Par Philippe Doucet, député PS de la 5ème circonscription du Val d’Oise et responsable de la laïcité pour le Groupe PS à l'Assemblée et pour le parti.
Aristide Briand et Jean Jaurès : les artisans de la loi de 1905, étaient des hommes de gauche. Depuis la loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la laïcité appartient au socle des valeurs républicaines et humanistes qui nous unissent. Seulement aujourd’hui, deux blocs de valeurs s’opposent. D’un côté nous tenons à la laïcité qui considère la religion comme une pratique privée, à l’émancipation qui refuse toute forme d’aliénation, et à la mixité qui traite à égalité femmes et hommes. De l’autre, la tolérance et le respect de la différence, la lutte contre les discriminations, la liberté de conscience et le libre-exercice des cultes font aussi partie de l’ADN de la gauche. L’émergence de l’islam comme fait social au premier plan des débats d’opinion divise nos pétitions de principes et nous impose un débat franc, ouvert, et sans tabou. La première étape est celle d’une prise de conscience de nos contradictions, tant individuelles que collectives. La seconde doit tracer notre chemin pour faire société sans renoncer àaucun de nos principes fondamentaux.
La laïcité face au fait religieux
La laïcité considère la religion comme une pratique privée. Or il est impossible de ne pas voir l’affirmation religieuse collective de l’islam dans la sphère publique. L’islam en France est un fait religieux. Il se traduit notamment par une demande collective de construction de lieux de culte, et une volonté de vivre selon les règles de cette religion. Nous avons oublié depuis longtemps que « le rôle d’une religion peut être le cœur de réacteur d’une civilisation », selon la formule du philosophe spécialiste de l’islam Abdennour Bidar dans sa Lettre ouverte au monde musulman[i]. Pour assumer pleinement sa responsabilité politique, la gauche doit accepter de regarder en face le fait religieux tel qu’il se manifeste, et le confronter au principe de laïcité tel qu’elle l’a voté en 1905.
La lutte pour l’émancipation tolère-t-elle la liberté de conscience ?
L’émancipation de l’individu est un principe cardinal de la gauche. Révoltés contre toute forme d’aliénation, certains courants vont jusqu’à considérer les religions comme des pratiques rétrogrades et conservatrices. Ou comme disait Marx, un « opium du peuple ». En s’opposant systématiquement aux religions, cette position empêche l’application des principes également essentiels de tolérance et de liberté de conscience.
Pour autant, il existe bien plusieurs manières de vivre sa foi. La pratique religieuse est aussi une quête personnelle et un moyen d’élévation spirituelle. Le cœur du conflit dans le traitement du fait religieux est situé sur cette distinction. Abdennour Bidar le formule ainsi : « Tandis que [l’Occident] a tranché le lien sacré entre l’homme et l’infini, toi [l’islam] tu étrangles l’homme avec ce même lien de l’infini ». Cette nuance dans la compréhension du fait religieux comme aliénant ou comme élément de liberté est indispensable pour établir un dialogue serein.
La mixité compatible avec le libre-exercice du culte sans discrimination ?
La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen a proclamé dès 1789 l’égalité des genres. Le principe de mixité qui en découle s’applique à tous les espaces de la République. Les récents débats montrent qu’il y a des frottements entre l’application des principes religieux de l’islam et celui de la mixité. Le débat doit s’ouvrir avec les musulmans sans pour autant faire de la laïcité une arme contre eux. Car dans le même temps où nous devons défendre la mixité, nous devons aussi respecter le libre-exercice de leur culte et lutter contre les discriminations et la stigmatisation qu’ils subissent. Belle et difficile équation républicaine.
Le 10 juin dernier je participais à un débat sur la laïcité et une participante nous a lancé : "Il faut faire des réunions sur la laïcité comme celle-là dans toutes les villes, dans tous les quartiers"… Preuve que l'envie de comprendre et de prendre à bras le corps ces questions est forte. L’envie de vivre-ensemble et de faire société autour des valeurs républicaines aussi. Affronter ses contradictions est un processus difficile, mais vivre en schizophrène est encore plus douloureux. Pour cette raison, la gauche doit trouver le chemin commun à la liberté, à l’islam, et à la laïcité.
[i] Bidar, Abdennour,Lettre ouverte au monde musulman, Paris, éd. Les liens qui libèrent, avril 2015
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