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L’assassinat de Ferhat Hached et la solidarité magrébine

55ème anniversaire de l’assassinat de Ferhat Hached

Né le 2 février 1914 à El Abbassia, Ferhat Hached fut l’un des principaux chefs de fille du mouvement nationaliste tunisien avec le cheikh Abdelaziz Thaalbi (1876-1944), Habib Bourguiba (1903-2000), Salah Ben Youssef (1907-1961) ou Mohieddine Klibi (1897-1954). Inscrit à l’école primaire de la région de Kellabine à l’âge de 8 ans, il obtint son certificat d’étude primaire en 1929. Cependant, la mort de son père l’obligea à interrompre ses études et à entrer dans la vie professionnelle.

En 1930, il fut embauché à la Société des transports du Sahel basée à Sousse où il se vit offrir un poste de convoyeur. La même année, il participa à la création d’un syndicat de base affilié à la Confédération Générale du Travail (CGT) française, au sein de son entreprise. Ferhat Hached commençait ainsi carrière dans le mouvement syndical tunisien.

Le jeune syndicaliste accéda à diverses responsabilités aux niveaux local et régional dans l’administration centrale. En 1939, il fut renvoyé de son emploi et vécu des jours difficiles durant la Seconde Guerre mondiale du fait de l’interdiction de toutes activités politiques et syndicales sous le régime de Vichy.

Durant la guerre, il se porta volontaire auprès du Croissant Rouge en vue de secourir les blessés ; tâche qu’il accomplit en dehors de ses heures de travail. En 1943, il s’installa à Sfax après son recrutement en qualité de fonctionnaire des travaux publics et reprit ses activités syndicales à l’Union régionale de la CGT de Sfax.

Au congrès de l’Union départementale de la CGT, tenu en mars 1944, constatant l’incapacité du syndicalisme français et de ses branches socialistes et communistes à apporter des réponses adaptées aux travailleurs Tunisiens, avec d’autres militants, il démissionna, de la CGT. Ferhat Hached et ses camarades reprochaient aux syndicalistes Européens d’« ignorer les aspirations légitimes des Tunisiens à l’indépendance nationale ». Pour ces syndicalistes Tunisiens la lutte pour les dignités et contre l’exploitation des travailleurs ne pouvait pas être séparée du combat national anti-colonialiste pour l’indépendance de la Tunisie.

Loin d’être un sujet marginal dans le mouvement nationaliste tunisien le problème de la condition des travailleurs Tunisien avait traité, dès 1920, par le cheikh Abdelaziz Thaalbi, fondateur du Destour et pionnier de la nahda au Maghreb, dans son célèbre ouvrage « La Tunisie martyre ».

Dans l’introduction de ce manifeste du mouvement nationaliste tunisien, le cheikh Abdelaziz Thaalbi définissait le projet global de son action de revivalisme arabo-islamique qui alliait renaissance nationale-culturelle[1], lutte anti-colonialiste et engagement social : « il s’agit de sauver de la faillite, de la mort économique et sociale, un peuple qui ne se maintient que par des sursauts d’énergie. Il s’agit de savoir si les ressorts de nos pouvoirs sociaux détournés de leurs buts naturels au profit d’une poignée de spéculateurs et d’aventuriers sans conscience, si ces ressorts, déjà faussés, on entend les briser à jamais. Il s’agit de savoir enfin si le peuple français entend volontairement laisser son gouvernement commettre, au nom de la France, sur notre peuple, les iniquités, les injustices, les attentats que le Droit des gens et la morale internationale flétrissent et dénoncent à la réprobation et au mépris des peuples civilisés »[2].

Décrivant la relation inégalitaire entre colons et colonisés, le cheikh Abdelaziz Thaalbi affirmait : « de la conduite du Gouvernement du Protectorat, analysée au cours de ce mémoire, il est résulté une politique à double but : politique de guerre, de spoliation, d’appauvrissement et d’ostracisme, d’une part, politique de privilèges et de brigandage, d’autre part. Une scission irréductible dans la population en fut le résultat : une classe choyée, privilégiée, maîtresse des décisions gouvernementales et donc des destinées du pays, la caste conquérante, la race supérieure qui comprend les Français et, pour une part, les Européens en souvenir des capitulations ; une autre, faible, exploitée, persécutée, privée de tous les droits reconnus à l’être humain ; la population vaincue, la race inférieure.

Cette situation a fait naître, chez la première, l’orgueil insensé, la brutalité, l’insolence et le mépris pour tout ce qui est indigène ; chez la seconde, un mouvement de réaction : repliée sur elle-même, elle repousse comme criminel a priori, tout ce qui vient de la première, nourrit une répulsion profonde, instinctive à l’égard d’un élément qui travaille avec une volonté froide à la dissolution de sa société, à la désorganisation de tout le patrimoine intellectuel et moral qu’elle a hérité de ses pères »[3].

A propos de la condition des ouvriers agricoles le cheikh Abdelaziz Thaalbi écrivait : « recruté parmi les anciens propriétaires du sol, le prolétariat agricole est exploité de la façon la plus barbare. Un travail de douze heures par jour sous la surveillance de gardes chiourmes, un salaire de famine, conjugués avec l’amende et la prison, le maintiennent dans le plus misérable asservissement. Lorsque, découragé et sans espoir d’avenir meilleur, il se risque à aller chercher, chez des maîtres moins barbares, la juste rémunération de son travail, l’ouvrier est aussitôt convoqué par le caïd sur plainte du colon, et obligé de choisir entre la ferme et l’odieuse prison de ce fonctionnaire. 

 L’Etat, les communes et les établissements publics se liguent contre lui pour le maintenir dans une misère nécessaire à l’avenir de la colonisation. Les salaires que ces personnes publiques accordent à leurs ouvriers ne dépassent jamais (ils leur sont toujours inférieurs) les salaires donnés par le colon, cela pour éviter une concurrence préjudiciable aux intérêts de ce dernier. […] Pour éviter enfin la formation d’un prolétariat conscient de ses droits, toute association, de quelque nature qu’elle soit, est interdite sous peine de prison. Ainsi isolé, livré sans défense à son exploiteur, le travailleur agricole, de quelque côté qu’il se tourne, trouve devant lui le travail forcé, un salaire de famine et la prison »[4].

S’inspirant des thèses sociales du cheikh Abdelaziz Thaalbi, dès novembre 1944, les syndicalistes-nationalistes Tunisiens fondèrent un syndicat national tunisien autonome libéré de la tutelle paternaliste de la gauche coloniale française. Ils commencèrent par fonder l’Union des Syndicats Libres du Sud qui se fixait comme priorité la justice sociale, l’égalité entre les travailleurs Tunisiens et travailleurs Européens, et l’indépendance nationale.

En 1945, à Tunis, ils créèrent l’Union des Syndicats Indépendants du Nord et la Fédération Générale des Fonctionnaires. Enfin, dans le but de coordonner l’action de ces différents syndicats nationaux, le 20 janvier 1946, les syndicats autonomes du Nord et du Sud et la Fédération Générale Tunisienne du Travail décidèrent, au cours d’un congrès, de créer l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) premier grand syndicat national Tunisien. Ferhat Hached fut élu à l’unanimité Secrétaire Général de la nouvelle centrale.

Dès le départ, Ferhat Hached et ses frères de lutte décidèrent d’inscrire l’Union Générale Tunisienne du Travail dans la lutte pour l’indépendance. Autonome et indépendant de la gauche coloniale, cette organisation syndicale participait pleinement au combat anti-colonialiste du mouvement nationaliste tunisien. Les grèves, les mouvements de protestations et les manifestations de rue se multiplièrent pour réclamer l’indépendance nationale et l’amélioration des conditions de vie et de travail des Tunisiens. Sous la direction de Ferhat Hached, l’UGTT, joua un rôle primordial dans le déclenchement, l’encadrement et la radicalisation des revendications du peuple Tunisien.

En mars 1951, au cours du quatrième congrès de l’UGTT, Ferhat Hached dressait le bilan de ces cinq années à la tête du syndicat nationaliste. Selon lui :

– L’UGTT comptait près de 120 000 adhérents de toutes catégories professionnelles et de toutes les régions du pays.

– Une « guérilla sociale » contre l’occupation française était menée de façon organisée et systématique par le syndicat nationaliste.

– L’UGTT était devenue une force d’initiative pour structurer la société tunisienne autour de composantes de la « société civile » dans les domaines politiques (Comités de garanties constitutionnelles) ou sociaux (Comités de la cherté de la vie).

– La présence de l’UGTT sur la scène internationale par l’adhésion en 1949 à la Fédération Syndicale Mondiale (FSM) permettait l’internationalisation la question nationale tunisienne. Cette volonté de porter la question nationale tunisienne sur la scène internationale poussa l’UGTT à adhérer à la Confédération Internationale des Syndicats Libres (CISL) dès sa fondation en décembre 1949. Ferhat Hached devint membre de son comité exécutif.

– La création d’une union syndicale maghrébine était une priorité pour Ferhat Hached qui menait une action pour encourager les syndicalistes Algériens et Marocains à créer des syndicats nationalistes autonomes vis-à-vis des organisations syndicales européens. De plus il voulait aider les Libyens à mettre en place des structures syndicales.

– Avec son programme économique et social et les chapitres sur les libertés, l’UGTT dotait le mouvement nationaliste Tunisien d’un « agenda » de politique sociale pour l’après indépendance.

Du fait de la puissance du mouvement national tunisien et de la volonté des autorités françaises de maintenir la domination coloniale, l’année 1952 vit la radicalisation des revendications nationalistes en Tunisie. Toutes les négociations directes entre le gouvernement français et les nationalistes Tunisiens avaient échoué. Afin d’organiser la répression contre le mouvement national tunisien, les autorités coloniales nommèrent un nouveau résident, Jean de Hauteclocque, qui, avait été accueilli par un déploiement militaire lors de son arrivée à Tunis le 13 janvier 1952.

Le lendemain, Salah Ben Youssef et Mohammed Badra remirent une requête du gouvernement tunisien au secrétariat des Nations Unies à Paris. Le gouvernement français qui ne voulait surtout pas voir la question tunisienne posée sur la scène internationale, fit pression sur le Bey pour révoquer les ministres nationalistes. Dès lors, la répression s’abattit sur les nationalistes tunisiens.

Le 16 janvier, Hauteclocque interdisait le congrès du Néo-Destour et faisait arrêter une cinquantaine de militants nationalistes. Le 18, après les échauffourées de la veille à Bizerte et Béja, Habib Bourguiba fut appréhendé et mis en résidence surveillée à Taberka. Le même jour, le congrès du Néo-Destrou se tint dans la clandestinité.

Le parti nationaliste affirma sa volonté de mettre fin au protectorat. A la nouvelle de l’arrestation du dirigeant du Néo-Destour la région du Sahel, dont il était originaire, s’enflamma. Les émeutes furent réprimées dans le sang à Mateur et Kaïrouan. Malgré le dépoilement de forces et la répression, la situation devenait de plus en plus incontrôlable pour les autorités françaises.

Celles-ci se lancèrent, du 28 janvier au 1ier février, dans une vaste opération de « ratissage » de la région du Cap Bon qui prit les allures d’une véritable guerre. Selon les autorités coloniales la répression fit plus de deux cents morts sur l’ensemble du territoire tunisien. De plus, personne ne connaissait le nombre des emprisonnés et des détenus dans les camps d’internements[5].

Echappant à une arrestation, Salah Ben Youssef parvint à se réfugier au Caire. Au sein du Néo-Destour les partisans de la lutte armée, parmi lesquelles Chadly Qelala, l’emportaient sur les légalistes. Dans les campagnes les fellaghas commencèrent à former les premiers maquis pour organiser la résistance armée à l’occupation française.

Dans ce contexte, l’UGTT se retrouva en première ligne en assumant la responsabilité de diriger la résistance politique et armée contre les autorités Françaises. En effet, l’organisation syndicale nationaliste restait protégée par la loi sur les libertés syndicales, le soutien de la CISL et du syndicalisme américain. Ferhat Hached organisa des groupes d’activistes dans les locaux de l’UGTT pour mener des actions armées contre les symboles de l’autorité coloniale.

Il menait également des actions de grèves et de mobilisations malgré les arrestations massives. Le 21 octobre 1952, dans une lettre adressée au comité exécutif de la CISL, Ferhat Hached écrivait : « certaines mesures auxquelles on aurait voulu donner le caractère d’apaisement sont toujours assorties d’autres mesures brutales qui ne font que rendre le climat plus malsain encore. C’est ainsi qu’au mois de mai, les ministres qui avaient été internés à Kébili puis transférés à l’île de Djerba étaient libérés.

Mais ils étaient tenus de ne recevoir personne chez eux. Dans le même temps, le chef national Bourguiba était transféré à l’île de La Galite où il demeure encore à ce jour, complètement isolé et vivant dans des conditions des plus précaires. Les rafles se succédaient à un rythme infernal et des condamnations à la peine de mort étaient prononcées. Au mois de septembre, les internés des camps de concentration étaient soi-disant libérés, mais on leur assigne pour résidence le périmètre communal de leur localité, ou bien on leur interdit le séjour dans la circonscription du contrôle civil de leur résidence habituelle. Les syndicalistes ne sont pas libérés.

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Ils sont transférés à l’île de Djerba et on les laisse sans ressource et sans pourvoir à leur nourriture et à leur logement. Les ouvriers libérés des camps sont congédiés de leur emploi. D’autres sont expulsés de Tunisie sans préavis, sur l’Algérie. Au même moment, des centaines de détenus politiques sont transférés dans les prisons de Iambèze en Algérie, où ils sont sous le régime du véritable bannissement.

À ce jour, plus de 3 000 condamnations ont été prononcées par le tribunal militaire, dont 9 à mort, 12 aux travaux forcés à perpétuité, 65 à la réclusion, le tout totalisant plus de 13 000 années de bagne, 2 500 prévenus attendent encore de comparaître devant le tribunal militaire… Plus de 20 000 personnes avaient été ainsi arrêtées, un grand nombre d’entre elles ont subies des tortures et des sévices de toutes sortes ».

Ferhat Hached qui avait fait du syndicat nationaliste la seule véritable force sociale du monde ouvrier tunisien, était devenu l’homme à abattre pour tous les tenants de l’ordre colonial. Le leader syndicaliste Tunisien fut victime de la « Main Rouge », une organisation d’extrême droite liée aux services secrets français. Pour certains, la « Main rouge » n’était qu’une organisation fictive créée par les services secrets français afin de lui attribuer des activités de sabotages et d’assassinats qu’ils ne pouvaient pas effectuer eux-mêmes.

En octobre 1952, cette « mystérieuse organisation » avait déjà violement attaqué, dans des tracts, « Ferhat Hached l’Américain » et « la pourriture de la cour beylicale complice ». La « Main Rouge » appelait tout ceux qui voulaient faire de la Tunisie « une terre française de liberté dans la vieille tradition tricolore de 1789 » à rejoindre ses rangs.

Dans un autre tract envoyé à la famille de Ferhat Hached, la « Main Rouge » menaçait : « c’est dans le sang qu’elle [la communauté « franco-tunisienne »] saura le cas échéant mettre un terme à l’agitation actuelles. Avis aux princes aussi haut placés soient-ils, aux grands et petits bourgeois Destouriens vendu à l’Amérique comme à la racaille communiste, ce pays est terre de culture Française et le restera ».

Ce tract n’était qu’un élément d’un véritable déchaînement de haine contre les nationalistes tunisiens chez les colons. Ainsi, l’hebdomadaire, édité en Afrique du Nord, « Paris » avait lancé des appels au meurtre contre Habib Bourguiba et Ferhat Hached dans son édition du 28 novembre 1952 : « Avec Ferhat Hached et Bourguiba, nous vous avons présenté deux des principaux coupables. Nous en démasquerons d’autres, s’il est nécessaire, tous les autres, si hauts placés soient-ils. Il faut, en effet, en finir avec ce jeu ridicule qui consiste à ne parler que des exécutants, à ne châtier que les « lampistes » du crime, alors que les vrais coupables sont connus et que leurs noms sont sur toutes les lèvres.

Oui, il faut en finir, car il y va de la vie des Français, de l’honneur et du prestige de la France. « Si un homme menace de te tuer, frappe-le à la tête » dit un proverbe syrien. C’est là qu’il faut frapper aujourd’hui. Tant que vous n’aurez pas accompli ce geste viril, ce geste libérateur, vous n’aurez pas rempli votre devoir et, devant Dieu qui vous regarde, le sang des innocents retombera sur vous ».

Le matin du 5 décembre 1952, une première voiture suivit Ferhat Hached, à la sortie de Radès ville de la banlieue sud de Tunis où il habitait. Des rafales de mitraillettes furent tirées de cette voiture qui s’enfuit à tout allure. Blessé à l’épaule et à la main, le leader de l’UGTT trouva la force de quitter sa voiture.

Quelques instants plus tard, une deuxième voiture apparue avec 3 hommes à bord pour vérifier s’il était bien mort. S’apercevant qu’il était encore en vie, les occupants de la deuxième voiture s’approchèrent de lui et l’ « achevèrent » d’une balle dans la tête avant de jeter son corps inerte à moins d’un kilomètre au bord de la route. L’annonce de sa mort, par la radio, à midi, provoqua un soulèvement dans tout le pays.

L’enquête sur le meurtre fut volontairement « bâclée » par la police coloniale qui n’arrêta pas les coupables. En 1955, le dossier sur l’assassina de Ferhat Hached était considéré juridiquement clos sans que les coupables n’aient été jugés. En revanche, Mohammed Messadi, le successeur de Ferhat Hached à tête du syndicat nationaliste, et les dirigeants de l’UGTT furent arrêtés et envoyés en camp d’internement[6].

La mort du leader syndicaliste Tunisien fut ressentie comme un « choc » par l’ensemble des mouvements nationalistes maghrébins. Dans les trois pays, les organisations nationalistes décidèrent d’organiser elles-mêmes ou par l’intermédiaire d’un syndicat des manifestations de protestation. Les populations Algériennes et Marocaines montrèrent une réelle solidarité dans la dénonciation du meurtre du leader syndical Tunisien.

Le 6 décembre 1952, les syndicalistes des docks de Casablanca, informés de l’assassinat de Fehrat Hached, décidèrent d’organiser le lendemain un rassemblement pour exprimer leur solidarité. Le matin du dimanche 7 décembre, le meeting se déroula sans incident. Malgré cela, des informateurs de l’administration coloniale rapportèrent que les leaders syndicaux avaient lancé des appels à l’émeute. Pourtant ceux qui avaient assisté au meeting regagnèrent leurs bidonvilles en traversant Casablanca sans incident. Le soir, des crieurs escortés de policiers furent chargés de relayer l’interdiction de manifester et de faire grève.

Dans le bidonville des Carrières centrales, des affrontements avec des habitants se produisirent, puis un cortège important de manifestants se forma et se dirigea vers la ville européenne. Ceux-ci furent bloqués par les forces de l’ordre et se dirigèrent alors vers le commissariat des Carrières centrales, symbole du pouvoir colonial oppresseur. Là, la foule qui assiégeait le commissariat subit « un feu nourri ». Parallèlement au déclenchement de combats de rue, des renforts militaires furent déployés dans le quartier pour réprimer la manifestation.

Le lendemain dans l’après-midi, un nouveau meeting se tint au centre ville de Casablanca. Le chef de la région avait interdit le meeting sans le notifier aux responsables syndicaux. Le service d’ordre laissa entrer les manifestants dans une véritable « souricière ». Il les arrêta à la sortie avec « une vigueur décuplée par la colère ». Selon Charles-André Julien, « les européens purent assouvir leurs instincts sur les Marocains que lâchaient les policiers » : « Cette foule européenne, composée d’hommes et de femmes armés d’instruments divers en guise de matraque, opérait librement le lynchage méthodique », jusqu’au moment ou la troupe fut « appelée pour mettre fin à ces scènes de sauvagerie ».

Les policiers ne montrèrent pas moins de zèle que le public. « Il est exact encore », racontait le même témoin oculaire, « que le matraquage systématique des manifestants arrêtés se soit poursuivi dans les locaux du commissariat central et nous avons vu dans les couloirs plus d’un blessé fort mal en point dont il se peut qu’on ait par la suite contrôlé le décès. 

Aucun français n’avait été tué mais les journaux avaient annoncé sur plusieurs colonnes que deux jeunes filles avaient été violées et massacrées, ce qui fut reconnu faux ultérieurement et rectifié avec une extrême discrétion. Cependant une colonne de manifestants qui venait du sud de Casablanca par la route de Mediouna fut refoulée par le service d’ordre qui semble bien avoir tiré sans sommation. C’est alors que la foule massacra trois Français, peut-être quatre. »[7]

Le bilan de la répression fut difficile à évaluer et variait très nettement selon les points de vu. Ainsi, le bilan officiel faisait état de quarante Marocains et sept Européens tués. Mais ce bilan était considéré comme largement sous-évalué par le comité France-Maroc, qui organisa le 26 janvier 1953, à Paris, une réunion d’information sur les « événements » de Casablanca.

Jean-François Clément donna un bilan d’une centaine de morts alors que Robert Barrat signala, dans « Justice pour le Maroc », un bilan maximum de trois à quatre cent personnes tuées, trois morts parmi les Européens et deux Mokhazem décédés lors des affrontements du dimanche 7 décembre.

L’Istiqlal dressa une première liste de deux cent soixante neuf noms de personnes disparues et une seconde de quatre cents personnes. Les autorités coloniales firent arrêter un grand nombre de militants de l’Istiqlal, ainsi que des Marocains soupçonnés d’activités nationalistes. Enfin, l’Istiqlal, la principale organisation nationaliste, fut interdit. Politiquement, selon le philosophe Mohammed Abed el-Jabri, les évènements de Casablanca avaient « démontré l’unité existant entre les causes ouvrières et nationales »[8].

Après les émeutes de Casablanca et l’interdiction de l’Istiqlal, les nationalistes Marocains durent à l’instar de leurs frères de luttes Tunisiens, passer « des armes de la critique » à « la critique des armes ». Pour eux, l’heure n’était plus à l’action diplomatique mais à la lutte armée. Celle-ci se développa dans les villes et les campagnes marocaines. Sous la direction d’Abd el-Krim Khattib se constitua l’Armé de Libération du Maroc. A la violence de la colonisation, les colonisés étaient contraint de répondra par les violences de la lutte de libération nationale car les autorités française en Tunisie, au Maroc et surtout en Algérie avait sabordé toute possibilité de décolonisation pacifique.



[1] Sur le concept de renaissance nationale-culturelle cf. Abdel-Malek Anouar, La dialectique sociale, Ed. Seuil, Paris, 1972, page 197-244

[2] Thaalbi Abdelaziz, La Tunisie martyre, Jouve et Cie éditeur, Paris, 1920, page 15

[3] Thaalbi Abdelaziz, La Tunisie martyre, op. cit., page 179

[4] Thaalbi Abdelaziz, La Tunisie martyre, op. cit., page 121-122

[5] Julien Charles-André, L’Afrique du Nord en marche, Omnibus, Paris, 2002, page 191-195

[6] Julien Charles-André, L’Afrique du Nord en marche, op. cit. , page 232

[7] Julien Charles-André, L’Afrique du Nord en marche, op. cit., page 336-337

[8] Abed el-Jabri Mohammed, Le Parti, le Syndicat … et la Zaouia…, in. Position n°5

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Saint Nicolas et Nicolas S., l’un fait des cadeaux, l’autre pas