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La” Consultation” pour la représentation du culte musulman de France : une histoire mouvementée (partie 3 et fin)

Mais ces ingérences flagrantes de l’État français dans l’organisation du culte musulman (rédaction des statuts de la future structure, lecture anti-démocratique de l’accord-cadre du 03/07/2001) ne dérangent pas outre mesure le ministre à qui pourtant sa formation de juriste devrait imposer plus de retenue. Il poursuit donc sur sa lancée :

Je voudrais maintenant insister sur les cinq conditions qui à mon sens sont nécessaires à la réussite de vos travaux :

1. Il est indispensable que les courants minoritaires soient équitablement représentés au sein du C.F.C.M.

(Le ministre cite alors les musulmans d’origine africaine ou turque ou les femmes en proposant que l’instance décisionnelle du C.F.C.M. soit composée d’une soixantaine de personnes dont au moins 10 femmes)

2.Le C.F.C.M. ne sera légitime qu’à la condition de n’écraser aucun de ses membres.

Ce point est essentiel. Si une quelconque partie du CFCM venait à dominer, il perdrait sa capacité de représentation devant les fidèles musulmans et devant les pouvoirs publics. Vous savez qu’un système uniquement fondé sur des élections conduit à une logique majoritaire. Ce qui vous est proposé aujourd’hui repose sur un équilibre entre les élus et les cooptés : cet équilibre pourrait se situer à 55% d’élus et 45% de cooptés dans le conseil d’administration.

Il faut que vous teniez compte de la contrainte des ressources financières pour créer le CFCM. A raison d’un demi-euro de cotisation par mètre carré de superficie de lieu de culte, ce que certains trouvent déjà cher, vous ne pouvez pas créer une instance décisionnelle réunissant plus d’une soixantaine de personnes deux fois par an environ.

Au-delà de ce conseil d’administration, vous devez créer un bureau de quelques personnes, au moins une dizaine, dont vous savez qu’il aura parfois à prendre des positions qui dépasseront ce que vous pourrez écrire dans les statuts. Pour cette raison, il est évident que ce bureau ne doit pas pouvoir être dirigé ou contrôlé par une école de pensée. Il faut que les statuts prévoient de telles dispositions pour préserver l’avenir.

Le rôle du président ne peut pas être beaucoup plus large que celui d’un autre membre du bureau. Sa fonction essentielle est d’être le porte parole. Ses prises de position seront celles du CFCM. Il n’aura pas à exprimer de position personnelle au nom du CFCM. Pour des raisons pratiques, il doit pouvoir déléguer ses fonctions de prise de parole qu’à un autre membre du bureau dont les contraintes seront de même nature.

3. La question de la première présidence du CFCM

Je n’ai certes pas à faire prévaloir un choix personnel. Les musulmans de France doivent choisir librement leurs représentants. Mais je veux dire que le choix du premier président et du premier bureau est capital pour l’intégration du CFCM dans notre République, par sa capacité à être entendu et respecté par tous les Français. Pour qu’il en soit ainsi, pour que la voix du CFCM soit entendue dans l’opinion, dans nos frontières comme à l’extérieur, elle doit être portée au moins au départ par le représentant d’une institution qui a des racines dans l’histoire de notre pays ou une histoire que vous allez poursuivre et que vous ferez évoluer.

Tout autre choix risque de conduire à un rejet du premier CFCM. Il vous appartient d’en convaincre les membre des associations que vous représentez.

4. Les Conseils régionaux du culte musulman (CRCM)

Un certain nombre d’entre vous se demande s’il est utile que les CRCM soient dotés de statuts d’association. Ils craignent que de telles associations prennent leur autonomie vis à vis du CFCM.

Je suis convaincu que vous ne pouvez pas échapper à la création d’associations dans les régions :

Sur la composition des CRCM, je vous propose une répartition de 80% d’élus et de 20% de personnalités qualifiées dont des femmes mais si vous préférez que les CRCM n’aient que des élus, pourquoi pas ? Sous réserve que les statuts des CRCM soient solidement liés aux statuts du CFCM, comme cela vous est proposé et comme cela est le cas dans l’ensemble des autres religions.

5. Conduire les élections région par région sans attendre que la dernière soit prête.

7. Une interview maladroite

Le 18/10/2002, le Recteur de la Mosquée de Paris, pressenti par le ministre pour présider le premier CFCM, déclare, lors d’une interview au quotidien «  20 minutes » sous le titre « Islam des banlieues, islam des excités » :

« Toutes les mosquées sont menacées par les fondamentalistes, parce que ce sont eux qui ont l’argent. C’est un problème global qui dépasse largement la France. L’Occident a creusé sa tombe de ses propres dents. Neuf musulmans sur dix ne sont pas des fondamentalistes, mais ils le deviennent. Je ne comprends pas que l’on taille les barbes à Kaboul si c’est pour les cultiver en Région parisienne. Nicolas Sarkozy a l’air déterminé à nous aider, mais combien de temps sera-t-il au pouvoir ? je me rends compte que, aujourd’hui, il est plus facile d’être sectaire que d’être ouvert. Dès que l’on se montre libéral, moderne, on est montré du doigt. »

Cette interview déclenche un tollé contre le Recteur de la Mosquée de Paris sur les forums des sites Internet consacrés à l’islam

8 Réactions aux propositions du ministre

Le 31/10/2002, l’UOIF publie un communiqué dans lequel elle reprend point par point les conditions posées par le ministre dans son discours du 21/10/2002 en déclarant notamment :

Première condition (les quotas réservés aux minorités) :

La mise en avant de quotas affectés aux courants minoritaires ne conduirait-elle pas à balkaniser les musulmans de France en communautés juxtaposées et concurrentes ? L’approche communautariste serait-elle recommandée entre musulmans de France alors qu’elle est refusée, à juste titre, sur le plan national ?

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Deuxième condition (Le CFCM ne sera légitime qu’à la condition de n’écraser aucun de ses membres. Ce qui vous est proposé aujourd’hui repose sur un équilibre entre les élus et les cooptés)

Le procédé démocratique et transparent de mise en place des instances dirigeantes du CFCM, comme le prévoit l’accord-cadre, ne suffit-il pas à garantir une représentation légitime et équilibrée du culte musulman ?

Ce même accord-cadre, à l’inverse de ce que certains veulent laisser croire à l’opinion publique, prévoit que les élus au sein des instances dirigeantes du CFCM soient invités à coopter des personnes dans une proportion déterminée.

Cessons donc de penser que parmi les élus qui vont émerger dans les région il n’y aura pas de personnalités qualifiées.

Troisième condition ( Je veux dire que le choix du premier président et du premier bureau est capital pour l »intégration du CFCM dans notre république)

Nous nous étonnons fortement au sujet de la méthode proposée. Il revient évidemment aux responsables musulmans de choisir celui qui présidera leur conseil représentatif et ceux qui composeront ses instances dirigeantes. Si l’adhésion des lieux de cultes recensés a été si massive, c’est tout simplement parce que nous, les membres de la consultation mais également le ministère, avons garanti que personne ne leur serait imposé et que leur choix serait respecté. Ainsi, ne peut prétendre à la présidence du CFCM une personne qui se permet de tenir des propos insultants envers les musulmans de France ou de dénigrer leurs pratiques religieuses .

Quatrième condition (Je suis convaincu que vous ne pouvez pas échapper à la création d’associations dans les régions)

Le sujet mérite débat

Cinquième condition (Conduire les élections région par région sans attendre que la dernière soit prête)

L’UOIF est favorable à ce que les élections régionales se tiennent le même jour dans toutes les régions. La symbolique de l’événement nous fera dire : c’est à telle date que l’islam de France s’est organisé.

En conclusion, aujourd’hui, nous ne somme nullement prêts à être en porte à faux par rapport à nos engagements, à la communauté musulmane et à l’histoire. Nous déclarons qu’une démarche saine dans le respect des idées fortes de l’accord-cadre et de son règlement électoral est vitale. Les volontés doivent converger afin de permettre aux responsables du culte musulman d’élire dans l’unité, la transparence et la dignité, un CFCM

9 Conclusion

Les conditions mises par Nicolas Sarkosy à la poursuite du processus démocratique d’élection des représentants du culte musulman de France sont un outrage à la laïcité et aux accords passés signés entre les associations musulmanes et le gouvernement français.

L’État français devant être neutre vis-à-vis des religions, les musulmans de France attendent avec impatience et intérêt que le ministre de l’intérieur se permette, au nom de la République Française, de mettre comme condition au dialogue avec le clergé catholique français, qu’un quota d’évêques d’origine africaine soit nommé, ou que des femmes rabbins puissent représenter le culte israélite..

Certains observateurs doutent de la sincérité du gouvernement précédent qui, selon eux aurait tout autant remis en cause le processus électoral dès lors que le résultat n’aurait pas été conforme à leurs espérances. D’autres font remarquer que les prises de position du locataire actuel de la place Beauvau serait une manière élégante d’offrir un enterrement de première classe à la consultation.

Toujours est-il que les musulmans de France se sont, depuis l’appel du ministre de l’intérieur d’octobre 1999, très sincèrement et largement investis dans ce qui aurait dû être un processus démocratique comportant un minimum d’arbitraire étatique. Faut-il que le seul bénéfice de ces années de travail soit policier ? Certains font en effet remarquer que les musulmans ont offert au ministère de l’intérieur le travail que les services de police s’avéraient incapables de produire : le recensement puis le fichage précis et détaillé de tous les lieux de cultes de France.

Le processus électoral risquant de ne pas valider les manœuvres des ministres de l’intérieur successifs, Nicolas Sarkozy a pris la lourde responsabilité de l’interrompre et de remettre en cause la parole de l’État avait donnée aux musulmans de France.

La C.O.M.O.R. est issue de l’accord-cadre du 03/07/2001, elle a pour seule mission d’organiser les élections régionales puis nationales devant aboutir à la formation du C.F.C.M. Son rôle s’arrête là, il est hors de question qu’elle se permette de modifier cet accord-cadre au gré des conditions imposées par le ministre ou qu’elle passe des accords sur la composition future du C.F.C.M..

Les élections prévues doivent aboutir à l’assemblée générale constituante du C.F.C.M. Ce jour là, les élus de la France entière discuteront, sur la base des statuts proposés par la C.O.M.O.R., de la structure la plus adéquate à donner à la représentation du culte musulman de France. Cette assemblée générale sera, selon la loi, souveraine et ne devra accepter aucune ingérence de l’État dans ses débats.

Le ministre peut poser toutes les conditions qu’il souhaite, il peut promettre tous les postes qu’il désire, les musulmans jugeront la structure à venir en fonction de l’indépendance des débats et de la réalité du processus électoral qui aura abouti à sa formation.

Si l’État refusait d’appliquer ses engagements et de jouer le rôle qui lui avait été reconnu de « facilitateur » et de témoin de bonne foi , faudrait-il pour autant que les musulmans renoncent aux fruits de plusieurs années d’efforts ? De très nombreux musulmans appellent à l’unité des communautés musulmanes de France. Grâce au travail fourni ces dernières années, nous n’avons jamais été aussi proches de ce but.

En tout état de cause, le C.F.C.M. sera une structure de droit privé et la C.O.M.O.R. n’a nul besoin de l’aval du ministre de l’intérieur pour organiser les élections prévues.

Le C.F.C.M., devra, pour pouvoir travailler de manière efficace, avoir le soutien massif des musulmans de France. C’est, à mon sens, le but prioritaire qu’il doit se fixer, avant même de rechercher la nécessaire reconnaissance des pouvoirs publics.

En définitive, les musulmans de France, et même du monde entier, restent très attentifs à l’avenir du processus électoral issu de la consultation.

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