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La vie de Malek Bennabi (33)

Le 7 mars 1973, un peu avant 18h 00, Bennabi et sa femme sont agressés par leurs voisins du dessous devant la porte de leur immeuble, avenue Roosevelt. Trois hommes et deux femmes le battent sur le trottoir jusqu’à ce qu’il tombe par terre. Il est roué de coups ainsi que sa femme. Son burnous blanc lui est arraché et ses lunettes brisées. 

Voici, in extenso, le témoignage d’un citoyen algérien résidant à Oran qui a assisté par hasard à la scène dont il ne connaît pas les protagonistes et qui a fait devant la police la déposition ci-après : « Dans la journée du Mercredi 7 mars, vers 17h 45, j’empruntais la rue Franklin Roosevelt en automobile, lorsque j’aperçus à la hauteur du numéro 50, des hommes et des femmes battre un vieux couple. Immédiatement, je suis intervenu en compagnie de mon passager, mais en vain. D’un côté, des hommes continuaient à rouer de coups le vieil homme, étendu de tout son long sur le trottoir, vêtu d’un pyjama et d’une robe de chambre. Près de lui, un burnous traînait, ainsi qu’une paire de lunettes. De l’autre côté, c’est-à-dire à 3 ou 4 mètres de là, une vieille dame, vêtue d’une djellaba, chancelait et offrait le spectacle d’une personne lynchée par plusieurs femmes. Puisant dans ses dernières forces, elle parait aux coups qui pleuvaient et, d’une petite planche qu’elle tenait à la main, elle avait fait un bouclier. De jeunes enfants affolés entouraient l’homme couché à même le sol et pleuraient. La plupart des agresseurs étaient armés de planches et de chevrons.  Quelques instants après, un fourgon de police arriva sur les lieux de l’incident et des agents de l’ordre public en descendirent pour intervenir énergiquement. Deux ou trois agresseurs bousculèrent ces agents et revinrent à la charge. Ils se ruèrent de nouveau vers leurs victimes. Tout de suite, les représentants de l’ordre eurent le dernier mot et maîtrisèrent ces personnes et les emmenèrent dans leur véhicule. L’aide des agents de police, responsables de la circulation au rond-point Bougara, fut très précieuse. Mon ami et moi relevions le vieil homme et soutenions la vieille dame pour les accompagner presque dans leur appartement. Cette dernière avait le visage tuméfié et le nez ensanglanté.  Vers 18h 45, nous les avons accompagnés dans mon automobile au siège du commissariat du 8° arrondissement où nous nous adressions, afin que les victimes déposent une plainte et moi, mon témoignage. 

Nous fûmes rejoints par une jeune femme qui faisait partie de l’agression ; elle débita, à haute voix et avec de grands gestes, des phrases inintelligibles pendant cinq minutes environ. Elle était très agitée. Des passants même s’attroupèrent devant le commissariat pour voir ce spectacle insolite. Encouragée manifestement par le silence et l’impassibilité de tout le monde, elle se déchaîna. Puis s’avança vers moi pour me dire qu’elle a relevé le matricule de ma voiture et partit. Je pense qu’elle devait m’en vouloir d’avoir aidé le vieux couple. Mon geste lui déplaisait. Pour elle, venir en aide à des personnes en danger, c’est commettre une infraction. Après son départ, je me suis adressé à un des agents de police présents au commissariat pour lui faire part de mon étonnement de ce silence observé par tout le monde devant les faits d’une personne à l’intérieur d’un commissariat même. Il me répliqua tout simplement qu’étant père de plusieurs enfants, il ne voudrait en aucune manière se trouver éloigné de son foyer. On me pria alors de retourner le lendemain pour faire ma déposition de témoignage. Encore une fois, après m’être présenté dans la journée du 8 mars, on me demanda de retourner le vendredi 9 mars, ce qui fut fait. Ce jour, on prit nos dépositions. Une vraie discussion s’anima entre l’agent enregistrant ma déposition et moi-même au sujet d’une constatation que j’annonçais et qu’il refusa catégoriquement de porter sur mon procès-verbal. C’était celle où les agents venus en fourgon au moment des faits, s’étaient vu bousculer par les agresseurs après leur première intervention. Mon interlocuteur eut le dernier mot et ce fait que je relatais ne fut pas enregistré. Ensuite, les victimes déposèrent leur plainte. » Signé : Guermouche Abdelhamid (1).  

Début mai 1973, Bennabi part en tournée de conférences à Batna et Biskra en compagnie de sa femme et de sa fille Imène. Le 17 juin, il rédige les célèbres lignes : « Je salue ma fin. De plus en plus, cette année qui marque la 69° boucle de mon âge, je me surprends à éprouver comme un sentiment de soulagement. Je suis comme l’homme chargé d’un lourd fardeau pour lequel il remercie le Ciel de lui avoir permis de le porter aussi loin et aussi longtemps, mais qui attend tout de même le moment de le déposer. Ma vie a été très lourde à porter. Et près de ma soixante-dizième année, j’en entrevois la fin avec soulagement. » 

Mais, comme s’il se reprenait à la pensée de mal agir envers ses filles alors âgées de dix et neuf ans, il ajoute : « Cette fin, je souhaite tout de même qu’elle soit retardée aussi longtemps que mes filles auront besoin de ma personne. » Le lendemain, il reçoit une citation à comparaître devant le tribunal correctionnel. Sa femme est accusée de « tentative de meurtre » sur la voisine qui l’avait agressée un mois plus tôt.

Le 27, il est à Oran, pour une conférence. Le 06 juin, il est de nouveau à Batna pour des conférences, puis se dirige sur Laghouat où il doit donner trois conférences et inaugurer le « Nadi Taraqui ». 

Rentré chez lui le 14 juillet, il note dans ses Carnets : « C’est en arrivant chez moi que je pris conscience seulement de mon état de santé alarmant, surtout grâce aux angoisses que mon état de santé donnait à ma femme qui n’eût de cesse avant que le docteur ne vint la rassurer un petit peu. » Ce sont les dernières lignes du dernier carnet du journal intime de Bennabi, un carnet de couleur bleue, portant le numéro 19.  L’arrêt est brusque, abrupt, sans préavis. Son auteur, affaibli et malade, n’y mettra plus un mot et le carnet restera éternellement vide pour la partie non utilisée. 

Le Testament

Au cours de son dernier séjour au Liban, Bennabi a accordé à un intellectuel libanais, Ibrahim Assi, un entretien que ce dernier a publié sous la forme d’une brochure intitulée : « Dernier entretien avec Malek Bennabi : témoignage et prospective ». Le livre contient en outre un texte intitulé « Le testament de Malek Bennabi » qui aurait été enregistré au domicile du défunt. 

L’idée maîtresse qui s’en dégage prendra toute sa signification trente ans plus tard, quand les Américains lanceront leur fameuse idée de réforme du Grand Moyen Orient. Reprenant ses avertissements de 1956 et 1958, Bennabi y dit textuellement : « Ou nous changeons, ou nous serons contraints au changement de l’extérieur ». Le dernier tiers du XX° siècle, pense-t-il, réserve des surprises et des changements fondamentaux à l’échelle de la planète : « Sommes-nous prêts à faire face à ces changements ? » La réponse qu’il apporte à la question est malheureusement négative. 

Ni politiquement, ni socialement, ni économiquement, le monde musulman ne lui semble préparé à accomplir les mutations qui le mettraient au diapason du monde. Et quand le projet américain sera rendu public, un chef d’Etat arabe, Ali Salah Abdallah, utilisera une image qui sera largement reprise par les médias : « Il faut qu’on se rase avant qu’on nous tonde », confirmant le bien-fondé de l’inquiétude que nourrissait Bennabi en son temps pour l’avenir du monde musulman.

  Les idées contenues dans le « Testament » sont celles que Bennabi professe depuis longtemps : les solutions aux problèmes du monde musulman ne peuvent pas être locales ou nationales, mais doivent être globales et civilisationnelles ; le projet d’union du monde arabe est une fausse piste ; des conflits apparaîtront sur les frontières de « Dar-al-islam » : Philippines, Indonésie, Afrique centrale (Nigeria), etc, dont le but sera de stopper la progression de l’islam ; le christianisme est asservi par le sionisme ; le monde musulman souffre d’un sous-développement matériel, tandis que le monde occidental souffre d’un sous-développement spirituel et moral ; ce double déficit est à l’origine d’une situation explosive qui doit être désamorcée par une mise à niveau des deux civilisations, l’une au plan social, économique et technique, l’autre au plan culturel, moral et spirituel. 

La crise morale de l’Occident lui apparaît sous l’aspect de maladies psychologiques en expansion (existentialisme, absurdité de la vie, hippisme, libération sexuelle…). Il en conclut que la société occidentale est en train de perdre son vouloir civilisationnel, alors que la société musulmane peine à constituer son pouvoir civilisationnel ; l’Occident n’a plus de ressources métaphysiques : le christianisme est réduit à une présence institutionnelle (Vatican) (2) et les Occidentaux cherchent désormais leur inspiration dans l’évasion ou les philosophies orientales qu’ils vont quêter au Tibet. 

Signalons qu’avant d’être présenté par Ibrahim Assi, « Le testament de Malek Bennabi » a été publié par une revue tunisienne, « Al-Maarifa » en 1975, et qu’il a été reproduit dans le livre du Dr. Abdellatif Abada, « Pages radieuses de la pensée de Malek Bennabi » (3).

La mort

Le 06 octobre éclate une nouvelle guerre arabo-israélienne. Aux premiers jours du conflit, les troupes égyptiennes réalisent des prouesses : elles traversent le canal de Suez et détruisent la ligne Bar Lev, une fortification présumée imprenable. Les jours suivants, les Etats-Unis fournissent Israël en images satellitaires et approvisionnent sans discontinuer ses armées. Les pays arabes se solidarisent de l’Egypte et de la Syrie et déclenchent la « guerre du pétrole » ; les prix du baril, inférieurs alors à un dollar, sont multipliés par quatre ; l’Occident s’en alarme ; des menaces sont proférées contre les pays producteurs arabes ; on agite même le spectre d’une intervention nucléaire. 

Bennabi se trouve depuis le mois de septembre dans un hôpital parisien, la Pitié-Salpêtrière, le plus souvent dans le coma. On a diagnostiqué une prostate métastasée. On l’avait difficilement autorisé à quitter l’Algérie alors que ses proches voulaient l’évacuer en France dès le mois de juillet. Les médecins avisent sa famille que plus rien ne pouvant être fait pour lui, il vaut mieux le rapatrier. Le 31 octobre, il décède en son domicile. 

Le lendemain, sa dépouille est transportée à la mosquée de l’Université d’Alger où est célébrée la prière des morts en présence de l’auteur de ces lignes. Un très long cortège porte sa dépouille jusqu’au cimetière de Sidi M’hamed à Belcourt où il est enterré à côté de Aly al-Hammamy et du Dr. Khaldi. Non loin, se trouve la tombe de Cheikh Bachir al-Ibrahimi, décédé en mai 1965. Le lendemain du décès, c’est à peine si un petit entrefilet en bas de page a été publié dans la presse officielle algérienne contrôlée par Ahmed Taleb al-Ibrahimi, devenu ministre de l’information, pour annoncer la nouvelle (4).

Parce qu’il a deviné précocement que sa vie allait être pénible, lourde à porter, Bennabi s’est très tôt intéressé à la mort : il l’a souhaitée en quittant l’Algérie en 1934 après la mort de sa mère, quand le bateau qu’il a pris fut pris dans une tempête. Il a espéré le déraillement du train qui le ramenait d’Italie en 1936. Il a supplié le ciel de mourir d’une balle perdue ou d’un obus au cours des bombardements de l’Allemagne en 1943. Il s’est procuré une arme à feu en 1947. Il a constitué des stocks de médicaments avec l’intention de s’empoisonner. Il a dressé en 1951 une potence pour se pendre, etc, mais ni il ne pût jamais surmonter l’interdit religieux du suicide, ni le ciel ne voulût exaucer ses prières. 

Finalement il est mort à petit feu, tué lentement par la « colonisabilité », la « lutte idéologique » et la « boulitique »

Il a été la victime expiatoire d’une époque de grands conflits et d’une nation ignorante. Il est mort en combattant solitaire sur un front invisible où les armes ne font pas de bruit. Il est mort avec une plus grande peur pour son œuvre, ses manuscrits et ses Carnets, que pour sa vie. 

Il avait consigné dans une note du 9 mai 1969 : « Je suis certain que la haine bestiale que je sens autour de moi ne s’éteindra pas même avec ma mort. Je sens qu’après ma mort, Mr. X cherchera la moindre trace de mes écrits (surtout les Carnets dont il connaît l’existence), même dans les tripes de mes enfants pour effacer toute trace de ma pensée. » Il a résisté au moyen de sa culture, de sa puissance de raisonnement, de sa rationalité, de sa foi, de sa plume, jusqu’à ce que la Providence voulût bien le rappeler… 

Il était profondément pénétré de l’idée que sa vie correspondait à une mission et qu’il était prédestiné à remplir le devoir pour lequel il avait été conçu par Dieu. Il en avait une conscience aiguë, lui qui écrivait en 1956 dans ses Carnets : « Je suis un atome engagé entre des forces colossales ; mais un atome nécessaire au mouvement de la roue de l’Histoire. » 

Sa présence sur la terre ne pouvait être l’effet d’un hasard, une simple étendue de temps, elle avait forcément un sens, elle devait être dévouée à une cause. S’il n’a pas écrit « Le livre proscrit », il a mené de bout en bout la vie d’un proscrit. 

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Les années les plus dures ont été pour lui qui ne vivait et ne respirait qu’à travers l’écriture, celles de l’indépendance où c’était son pays, son gouvernement, qui l’empêchaient de penser, et en tout cas de publier. A l’exception du premier volume de ses Mémoires (l’Enfant) et de trois plaquettes (5), aucun de ses ouvrages n’a été édité en Algérie entre 1962 et 1989. 

Depuis 1968, il ne pouvait plus publier quoi que ce soit dans la presse. Il s’est alors rabattu sur des moyens de fortune comme « Que sais-je de l’islam», assemblage de quelques feuillets ronéotypées, distribué en quelques dizaines d’exemplaires, qu’il ne dédaignait pas cependant, comme les premiers hommes quand ils écrivaient sur des omoplates ou des peaux de bêtes.  

Le journal intime

Bennabi, comme on s’en doute assez maintenant, n’a pas eu toute latitude de publier son œuvre. Et même dans la partie qui l’a été, il ne s’est exprimé que dans les limites permises par le système du parti unique et la lutte idéologique. De son autobiographie, seuls les deux premiers volumes couvrant la période 1905-1939 ont été publiés, le premier en français (1965) et en arabe (1970), le second seulement en arabe (1970) malgré l’existence de la version française.

L’œuvre autobiographique non publiée se compose de « Pourritures » qui couvre la période de 1939 à juin 1954, et des 19 Carnets, numérotés et datés feuillet par feuillet, écrits recto-verso. Ils se présentent comme suit : 

  • Carnet N° 1 : 11 cm x16 cm ; 288 pages couvrant la période du 09 février 1958 au 30 décembre 1958.
  • Carnet N° 2 : 11×16 ; 280 p. allant du 03 janvier 1959 au 7 juillet 1960.
  • Carnet N°3 : 11×16 ; 360 p. allant du 22 juin 1960 au 29 décembre 1961.
  • Carnet N°4 : 10 x 14 ; 280 pages, allant du 8 janvier 1962 au 4 janvier 1963.
  • Carnet N° 5 : 11 x 16 ; 280 pages ; allant du 25 juin 1963 au 25 janvier 1964.
  • Carnet N°6 : 11×17 ; 192 pages, allant du 27 janvier 1964 au 17 février 1964.
  • Carnet N° 7 : 11x 17 ; 192 pages ; allant du 3 juin 1965 au 10 août  1966.
  • Carnet N°8 : 11×17 ; 96 pages, allant du 15 août 1966 au 9 février 1967.
  • Carnet N°9 : 11x 17 ; 74 pages ; allant du 14 février 1967 au 11 août 1967.
  • Carnet N° 10 : 11 x 17 ; 192 pages ; allant du 12 août 1967 au 21 juillet 1968. 
  • Carnet N° 11 : 11×17 ; 96 pages ; allant du 21 juillet 1968 au 4 décembre 1968.
  • Carnet N° 12 : 11×17 ; 96 pages ; allant du 5 décembre 1968 au 3 mai 1969
  • Carnet N° 13 : 11×17 ; 96 pages ; allant du 3 mai 1969 au 8 août 1969.
  • Carnet N°14 : 11×17 ; 96 pages ; allant du 8 août 1969 au 15 janvier 1970.
  • Carnet N° 15 : 11×17 ; 96 pages ; allant du 15 janvier 1970 au 12 mai 1970.
  • Carnet N° 16 : 11×17 ; 192 pages ; allant du 20 mai 1970 au 13 mai 1971.
  • Carnet N° 17 : 11×17 ; 280 pages ; allant du 14 mai 1971 au 3 août 1972.
  • Carnet N° 18 : 11×17 ; 186 pages ; allant du 4 août 1972 au 10 mai 1973.
  • Carnet N°19 : 10×15 ; 44 pages ; allant du 10 mai 1973 au 14 juillet 1976.

Il manque à son autobiographie les périodes allant de juin 1954 à janvier 1958, de janvier à juin 1963, et de février 1964 à mai 1965 que nous pensons irrémédiablement perdus. 

L’existence de « Pourritures » et des Carnets nous révèlent un autre Bennabi qu’il importe de connaître autant que son œuvre publique. C’est là qu’on trouve les idées, les états d’âme, les commentaires, les impressions, les colères, que lui inspiraient les évènements politiques, culturels ou scientifiques. C’est là qu’il notait tout ce qui lui traversait l’esprit, y compris ses rêves qu’il s’appliquait à interpréter à la manière de Jung, les comptes-rendus des livres qu’il lisait ou des films qu’il voyait car il aimait le cinéma. Le Bennabi qui en surgit est différent de celui qu’on croit connaître. Il est plus incisif, plus libre, plus vrai… 

Telle une ombre géante, l’arrière-pensée couvre la pensée proprement dite, lui donne une portée totalement inattendue, notamment sur le plan doctrinal, qui nous révèle la face cachée de la pensée de Bennabi.  Pourquoi ces Carnets ? Pour lui d’abord, pour ses besoins d’écriture et de repérage ; pour la postérité ensuite à laquelle il ne désespérait pas de faire parvenir son message, fût-ce de l’au-delà. 

Ils contiennent en vrac toutes les pensées et les arrière-pensées qui lui sont passées par la tête tout au long de son existence. Ce sont les éphémérides de son destin, de l’histoire de l’Algérie, de l’actualité mondiale… Les notes portent toutes un titre et ressemblent à des billets de presse. Elles sont rédigées le plus souvent dans le style des « considérations intempestives » de Nietzsche, c’est-à-dire assez courtes mais très percutantes. Les plus difficiles à lire, les plus pathétiques, sont celles qui couvrent la dernière partie de sa vie au Caire de septembre 1960 à janvier 1963.   

Khadoudja Haouès 

Si la première femme de Bennabi a eu à s’occuper pendant vingt-cinq ans de sa vie d’adulte et d’écrivain, la seconde a eu à s’occuper pendant treize ans de la gestion de son foyer et de l’éducation de ses filles. Après sa mort, elle va se débattre toute seule et sans moyens pour pourvoir à leur instruction et à leurs besoins jusqu’à leur mariage. 

Bennabi parle beaucoup d’elle dans ses Carnets en la désignant toujours par le titre de « Mme Bennabi ». Il trouva en elle un solide appui moral trempé dans la finesse d’esprit et le sens de la répartie du terroir tébessien. Courageuse, pratique, consciente de la précarité dans laquelle ils vivaient, elle a veillé sur lui jusqu’à sa mort. 

Après la mort de son mari, Khadoudja eut encore à surmonter une autre tragédie, la perte de sa fille Ni’ma à la fleur de l’âge en 2003. C’est avec un véritable régal que je l’ai écoutée dérouler dans son langage truculent l’infini rouleau de ses souvenirs de compagne du seul penseur que l’Afrique du Nord a connu depuis Ibn Khaldoun. Elle est décédée en son domicile à Alger le 11 juin 2015.                                                                                 (A SUIVRE)

 

NOTES : 

1) Ce document m’a été remis en 2003 par le fils de l’intéressé.

2) Un numéro du magazine français « L’Express » de novembre 2005 nous apprend que depuis le Concile Vatican II (1962-1965), près de 90.000 prêtres (dont 10.000 en France) ont abandonné leur charge, et qu’il y a cinquante ans, 10.000 prêtres étaient ordonnés chaque année contre une centaine actuellement.

3) Ed. Al-Fourkane, Alger 2002.

4) Cet entrefilet de la taille d’une petite annonce était ainsi rédigé : « Le penseur musulman algérien Malek Bennabi s’est éteint hier soir en son domicile à la suite d’une longue maladie. Les obsèques auront lieu le 2 novembre à 14H, après la prière du vendredi. La levée du corps s’effectuera au 50 Avenue Franklin Roosevelt, Alger. M. Bennabi est connu pour ses nombreux ouvrages, parmi lesquels il faut signaler particulièrement : « Conditions de la renaissance », « Vocation de l’Islam », « Le problème des idées dans le monde musulman ». 

5) « Perspectives algériennes », « Islam et démocratie » et « L’œuvre des orientalistes ».

 

                                                     

 

                                              

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