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Islam, république, humanisme : la doctrine religieuse contre le communautarisme (partie 1)

Le préjugé selon lequel l’engagement citoyen authentique d’un français musulman suppose une distanciation par rapport aux principes éthiques et politiques de l’Islam semble fortement ancré, aussi bien chez les nationalistes inconditionnels de l’assimilation – que nous distinguons de l’intégration – , que chez les partisans d’une vision dogmatique et figée de l’Islam. On s’obstine à faire de la République et de la Oumma (islamique) deux espaces clos qui s’excluent l’un l’autre, en leur attribuant le même niveau, celui de la solidarité politique à caractère nationaliste.

Si la redéfinition des concepts de nation et de république n’est pas l’objet du présent texte, en revanche il s’agit de montrer que la Oumma, n’est qu’un espace éthique, dont la référence absolue n’est autre que l’humanité. Il s’agit en outre de montrer qu’il ne s’agit ni d’un concept géopolitique ni d’un concept territorial, qu’elle n’est pas close, mais ouverte.

Dès lors, les valeurs éthiques de l’Islam ne doivent pas définir un espace communautaire clos, mais être débattues par l’ensemble des citoyens, car comme l’établit Muhammad Abduh, les principes fondamentaux de l’éthique musulmane sont aussi reconnaissables par la raison humaine indépendamment de toute révélation religieuse.

Dès lors rien ne s’oppose à ce que les minorités musulmanes participent pleinement à la Respublica, défendent cette dernière, et reconnaissent des principes de solidarité politique qui ne soient pas dérivés du religieux. A la seule condition de garder, comme référence ultime, celle, cosmopolite, à l’humanité entière et aux droits de l’homme, et de ne pas privilégier le particulier contre le général (c’est-à-dire la communauté contre la République, et la République contre les principes humains universels).

La Oumma n’est ni une nation ni une communauté socio-culturelle, mais un espace de référence éthique

Le texte coranique met en évidence trois termes différents qui expriment des formes de solidarité entre les individus membres d’un groupe humain : Le terme « Qawm » exprime les diverses formes de cohésion et de solidarité qui peuvent exister au sein d’un groupe humain. Le « Qawm » est cette communauté liée par les pratique, normes et valeurs communes, ainsi que par la vie commune. Il s’agit du terme arabe qui exprime le mieux la forme de cohésion sociale et culturelle au sein d’un groupe d’humains partageant une vie commune.

Mais le « Qawm » n’est pas acteur au sein du processus de la révélation. Il est le milieu dans lequel advient celle-ci, et duquel surgit le prophète.

Au sein du « Qawm », qui reçoit le message du prophète, il existe d’emblée une ligne de démarcation entre ceux qui reconnaissent la légitimité de ce dernier et ceux qui la contestent. Les premiers sont souvent persécutés, exclus ou volontairement exilés, si l’on se réfère aux nombreux versets coraniques relatifs aux prophètes Noé, Loth, Abraham, etc.. La « Sira Nabawiya », (vie et œuvre du prophète Muhammad) témoigne aussi des moments de persécution (la phase Mekkoise), et de la phase d’exil (l’Hégire). Sortis du « Qawm » avec leur prophète, les fidèles à son message suivent ce dernier et constituent sa « Milla ».

La « Milla » revêt avant tout un sens éthique et spirituel : la « Milla » suit sont « Mawla » – ou guide, en adoptant ses principes et ses valeurs, en dépit d’une distance qui les séparerait dans le temps : ainsi, le prophète Muhammad serait dans la continuité de la Milla d’Abraham.

La forme de solidarité la plus significative entre les hommes est celle de la « Oumma ». Cette dernière n’est fondée ni sur l’origine biologique commune, ni sur les éléments socio-historiques générateurs d’identité, mais sur des valeurs communes qui émanent d’un message spirituel.

L’entrée dans la « Oumma » n’est pas un fait d’hérédité. Il ne doit pas être subi, mais choisi par l’individu. L’appartenance à la « Oumma » se fonde sur l’adhésion de ses individus au message spirituel commun. La « Oumma » est ouverte à toute personne qui décide de reconnaître ce message. Elle est de droit coextensive à toute l’humanité.

Le texte coranique prône le dépassement du « Qawm » au profit de la « Oumma », et rejette tout privilège fondé sur l’appartenance à un peuple donné. L’Arabe n’a aucune supériorité de droit sur le non-Arabe. La place accordée à Bilal d’Abyssinie dans la communauté des croyants est hautement symbolique : elle met en pièce les préjugés raciaux des arabes de la Jahiliya .

Il est vrai que l’histoire arabe nous révèle qu’un principe spirituel ne parvient pas toujours à s’imposer au sein d’une communauté. Il est néanmoins nécessaire de montrer ce dernier en tant que maxime de l’action historique. L’usurpation du Califat par Mu’awiyya Bin Abi Sufiyan s’accompagne d’un retour au primat de l’arabité sur l’islamité.

La société Omeyyade a rétabli au sein même de la Oumma, une hiérarchie entre les groupes sociaux en fonction de leur appartenance « ethnique » et « tribale », voire en fonction de leur appartenance au Qawm., en privilégiant les arabes originaires ( al ‘arab al ‘ariba) sur les arabisés ( al ‘arab al Musta’riba) , et ceux-ci sur les non-arabes (al ‘Ajam).

Mais la référence à la Oumma implique celle à l’humanité :

la Oumma est coextensive de droit à toute l’humanité

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les valeurs de la Oumma sont destinées à l’humanité toute entière. Dans la mise en pratique des règles morales, le musulman ne doit faire aucune distinction entre l’Autre musulman et l’Autre non-musulman. : c’est ainsi que le prophète Muhammad se serait acquitté de bon nombre de ses obligations envers les polythéistes de la Mecque avant de s’en exiler.

La Oumma occupe une position médiatrice entre un message divin universel et l’humanité : le texte coranique fait référence à la « Oumma wasat » – la oumma du milieu, témoin et médiateur du message divin à l’ensemble de l’humanité. Le terme de milieu réfère, non seulement à la médiation, mais aussi à la place fondamentale de l’éthique de chacun de ses membres.

Toutefois, l’absence de toute distinction entre la Oumma et l’humanité mènerait à une vision totalitaire, dans la mesure où l’on serait amené à ne reconnaître la pertinence de l’humanité que dans la Oumma, et à exiger que toute l’humanité soit éclairée et adhère à cette dernière.

Le texte coranique a prévu l’évitement de ce piège totalitaire et établi une distinction entre la Oumma et son extérieur : si tout être humain est appelé à faire partie de la Oumma, il n’y est pas contraint. Le texte coranique reconnaît la diversité des humains, donc leur inégalité, face à la lumière divine. Nombreux sont les versets appelant le prophète Muhammad à admettre l’exitence des Kafirun (voilés par l’ignorance et la non reconnaissance du message). Car cela fait partie de l’ordre du monde tel que voulu par Dieu, et tous les efforts faits par le prophète Muhammad afin de les éclairer peuvent se révéler vain.

De plus, le prophète Muhammad, donc a fortiori tout homme, est dépourvu du droit de juger de la foi ou de la mécréance d’autrui. Seul Dieu est juge.

N’y a-t-il toutefois dans le texte coranique qu’une simple tolérance de type condescendante vis-à-vis des non musulmans ? N’y a -t-il qu’une simple exhortation à laisser à leur libre arbitre ceux dont les cœurs sont fermés aux message divin ?

Le texte coranique ne manque pas de reconnaître l’existence de plusieurs types et niveaux de messages et de Millas. La légitimité des messages judaïques et chrétiens y est reconnue. Le texte coranique reconnaît en outre que les gens du Livre de l’espace sémitique n’ont pas le monopole des révélations et des prophéties, car de nombreux prophètes ont été envoyés par Dieu, dont le prophète Muhammad n’aurait eu aucune connaissance. C’est de surcroît ce principe qui a servi de fondement au dialogue islamo-hindouiste lors de la conquête musulmane de l’Inde.

Ayant reconnu l’existence légitime de différents espaces à l’extérieur de la « Oumma » des musulmans, le texte coranique fait référence aux rapports d’échange et de distinction entre la Oumma et son extérieur.

Certains principes y sont présents afin de déterminer les rapports entre les musulmans, membres de la Oumma. Un exemple : le verset 8 de la Sourate des Appartements Privés (Al Hujurat) met en évidence un certain nombre de règles :

1- Les croyants ne doivent pas s’entretuer, mais doivent établir entre eux des rapports de bonne entente. Cette règle est appuyée par un hadith (Hadith Nabawi) selon lequel, lors d’une lutte à mort entre deux croyants, le tueur et la victime sont condamnés à l’enfer, dans la mesure où cette dernière a également cherché à tuer son frère.

2- Si un conflit advient, ce qui est historiquement possible et réel, alors il est nécessaire de réconcilier les deux parties en conflit.

3- Mais lorsque l’une d’elles a injustement transgressé les règles de bonne entente, il devient nécessaire de l’affronter afin seulement qu’elle revienne à une juste décision. Une fois cela obtenu, il est nécessaire de juger selon les principes justes.

Toutefois, la « solidarité » au sein de la Oumma est conditionnelle, et ne peut se réaliser au détriment de cette référence ultime qu’est l’humanité. La condition fondamentale est le respect de toutes les maximes morales qui régissent l’action du musulman, notamment dans son rapport à tout être humain quelles que soient ses croyances.

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