétendant prémunir toute la rive Nord de la Méditerranée contre le péril d’un nouveau « Califat ».
Cette rhétorique sonore et répétitive, relayée par ceux qui voyaient l’Algérie à travers les hydrocarbures et la francophonie, rendait inaudibles les commentaires de ceux qui surent raison garder et pronostiquèrent que le nouveau régime algérien allait ressembler, au mieux à la fausse démocratie égyptienne, au pire au système policier de Ben Ali. L’Algérie de la « décennie rouge » sera les deux à la fois. Et quand les « décideurs » eurent des velléités de « renouer les fils de la démocratie » en organisant des élections législatives en 1997, Abdelhamid Mehri a eu son mot célèbre : « l’Armée algérienne a pris la décision de ne plus jamais perdre les élections ».
La rhétorique des « éradicateurs » algériens vient d’être réduite à l’état de mythologie par les révélations faites par Ahmed Taleb-Ibrahimi sur la chaîne El Djazira.
Le favori de l’élection présidentielle d’avril 1999, qui s’est retiré in extremis de cette compétition pour cause de fraude avérée, a fait état de ses rencontres avec Abdelkader Hachani lequel a tenu compte de sa recommandation de se contenter des 188 députés du FIS élus au premier tour des élections législatives du 26 décembre 1991. La direction du FIS fit savoir aussi qu’elle comptait gouverner dans le respect de la Constitution de 1989, qu’elle n’était intéressée que par trois ministères (Justice, Education, Affaires Sociales) et qu’elle proposait Hocine Aït Ahmed, le fondateur du FFS, au poste de premier ministre.
Tous les éloges adressés à l’AKP turc pour sa « modération » et sa capacité à substituer la « culture de gouvernement » à « la culture d’opposition » au point de devenir un vrai parti « musulman-démocrate », auraient été adressés à l’Algérie, s’il n’y avait pas eu le coup de force du 11 janvier 1992 et sa justification a postériori par une active propagande de diabolisation à outrance, accusant le FIS d’avoir voulu accéder au pouvoir par la force ! Même Tariq Ramadan se laisse inspirer par cette propagande quand, avec une connaissance approximative du contexte algérien, il accuse le FIS d’avoir voulu « profiter des élections pour tuer la démocratie ». Aux yeux de l’ex-représentant  des « jeunes musulmans de France », qui est devenu moins loquace depuis qu’il bénéficie de la protection de la Amira Mouza (sans doute désireuse de préparer la « succession » d’un Qaradhaoui en perte de crédibilité), le FIS a sans doute le tort de n’avoir pas adhéré à l’Internationale des Frères Musulmans, et d’avoir présenté des candidats de la Djazara (si décriée par Mahfoud Nahnah, qui aura surtout servi de caution islamiste à la politique d’éradication), et de ne pas faire partie de la liste des formations islamiques que le Qatar peut mettre au service de sa « politique musulmane » destinée à concurrencer le « néo-ottomanisme  saoudien » (Olivier Carré)..
Au moment où les révélations successives font découvrir la structure mythique de l’idéologie des éradicateurs algériens, à laquelle s’obstinent à s’accrocher Mazri Haddad, Naoufal Brahimi et Nicolas Beau (si complaisant avec la « Françalgérie » après avoir été implacable, apparemment, avec la « Françafrique »), cette argumentation spécieuse se trouve reprise par les faux libéraux et les pseudo-laïcistes des bords du Nil qui cherchent à rendre plus consistante la maigre argumentation du général Sissi. Ce médiocre orateur, pour qui les privilèges des Nomenklaturas civiles et militaires passent avant la vox populi, risquerait d’être accusé de plagiat par le général Nezzar à qui il emprunte ses autojustifications. Mais le tombeur de Chadli doit être content d’être imité à un moment où en Algérie ses démonstrations sont devenues très peu convaincantes.
L’ancien général égyptien du renseignement, aussi peu converti à la démocratie que Poutine, a pris la tête d’un mouvement qui, après avoir permis à l’Arabie saoudite de prendre une revanche sur le Qatar, est passé allègrement de la demande d’une élection présidentielle anticipée à une vraie contre-révolution qui envisage de libérer Moubarak et son ministre de l’Intérieur (qui avait commandité les attaques contre les Coptes).
Il promet de rétablir la démocratie, mais sans la participation des Frères Musulmans, qui sont accusés de « terrorisme ». Les manifestants pro-Morsi répondent par « al Inqilab Irhab » (c’est le coup d’Etat qui est terroriste). Pour justifier ces changements successifs d’objectifs, les idéologues du nouveau pouvoir se livrent à de laborieuses démonstrations qui ressemblent beaucoup aux explications alambiquées que servaient Réda Malek, Ali Haroun, Khalida Messaoudi (dont Khalida Toumi semble s’être nettement démarquée), Malika Boussouf et autre Slimane Zéghidour à B-H Lévy, à Gluksman, à J. Daniel, à J. Alia, à J. de la Guérivière et à G. Kepel pour assurer une large et durable médiatisation aux thèmes inspirés par les nostalgiques algériens du V° Bureau de la guerre d’Algérie, qui disposent encore de relais convoitant des retours d’épices, même s’ils sont beaucoup moins convaincants.
La diabolisation de l’adversaire, accusé surtout d’avoir gagné les élections, a été poussée plus loin encore par le mufti d’Egypte, Ali Gomaa, qui a sorti un hadith de son contexte pour rendre licite le meurtre de tout membre des Frères Musulmans. L’intervention de ce théologien de service ajoutée aux soutiens d’El Azhar, de l’Eglise copte et des salafistes du pro-saoudien Hizb Nour montre les étranges singularités de ce laïcisme des bords du Nil.
Dans le cas algérien, il aura fallu beaucoup de temps pour démystifier la propagande des éradicateurs, dont les plus extrémistes n’avaient pas besoin de fetwa pour assumer leur logique génocidaire en se disant prêts à éliminer 3, 5 millions d’Algériens, soit- la totalité des électeurs du FIS.
Mais dans le cas égyptien, il n’est pas difficile de souligner en temps réel les grossières contradictions des courants disparates (de faux libéraux habitués aux prébendes du temps de Moubarak, de pseudo-laïcistes qui croient pouvoir combler leur déficit de légitimité par des religieux de service, d’ex-gauchistes devenus des inconditionnels des accords de Camp-David) dont le maigre programme se réduit à la seule hostilité aux islamistes.
En faisant appel à l’armée, aux polices et aux baltagis pour exclure de la vie politique un courant qu’ils ne sont pas capables de battre aux élections non truquées, ces mauvais perdants évoluent rapidement vers un fascisme protégé par une dictature militaire. L’armée égyptienne se prête d’autant plus à ce genre d’alliance qu’elle n’a pas tenu ses promesses faites au lendemain des accords de Camp David de se consacrer à plein temps au développement du pays. Au lieu de cela, elle s’est lancée sous Moubarak dans la course aux privilèges qu’elle croit menacés par une véritable démocratisation.
Elle préfère torpiller la démocratie pour la maintenance de ces privilèges, en continuant de bénéficier des financements américains autant que l’armée israélienne. Le refus de l’administration américaine d’appeler les choses par leur nom, en s’abstenant de parler de coup d’Etat, réduit déjà à l’état de paroles verbales les discours de haute tenue adressés au monde musulman par Obama en 2009 à partir d’Ankara et du Caire.
Le refus américain de condamner sans ambages un véritable putsch n’est pas sans rappeler la bénédiction apportée quelques jours avant le 11 janvier 1992 par Mitterrand à ce qui sera appelé par son ami Jean Daniel (pour qui la démocratie était devenue divisible) le « coup d’Etat du soulagement ».
Les 200. 000 victimes algériennes innocentes et ce que Taleb-Ibrahimi a appelé « l’institutionnalisation à tous les niveaux de la corruption » (qui n’épargne même pas les officines d’ »Action psychologique ») ont certainement fait comprendre à un humaniste aussi sensible que J. Daniel que l’usage du mot « soulagement » était pour le moins déplacé.
Mais les responsables américains qui refusent de parler de coup d’Etat en Egypte resteront sans doute indifférents aux massacres de manifestants pacifistes des places Adaouya et Nahda. Cela semble conforme à leur nouvelle politique qui, tout en maintenant l’alliance indéfectible avec Israël, qui reste leur partenaire leur partenaire le plus sûr dans la région, laisse le soin à leur second principal allié, l’Arabie saoudite, de mettre fin aux processus de démocratisation qui, en bénéficiant aux Frères Musulmans, risquent à terme d’inspirer les islamistes du royaume qui veulent se retremper aux sources du premier wahabisme trahi à leurs yeux par les émirs.
En définitive, si la politique américaine au Moyen-Orient a donné l’illusion du changement, celle des Saoudiens a fait preuve d’une constance remarquable : le roi Abdallah soutient le putsch du général Sissi, après que le roi Fahd eut encouragé celui du général Nezzar, comme le révèle celui-ci dans un de ses livres.
Pendant très longtemps, la vérité historique concernant l’opération du 11 janvier 1992 en Algérie, a été dissimulée par les vérités politiques diffusées par le journalisme de « V° Bureau ».Mais en Egypte, les vérités politiques contradictoires servies par l’entourage de Sissi ne sont convaincantes que pour ceux qui  font la part belle à leurs présupposés idéologiques dans leurs analyses.

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