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Le Cheikh et les jeunes (partie 2/2)

Abdel  : Pour ce qui est des ’ frères ’ qui viennent dans les cités, il faudrait qu’ils fassent une formation. Ils disent : il faut prier parce qu’au paradis tu vas avoir des palais, des rivières de vin, des bouteilles de whisky… Tout ce qui est interdit ici sera permis là-haut…

 

Cheikh Bentounès : Très intéressant ça, on voit les frustrations d’ici…

Le problème c’est qu’il faut certes s’approcher du prototype. Dieu nous dit dans le Coran : ’ Vous avez en le Prophète le prototype idéal, parfait ’. Et on oublie que ce prototype est spirituel. Le prototype parfait dont Dieu parle, c’est le Prophète dans sa qualité d’être. Pourquoi ne pas l’imiter dans ses qualités plutôt que dans ses habits, sa façon de s’asseoir ou de manger. Le Prophète aimait l’épaule d’agneau donc nous devrions oublier tout le reste ? Certains ne mangent que ça ! Et si on mange des huîtres ? A Médine il n’y avait pas d’huîtres…

 

Abdel : On n’en mange pas. Peut-être parce que culturellement c’est pas nos plats. Ma mère elle fait le couscous.

 

Cheikh Bentounès. : D’accord, ça c’est une richesse .

 

Abdel : C’est des plats de chez nous quoi…

 

Cheikh Bentounès : Mais c’est quoi chez nous ? C’est où ? Si on suit l’Islam, chez nous c’est la terre entière. l’Islam est venu détruire justement ces frontières entre les hommes, entre les races..

 

Mohamed : Malgré ça le racisme existe quand même. Il existera toujours.

 

Cheikh Bentounès  : Faites la distinction entre ce qui est humain et l’idéal du message.

 

Farid : Dans les quartiers, cette dimension spirituelle du message est gommée par un amas de rites qu’on suit bêtement parce qu’on se sent obligé de se rattacher à une fratrie. Des gens s’improvisent guides dans chaque quartier. Il y a de grandes contradictions entre ce qu’est l’Islam et comment il est vécu par certains jeunes. Il y a un réel danger. Tout est séparé entre le bien et le mal, c’est haram ou pas : voilà les seules valeurs !

 

Abdel : J’ai même entendu que griller un feu rouge c’était haram.

 

Cheikh Bentounès : Mais c’est haram par la loi de la République. !

(rires)

 

Mohamed : Il y a des jeunes qui passent par le business, ils changent vont voir des gens qui se réclament de l’Islam et qui leur disent ’ Vous inquiétez pas, donnez-nous tout l’argent, on va faire des choses bien ’. On assiste à des choses comme ça, des dérives.

 

Fouad : Ils ont une volonté de se rattacher à quelque chose. Ils sont perdus parce qu’ils ont été broyés, cassés. Il y a une flamme en eux mais leur pratique, leur connaissance de l’Islam font qu’ils sont quasiment des hérétiques.

 

Naïma : Ceux-là ne sont pas forcément des gens qui ont connu des épreuves ou des difficultés. ça peut être des gars qui sont en licence, mais qui se coupent complètement et tiennent des discours très durs sur les femmes et les hommes, sur la manière de vivre en France. Ils se ferment. Il y a une agressivité et un déni de ce que nous sommes, nous, les autres musulmans (filles non voilées etc). Pourtant ils font des études, ont un pied dans la société et au lieu d’être une passerelle, ils sont comme ça. Certaines filles sont encore parfois plus dures.

 

Cheikh Bentounès : C’est un constat. Nous avons vu le côté négatif mais il faut peut être essayer de voir aussi le côté positif. Car les musulmans sont aussi en train de changer en cherchant un Islam adapté à leur époque. Maintenant que doit-on faire, comment agir ? Chacun de nous peut jouer un rôle son environnement. L’Islam est-il en nous ou est-il un vernis, une nationalité, une culture, un habit, une appartenance ? Il faut se poser ces questions fondamentales. Et surveillons notre ego plutôt que la conduite des autres. Suis-je respectueux, ouvert ? Le danger vient de’orgueil que l’on a de soi. Se dire musulman et se sentir supérieur aux autres c’est déjà anti islamique. Ce que je vous dis sont mes propres visions, pas des vérités parfaites.

 

Fouad : Il y en a beaucoup qui ont oublié ça quand même.

 

Abdellah : Au-delà des problèmes qui se posent à tous, les musulmans se posent aussi des questions quotidiennes, basiques : comment dois-je vivre ?

 

Cheikh Bentounès Mais ce sont des questions qui se posent à tout le monde, pas seulement aux musulmans.

 

Abdellah : Oui mais si je n’étais pas musulman, il y a plein de questions que je ne poserais pas.

 

Cheikh Bentounès : Par exemple ?

 

Abdellah : Qu’est-ce que je peux manger ? Comment dois-je me comporter quand je suis invité, comment dois-je élever mes enfants ?

 

Cheikh Bentounès : Qu’est-ce que l’Islam nous interdit ? Sincèrement à part le porc et l’alcool… Et encore ça, c’est une question de morale…

 

Georges : Moi je ne suis pas musulman et ces questions là je me les pose aussi. C’est

un choix personnel.

 

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Cheikh Bentounès : Oui, je ne pense pas avoir, en tant que musulman, plus de problèmes vis à vis de la société. Le problème est autre. Aujourd’hui nous avons la vache folle. L’Islam l’autorise ou pas ? Le poulet à la dioxine, l’Islam l’autorise ou pas ? Même si il est égorgé… Voilà les problèmes d’aujourd’hui. ça c’est haram ou halal ?

 

Fatimata : Un autre interdit, celui des statues et même des images.

 

Abdellah : Comment réagir face au monde de l’image, aux films.

.

 

Cheikh Bentounès  : Mais ce sont des problèmes de société. Ils se posent à tous les êtres humains. Avant d’être des musulmans, soyons des êtres humains s’il vous plait. Ne nous marginalisons pas par rapport à la société. La pollution, ça concerne seulement les musulmans ou seulement les non musulmans… Et la nourriture artificielle qu’on fait pousser à coup d’engrais… Le problème est au niveau de la société humaine, au niveau du système. Les pays pétroliers, quel système ont-ils adopté ?

 

Abdel : Les pétro dollars.

 

Abdellah : On grandit dans un Etat laïc, on ne pense plus avec un regard musulman.

 

Cheikh Bentounès : C’est un dédoublement de personnalité : on a une personnalité française, citoyenne et, de l’autre côté, on est musulman. Mais c’est une schizophrénie, c’est un mal être intérieur permanent. Non : mon islamité, c’est aussi d’agir dans la société, d’avoir une conscience, de faire des chose qui sont bonnes pour l’humanité en général. J’agis dans le sens de l’humain. Et au fait on discute de l’Islam mais l’Islam c’est quoi ? Dans cette discussion ce n’est pas de Dieu qu’on parle, c’est de l’Islam et l’Islam ce n’est que le moyen. Donc nous sommes tous des idolâtres. Nous avons oublié Dieu. L’Islam est un moyen d’y arriver mais ce n’est rien d’autre qu’une voie parmi d’autres voies. Ce qu’il ne faut jamais oublier.

 

X : Un peu comme la Bible aux Etats Unis.

 

Cheikh Bentounès : On a fait du Coran une charte, un code. Le Coran ne peut pas être la constitution d’une société, cela n’a jamais été le cas. Même au temps du Prophète (SSP). L’ijtihad a toujours été. Quand les talibans aujourd’hui démolissent des bouddas par exemple, 15 siècles d’histoire… Pourquoi les musulmans par exemple n’ont pas détruit le Sphinx ? Mais les Saoudiens l’ont fait. Tous les monuments d’Arabie Saoudite ont été détruits, ne l’oubliez pas. Je suis intervenu personnellement ici auprès de l’ambassade d’Arabie Saoudite car il restait encore une partie du vieux quartier de Médine. Trois mois après ils l’ont démoli. Pour agrandir l’esplanade de la prière, je veux bien, mais on pouvait l’agrandir d’une autre façon. L’Islam c’est la voie du juste milieu. Le Coran dit : ’ Nous avons fait de vous la communauté du milieu pour que vous soyez les témoins de l’humanité et que le Prophète soit pour vous un témoin ’. Nous devons vivre dans notre société en voulant la changer, mais pour le bien de l’humanité, pas pour l’islamiser. Dieu dit : ’ Tu ne peux même pas convertir ceux que tu aimes ’. Qu’est-ce qu’aiment le plus un homme ou une femme, sinon ses propres enfants ? On aime ses enfants, ses proches… Et même eux, on ne peut les convertir.

 

Abdellah : Le problème de ceux qui ont suivi tel ou tel chemin c’est qu’après la vie, il y a des gens qui vont avoir fait ce qu’il faut pour aller au paradis et d’autres qui iront en enfer.

 

Fatimata  : Est-ce que entre les deux il n’y a pas ce qu’on appelle les nimbes ? C’est une sorte de purgatoire ?

 

Cheikh Bentounès : al-birzaq. Attendez, mettons de l’ordre dans tout cela. Le manque de connaissance de notre tradition nous amène à des aberrations. Le Coran nous parle par paraboles. Nous prenons des descriptions, des exemples, des paraboles dans le Coran et nous les figeons. Nous faisons exactement comme les hindous par exemple pour la bagabagita : Shiva, Kali, l’enfer. Prenez toute la mythologie indienne, elle décrit le paradis, elle décrit l’enfer. Vous voyez des gens auxquels on coupe la tête ou qu’on envoie dans le feu. Le Coran nous invite à la réflexion. Ce qui est dramatique, c’est que lorsqu’on parle de cela, c’est comme si nous tenions une comptabilité avec le Divin. C’est grotesque. Prenez Rabi’a ’Adawiyya, cette grande soufie. Un jour on l’a vue avec un seau et du bois et on lui a demandé où elle allait comme çà et elle a dit : ’ Je vais brûler le paradis et je vais éteindre l’enfer ’. Les gens lui ont dit : ’ Mais tu es folle ’. Et elle a répondu : ’ Je vais éteindre l’enfer pour que plus personne ne prie Dieu par crainte et je vais brûler le paradis pour que plus personne ne prie Dieu pour avoir une récompense ’. Regardez, çà c’est la force de ce message universel de l’Islam. Le reste ce sont des enfantillages. Encore penser à notre époque que notre expérience spirituelle ne sert demain qu’à avoir un palais …

 

Fatimata : C’est ce que la plupart des gens pensent.

 

Naïma : C’est comme çà qu’on a été élevé.

 

Cheikh Bentounès . : Les Européens ont élevé leurs enfants avec le Père Noël…

 

Abdellah : Mais on ne doit pas pour autant tout remettre en question.

.

 

Cheikh Bentounès  On ne remet pas tout en question mais il y a des façons de dire les choses et il y a des âges. Il y a des choses qu’on peut dire à des enfants … Mais nous, on n’est pas à un âge où l’on demande des bonbons ! Cette expérience spirituelle doit servir à autre chose qu’à l’attente d’une récompense. Même si c’est la Maison Blanche. Ou le palais des Mille et une nuit . Quant on parle des Houris, on te dit c’est des vierges perpétuelles mais c’est une obsession sexuelle ou quoi ? Donc la frustration ici pour avoir l’extase là-bas ? Non, ce n’est pas sérieux…

 

Fatimata : Il a cité des signes très révélateurs de notre époque : ’ quand les maisons toucheront presque le ciel, quand les enfants n’auront plus de respect pour leurs parents, quand le va nu pied ira s’acheter une maison sans qu’il n’ait rien à manger ’ etc.

 

Cheikh Bentounès : Oui et ce sont des signes révélateurs de notre époque. Alors on s’en réjouit ou on va s’apitoyer ? Moi je dis que je m’en réjouis. Je dis que c’est une époque formidable où tout est remis en question. C’est la fin des temps ? Dieu merci. Parce que la fin d’un temps est l’annonciation d’un nouveau temps, ne l’oubliez pas.

 

Fatimata : Une épreuve très dure pour les musulmans quand même…

 

Cheikh Bentounès : Pourquoi seulement pour les musulmans ? C’est une épreuve pour l’humanité. Mais réfléchissez en humains, ne réfléchissez plus en musulmans bon sang de bonsoir ! En étant musulman, soyez déjà le plus humain des humains : celui qui participe à la responsabilité de l’humanité, à travers un message ouvert et universel, antiraciste, égalitaire.

 

Propos recueillis par Marc Cheb Sun

 

Ce dialogue est extrait de la Lettre de nos amis de ’’l’association Terres d’Europe’’. Pour s’abonner à la Lettre : envoyer un chèque de 50 francs à l’ordre de Terres d’Europe..

Terres d’Europe, 28 rue Le Regrattier, 75004 Paris. France.

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