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Cessons d’ostraciser les Islamistes et acceptons enfin la vérité des urnes !

Alors que Hosni Moubarak vient de quitter le pouvoir, l’enthousiasme des tunisiens n’est pas encore retombé que déjà les boucliers se lèvent contre la « menace islamiste ». Dans les pages « Débats » du quotidien Le Monde du 1er février, nous pouvions lire que « Le péril islamiste est réel en Tunisie », pendant que « Le spectre islamiste » faisait la une du numéro 2003 de l’hebdomadaire Le Point.

La somalienne Aayan Hirsi Ali expliquait quant à elle dans les pages « Opinions » du The New York Times du 3 février son point de vue subtilement intitulé « Get Ready for the Muslim Brotherhood », alors que le même jour, The Guardian publiait « The West must be wary of Egypt’s Muslim Brotherhoods » de l’historien israélien Benny Morris. Rien de moins ! A cela, il faudrait ajouter les déclarations alarmistes provenant de Washington, Londres et autres chancelleries européennes, qui ne souhaitent pas que le remplacement du régime de Moubarak soit l’occasion pour d’autres de prendre en otage la démocratie et mettre, par là-même, un terme aux aspirations démocratiques du peuple égyptien (dixit la Secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton).

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Une formule à peine voilée mais dirigée sans équivoque vers le mouvement des Frères Musulmans. Une subtilité que le ministre des Affaires étrangères britannique William Hague ne s’est pas embarrassé d’utiliser, lorsque qu’il déclarait que nous [les occidentaux] serions vigilants et inquiets dans l’éventualité d’un gouvernement extrémiste. Nul doute que la liste d’articles, analyses, et éditoriaux angoissants et inquiétants, abondant dans ce sens et nous mettant en garde contre ces méchants barbus, risque de s’allonger très rapidement dans les semaines et mois à venir. Mais pourquoi donc trente ans après la révolution iranienne de 1979 et vingt ans après la quasi-victoire du FIS (Front Islamique du Salut) en Algérie, une possible victoire électorale des Islamistes en Egypte et en Tunisie, cette fois-ci, fait-elle encore et toujours aussi peur ?

Un patchwork incluant l’appréhension de l’inconnu, d’intérêts géostratégiques qui pourraient être redéfinis, mais surtout le sectarisme profond vis-à-vis de l’Islam et pour ce qui nous concerne ici, de l’Islam politique, expliquent grandement la situation devant laquelle nous nous trouvons encore aujourd’hui, lorsqu’il s’agit de composer avec les Islamistes. Il est pourtant urgent de ne pas répéter les mêmes erreurs commises avec l’Iran de Khomeiny ou l’Algérie de janvier 1992. En 1979 en Iran, l’ignorance des Américains qui avaient surestimé le leadership séculier et sous-estimer la dynamique islamiste est en grande partie responsable de la position crispée qui perdure encore aujourd’hui. Et même si les provocations verbales de l’actuel président Mahmoud Ahmedinedjad ou le programme nucléaire civil iranien ne facilitent pas le dégel diplomatique, ces aspects-là ne demeureront que des excuses fallacieuses pour diaboliser les dirigeants et le régime de l’Iran.

Il n’est pas inutile de rappeler ici que malgré tout ce que l’on peut lire et entendre au sujet de cette République Islamique, ce pays reste néanmoins le seul de la région qui ait vu se succéder, depuis 1979, pas moins de six différents présidents. Ce qui donne une moyenne d’un mandat présidentiel tous les 5 ans ! A titre de comparaison, aucun régime arabe de Rabat à Ryad en passant par le Caire ou Tunis, ne peut à ce jour s’enorgueillir d’avoir permis un système politique- aussi [im]parfait soit-il- qui puisse ressembler ni de près, ni de loin à celui des iraniens. Mais il est aussi vrai que la position anti-impérialiste des responsables iraniens, quand bien même populiste, ne contribue pas à améliorer l’image de Téhéran…

Depuis la révolution iranienne, les paramètres ont cependant changé et de nouveaux paradigmes géopolitiques se sont greffés. Les Islamistes en général et les Frères Musulmans, en particulier, ne sont pas des inconnus. Tout comme leurs programmes et leurs discours, dans lesquels ils ont déclaré à maintes reprises leurs refus de gouverner, car seul le rôle de parti d’opposition forte les intéresse, et ce, afin d’être en mesure d’influer sur la politique de la Cité. Position que partagent aussi les dirigeants tunisiens du parti Ennahda.

Pragmatiques, les Islamistes égyptiens sont bien conscients du rôle stratégique qu’a leur pays au Moyen-Orient et dans les pourparlers de paix avec Israël, pour ne pas prendre le risque de se mettre à dos les Américains, et par là-même renoncer à l’aide économique vitale versée par Washington, qui s’élève à plus €1.5 milliard par an. Les responsables des Frères Musulmans ont aussi en tête l’exemple du Hamas palestinien voisin qui malgré la validité des élections de 2006, n’a jamais été accepté par la ‘communauté internationale’ mais plus encore, a créé une fitna (scission) gouvernementale au sein même des territoires palestiniens entre les Islamistes palestiniens et le Fatah de Mahmoud Abbas. Dans cette équation politique, les Frères Musulmans sont donc très lucides et ne souhaitent nullement mettre en danger les intérêts des Égyptiens, voire même prendre le risque de voir leur pays sombrer dans le chaos et la guerre civile, comme ce fut le cas en Algérie.

Similairement en Tunisie, le leader d’Ennahda ou Renaissance, Rashid Ghannoushi, a, dès son retour au pays, après plus de 22 longues années d’exil forcé à Londres, immédiatement souligné l’urgence de former un gouvernement d’unité nationale qui inclut tous les partis politiques, mais aussi les acteurs de la société civile, syndicats, union des magistrats et bien d’autres encore… Le leader tunisien a aussi rappelé qu’il est primordial de respecter la liberté de l’individu et ne rien imposer au nom de l’Islam, tout comme il fustige l’interdiction du hijab on nom de la laïcité, le sécularisme et la modernité. Par ailleurs, dans une interview à la chaîne de télévision qatarie Al Jazeera, Ghannoushi déclarait récemment que l’exemple des Islamistes de l’AKP turc, pour qui d’ailleurs il ne cache pas son admiration, est à prendre en considération, tout en tenant compte des spécificités tunisiennes locales. Et tout comme les Frères Musulmans, le zaïm (leader) tunisien, qui a annoncé qu’il ne se présentera pas aux prochaines élections de son pays, ne souhaite pas que son parti gouverne le pays, préférant que son parti demeure dans l’opposition et exerce son influence sur les décisions du gouvernement tunisien.

Au vu des différentes déclarations des Islamistes, il est donc particulièrement difficile de voir un quelconque danger dans leurs propos et positions aujourd’hui. Par ailleurs, le nombre de livres, revues et autres analyses publiés à leur sujet depuis des années en France, aux Etats-Unis, en Angleterre et ailleurs, démontrent que la très grande majorité accepte les règles de la démocratie. Le fantasmagorique péril vert brandi ici et là n’existe que dans les yeux de ceux qui en font leur fonds de commerce, mais n’est nullement justifié. Il est en conséquence urgent de revoir notre perception des Frères Musulmans Egyptiens, Ennahda en Tunisie et les Islamistes en général.

Il est tout aussi impératif de se rendre enfin à l’évidence et accepter que les Islamistes sont, à l’heure actuelle, la première force d’opposition politique de beaucoup de pays arabes. Refuser de composer avec ceux qui représentent au moins 35% des populations de leur pays respectif est un flagrant déni de démocratie. La pire équation qui puisse arriver avec un gouvernement à consonance Islamiste est un rééquilibrage géostratégique de la région. Politique somme toute naturelle, après des décennies de connivences politico-économiques entre rois et faiseurs de rois.

Mais ni boycott, ni appel à la guerre sainte, ou même course à l’armement nucléaire, ne font partie de l’agenda des Islamistes. Bien au contraire, ce sont la répression, les arrestations arbitraires et les dénis de droits les plus élémentaires qui favorisent la radicalisation de certains membres Islamistes, et qui font raisonner différentes positions sur les stratégies à adopter. Comme l’écrivait Nelson Mandela dans ses mémoires, « l’accumulation régulière de milliers d’affronts, de milliers d’humiliations, de milliers d’instants oubliés, a créé en moi une colère, un esprit de révolte, le désir de combattre le système qui emprisonnait mon peuple » (Nelson Mandela, Un long chemin vers la liberté). Et ce n’est qu’une fois que furent épuisées toutes les autres options légales que l’ANC du premier président noir de l’Afrique du Sud a décidé de prendre les armes.

C’est ce même esprit de révolte qui a renforcé la position des Islamistes, lesquels s’identifient au peuple, tout comme ce dernier s’identifie pour une très large majorité à eux. Aujourd’hui, les Islamistes ne sont pas uniquement un choix par défaut mais une réelle alternative politique, soutenue par des millions de gens en Egypte en Tunisie et ailleurs. Et se sont des élections libres et démocratiques qui consolideront la légitimité des Frères Musulmans, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.

L’appel des Etats-Unis et des Européens pour une transition démocratique en Egypte, chaperonnée par les militaires, arrive probablement trop tard. Des décennies de soutien absolu aux régimes dictatoriaux et autocratiques ont empêché la formation et l’émergence de partis d’oppositions politiques mûrs, et surtout crédibles aux yeux des occidentaux. Mais il est aussi incontestable que les Islamistes sont, à ce jour, la seule et unique force d’opposition viable et organisée. Trente après la révolution iranienne, et vingt ans après le processus démocratique avorté en Algérie, ne soyons pas une nouvelle fois aveuglés par des discours et analyses alarmistes et laissons enfin les peuples du sud de la Mare Nostrum choisir leur avenir.

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Les Islamistes sont destinés à jouer un rôle politique actif dans cette phase de transition démocratique des pays arabes. Respectons enfin le résultat des urnes, et évitons aux Tunisiens et Egyptiens un scénario sanglant à l’algérienne. Après les avoir abandonnés sous la férule de dictateurs, il est de notre devoir maintenant de les encourager et de rester impartiaux devant leurs choix électoraux. Et faisons confiance à la clairvoyance des Islamistes arabes, afin qu’ils puissent montrer qu’ils ne sont rien d’autre que les proches cousins de l’AKP turc. Ils méritent amplement une chance de démontrer qu’ils peuvent, dans un système électoral pluriel et démocratique, être, eux aussi, compétents dans la gestion de leurs pays. Il est urgent de laisser aux Islamistes la possibilité de diriger et de s’affronter aux réalités et logiques politico-économiques séculières de la gouvernance d’un Etat.

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