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La démesure française

Paradoxes, incohérences, contradictions : c’est la démocratie qui en paie le prix. Des discours enjôleurs des dirigeants de Gauche à la démagogie des populistes de Droite, le fossé ne cesse de se creuser entre les valeurs Républicaines et les gesticulations des politiciens qui, au profit de leur pouvoir, administre au peuple le somnifère de vaines aspirations.

Dissimulés sous le niqab de la démocratie pour feindre la légitimité, les caudataires de l’Elysée parviennent aisément à accomplir leur dessein impérialiste. Ce pernicieux voile invisible ensevelissant les thuriféraires du pouvoir gangrène la République la dépouillant à petit feu de sa substance. La France distille des ennemis de l’intérieur. Elle doit, ce faisant, effectuer un véritable djihâd an-nafs – pourvu qu’on lui donne son sens propre. Ne nous trompons donc pas de combat.

Le prétentieux projet de civilisation qui anime la France depuis des siècles, en s’érigeant en nation magistrale à travers un messianisme politique, reflète parfaitement l’opacité de sa psychologie. De Jules Ferry – apostrophé très justement par Georges Clémenceau à la chambre des députés en 1885 – qui réclamait le droit aux races supérieures de civiliser les races inférieures à Claude Guéant qui affirmait, explicitement, la suprématie de la civilisation occidentale, en passant par le discours déconcertant de Charles de Gaulle dans une conversation avec Alain Peyrefitte en 1959, illustrant son anti-multiculturalisme par la fameuse métaphore du mélange de l’eau et de l’huile, la France n’a pas de quoi encenser son régime parlementaire. 1

Plus encore, la montée de la xénophobie et du populisme en France trahit de façon manifeste la fameuse devise inscrite sur le fronton de nos institutions. A ce titre, la réprobation en chœur du multiculturalisme depuis quelques années par les dirigeants européens, notamment Merkel, Cameron et Sarkozy, confortée et appuyée par leurs chiens de garde, pour reprendre l’expression de Paul Nizan2, qui s’attèlent à entretenir confortablement le système à leur avantage plutôt qu’à défendre des idéaux honorables, en dit long sur leur conservatisme réactionnaire, belliqueux et antidémocratique. A ce propos, le livre de l’auteur allemand, Thilo Sarazin, l’Allemagne court à sa perte, dans lequel il développe une pensée raciste autour de la supériorité intellectuelle des allemands sur les immigrés musulmans génétiquement idiots, a connu un succès considérable : il a été vendu à 1 200 000 exemplaires. 50% ont approuvé ses thèses. Inquiétant.

Le temps des écrivains intrépides qui mettaient en péril leur vie au nom de leurs idées révolutionnaires semble être révolu. On a vu un Voltaire tremper courageusement dans l’affaire Calas ; un Zola défendant dignement Dreyfus ; et plus récemment un Sartre condamnant résolument le colonialisme (Il a d’ailleurs préfacé les damnés de la terre, de Frantz Fanon, un des plus grands penseur de l’anticolonialisme.)

Le régime politique français, cela dit, est victime de ses propres excès. L’instrumentalisation de la peur, la surenchère électorale et la diabolisation sélective sous couvert d’une laïcité truquée qui aspire davantage à nettoyer l’espace publique – et bientôt privé – de toutes traces d’appartenance religieuse qu’à garantir la coexistence pacifique, la liberté de conscience et la neutralité de l’Etat, ternissent les principes du système représentatif français. En effet, dans une démocratie libérale, la relation entre la liberté de l’individu et la souveraineté du peuple est basée sur la régulation mutuelle : l’individu ne doit pas imposer sa volonté à la société et la société ne doit pas s’immiscer dans les affaires privées du citoyen. Défendre et émanciper la liberté collective au détriment de la liberté individuelle – comme ce fut le cas pour les femmes voilées – implique un déséquilibre périlleux des fondements démocratiques. L’hypertrophie d’un principe au détriment des autres conduit inéluctablement à une démesure ravageuse.

En effet, le fait d’encourager le progrès dans un esprit de croisade, de défendre la liberté dans une logique de tyrannie ou alors de réduire le peuple à une masse malléable finit par vider le régime français de sa matière. Lorsque les fondements de la démocratie ne sont pas régulés et soumis à un équilibre évitant la favorisation d’un principe au désavantage du reste, ils deviennent une menace pour notre société et permettent ainsi l’éclosion de certains dangers comme le populisme ou l’ultralibéralisme.

Au niveau social, l’ultralibéralisme affecte gravement la vie de la cité. En effet, la déshumanisation d’une humanité réduite à des chiffres et à sa capacité à créer du profit, le mercantilisme de la société et l’usage démesuré de la technique illustré notamment par la catastrophe de Fukushima et la création d’armes de destruction massive répondent davantage à une logique néolibérale et impérialiste observant les êtres-humains comme un code-barres qu’à une volonté de progrès et de modernisation. Comme le soulignait à juste titre au début du XXème siècle, le philosophe allemand, Heidegger, la technique n’a de sens que lorsque elle vise à servir plutôt qu’à asservir l’homme. Nous sommes passés d’une modernité qui procure du confort à une modernité qui crée des dangers.

C’est ainsi que dans le monde professionnel, où la plupart du temps tout est réduit à des formulaires et à des dossiers formalisés asphyxiant en conséquence le contact humain, « il faut travailler plus pour gagner plus », car le profit et la rentabilité passent avant l’épanouissement de l’être-humain. Ces pratiques de déshumanisations opérées par cette machine infernale de l’ultralibéralisme sont, à notre sens, plus graves que celles perpétrées par le totalitarisme sous toutes ses formes. Elles font certes moins de bruits mais n’en demeurent pas moins funestes et dévastatrices.

Sur le plan politique, c’est la démagogie du populisme qui menace la démocratie. Contrairement aux démocrates qui s’adressent au peuple pour défendre des idées impopulaires en prônant des sacrifices et en se souciant des minorités du pays et des générations futures, les populistes, se destinent, quant à eux, à la foule à travers des meetings sous forme de show, et surfent sur l’émotion de l’instant particulièrement en désignant à la vindicte publique un responsable qui va endosser tous les maux de la société.

Le matraquage médiatique à travers une sélection d’informations échafaudées sous forme de messages verbaux et visuels tend d’ailleurs à orienter le peuple vers les conclusions développées par les partis populistes. Le choix d’un parti au pouvoir, dans ce régime somme toute coercitif, n’est de ce fait pas toujours le fruit de la volonté générale mais la conséquence d’un conditionnement global ou plutôt d’un déterminisme collectif. Ainsi, c’est notre liberté d’opinion qui s’en retrouve considérablement restreinte.

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Les médias jouent un rôle des plus importants dans ce système ruiné et dépouillé de son esprit originel à tel point que l’émotion du peuple y est contrôlée et maniée au gré des intérêts de ceux qui tirent abusivement profit de la société.

La sensibilité sélective de la populace dictée « par le haut » est en effet manifeste dans la communauté : on est choqué de voir une femme en niqab mais inattentif à l’instrumentalisation du corps de la femme exhibé sur les panneaux publicitaires pour vendre un pot de yaourt ; on est heurté par la polygamie des uns mais très accommodant à l’endroit des relations extra-conjugales et adultérines des autres ; on est outré face à la tragédie de Merah mais presque silencieux quant à l’instrumentalisation dont il fait l’objet ; on s’accable d’un antisémitisme qui somme toute relève du fait divers dans notre société mais on demeure presque inerte et impassible face à une islamophobie galopante manifestée par une litanie d’inepties et d’amalgames sur le voile, le niqab, le halal, les prières de rue, l’islam en somme, balancée par des politiciens et intellectuels acharnés sur la communauté musulmane ; on sacralise la shoah mais on relativise l’esclavagisme, le colonialisme et les crimes de guerre commis notamment au Rwanda et en Bosnie ; la liberté d’expression est invoquée quand il s’agit de dénigrer une composante de la société mais la censure – voire la sanction – est pratiquée quand on s’en prend à telle autre constituante etc. On pourrait ainsi continuer pendant de longs paragraphes à faire défiler un cortège de contradictions… C’est ce « deux poids deux mesures » démesuré qui caractérise notre douce France…

Egrenant sans cesse un chapelet de prouesses françaises sélectionnées dans l’Histoire pour façonner une image éthérée de notre République, nos dirigeants et leurs chiens de garde, notamment BHL et sœur Caroline, semblent faire, par ailleurs, volontairement l’impasse sur les profonds paradoxes du paysage historique de la France. En effet, l’établissement de la Constitution française des droits de l’homme et du citoyen, au lendemain de la Révolution de 1789, proclamant en prélude l’égalité de tous en dignité et en droit ne semble pas avoir eu de véritable écho dans les faits.

L’esclavage, le colonialisme, la collaboration sous le régime de Vichy avec les nazis qui avaient établi une politique génocidaire inouïe ainsi que la présence de la France en Afrique et au Moyen-Orient et son soutien inconditionnel à la politique d’apartheid exercée par l’Etat criminel d’Israël à l’encontre des palestiniens sans compter ses alliances économiques avec des dictateurs sanguinaires contredisent de manière patente les principes et les valeurs que l’Etat français prétend défendre dans un simulacre de combat pour la justice et les droits de l’homme.

Les faits font mentir la charité des discours et des proclamations et l’invocation des droits de l’homme à géométrie variable selon les intérêts économiques qui décident au demeurant de l’honnêteté d’un dictateur ou d’un autre nous porte à croire que sous le masque de la démocratie se cache une caste d’impérialistes aveuglés par le désir de domination. La France n’a de ce fait aucune leçon à donner de l’autre côté de la Rive méditerranéenne. Dans cette toile ternie, c’est son propre portrait qu’elle devrait retoucher…

Le grand défi que doit, ce disant, relever la démocratie française est celui du sens… Retrouver le juste équilibre entre la libre volonté de Pélage et la Grâce divine d’Augustin. C’est ainsi qu’elle recouvrera ses Lumières…

Notes:

1 Lire l’excellent ouvrage de Rokhaya Diallo, A nous la France, Michel Lafon.

2 Paul Nizan, les chiens de garde, éditions Agone. Consulter aussi, dans la même perspective, les nouveaux chiens de garde de Serge Halimi, éditions raisons d’agir.

 

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