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Euro-Islam, Mosquée ouverte

Seul le Coran oblige, éclairé par la Tradition authentique,
dont le critère d’authenticité est l’adéquation avec le Coran

Histoires de Mosquées est un recueil de témoignages émouvants, témoignages de chrétiens et de musulmans amenés à vivre ensemble dans une région qui n’avait pas connu une telle situation, sans précédent dans sa longue histoire pourtant très mouvementée. Des Juifs, il y en avait. Ils s’étaient intégrés, et on avait pris l’habitude de les côtoyer sans les « remarquer ». Ils ne sont pas différents. A part le culte, plutôt discret, ils sont des citoyens français comme les autres, avec les mêmes devoirs et les mêmes droits, et la synagogue se fond dans le paysage coutumier sans provoquer l’attention : par son architecture même, elle n’est pas une provocation. La civilisation occidentale se définit par ailleurs comme judéo-chrétienne, et l’antisémitisme, même lorsqu’il se niche encore quelquefois sournoisement dans les cœurs, est unanimement condamné.

Il n’en va pas de même pour l’islam. Il est récent. Il n’a pas de racines historiques dans la région. Histoires de Mosquées est un ouvrage qui fera date. Les pionniers en Alsace y évoquent leurs souvenirs d’une façon poignante. Les chrétiens leur avaient ouvert leurs églises. Certains se souviennent et racontent. On ne leur refusait pas un coin pour la prière dans l’usine. Ils priaient alors sur des cartons, ou des journaux. Des étudiants encadraient les ouvriers. Il y avait aussi des fermetures et des interventions consulaires motivées par des raisons politiques. Tel ou tel imam se servait de sa chaire pour régler ses comptes avec le régime de son pays d’origine. Le charismatique imam égyptien s’était fait particulièrement remarqué par sa science, très conservatrice, et son verbe enflammé. Il a laissé des souvenirs. L’étudiant syrien avait fait sa jonction avec son ami tunisien, descendant des souverains déchus de Tunis. Les « mosquées » de Strasbourg, très bigarrées, mais où dominent les Turcs, les Marocains et les Algériens, ont un côté, en raison de leur fréquentation, très pittoresque.

« A l’échelle de Strasbourg, le nombre approximatif de lieux de culte musulmans s’élève à 18, avance le sociologue Franck Frégosi, qui enseigne à la Faculté des Sciences Humaines de la ville. Ils se présentent sous diverses formes, depuis de discrètes salles de prière à l’arrière d’une boutique, jusqu’à des appartements aménagés, une usine réaménagée, un hangar désaffecté, en passant par des sous-sols et des foyers de travailleurs immigrés. Sur les 18 lieux de culte recensés, 6 seulement sont réellement des lieux permanents dans lesquels les fidèles peuvent quotidiennement se rendre pour accomplir à la fois les 5 prières canoniques, assister à des causeries religieuses, ou y envoyer leurs enfants pour des cours de langue arabe ou turque, ou d’instruction religieuse. Les autres ne sont généralement accessibles et fréquentés que le vendredi1 ».

Cette situation s’explique. En Europe, et pas seulement en France, quoique celle-ci reste la moins favorable à l’islam, l’islam évoque et provoque. Il évoque de vieux souvenirs d’invasion, et d’autres plus récents de colonisation et de décolonisation, les deux douloureuses. Il est « étrange2 » et étranger pour la région par sa culture, sa langue et sa civilisation. Sa visibilité provoque. On ne peut dire qu’il est désiré. Or, tout corps étranger entraîne un phénomène de rejet naturel. Aujourd’hui, malgré des réussites heureuses, on en est là. Les témoignages recueillis en sont la preuve.

Pour le moins que l’on puisse dire, l’islam n’a pas pignon sur rue en Alsace et dans sa capitale, Strasbourg. Il n’y a pas une mosquée de Strasbourg, comme il y en a une de Paris, ou de Lyon. Pourquoi ? Y a-t-il une volonté sous-jacente de ne pas laisser l’islam s’implanter dans la région et y prendre racine ?

Le témoignage d’Amin Al-Midani est à ce propos très éloquent : « D’un point de vue communautaire, je ne suis pas très optimiste concernant l’avenir de l’islam à Strasbourg. La communauté musulmane est mal organisée et manque d’intellectuels ». Le résultat de ce déficit d’organisation ne pouvait pas ne pas se traduire par l’avortement de tout projet présenté aux autorités, promptes à saisir tout prétexte pour surseoir à des décisions douloureuses, et soucieuses aussi d’un minimum de consensus avant de passer à l’acte et à

l’exécution. Conséquence : longtemps, « Le projet d’une grande mosquée a été mis en attente », déplore Chaïb Ami. « Il n’y a pas encore de mosquée à Strasbourg », constate avec amertume Benaïssa Arahouane. Et le plus pessimiste est M. El-Kadaoui : « Bientôt, plus personne ne sera musulman en France ». Quant à Mohsen Ayachi, il fait son deuil de voir le projet se réaliser un jour. Il y renonce : « Une mosquée avec une coupole et un minaret ne m’intéresse pas ». A. L. fait cette constatation : « L’islam de France commence à se “déculturaliser” ».

Peut-être son intégration définitive est-elle à ce prix ? Pour ma part, cela ne me choque pas. L’islam n’est pas plus une culture, que la prière n’est une gymnastique, ou le jeûne une cure d’amaigrissement. L’Euro-islam peut être culturellement totalement européen, sans perdre son âme. L’islam n’est ni une culture, ni une identité, ni surtout une politique. Il est une foi, et une voie de salut. Les frontières de la Umma ne sont pas de pierre, mais de prière ; elles ne sont pas terrestres, mais célestes. On peut appartenir à toutes sortes de cultures ou d’ethnies, y rester fidèle, et être à part entière musulman. C’est une affaire de cœur, non d’habit, de barbe ou de turban. Je suis pleinement en accord avec A. L. lorsqu’il, ou lorsqu’elle, écrit : « La France a les moyens et la chance de pouvoir se donner un projet pour l’islam ».

En attendant, les témoignages recueillis dans Histoires de Mosquées reflètent de l’anxiété, des inquiétudes, voire une certaine angoisse face à un avenir incertain. « Qu’est-ce que je fais de ma vie ? » s’interroge Mohammed Trari. Que dire au musulman désemparé, déraciné de son milieu d’origine et transplanté dans un environnement nouveau auquel il ne sait comment s’adapter tout en restant soi-même ? Que dire au jeune beur né avec un faciès qui ne va pas dans le paysage ? Que dire au converti(e) qui vit une situation de conflit, et qui quelquefois, comme Abdallah Pagand, « avait cheminé un moment avant d’arriver à l’islam », en faisant un long détour qui l’avait d’abord conduit à suivre l’enseignement des maîtres de Bénarès ? C’est compliqué. Les ulémas leur diront de suivre la Charia pour être de bons et vrais musulmans, et les médias leur apprennent qu’au nom de la Charia on vient, au Nigeria, de condamner à mort par lapidation une nouvelle malheureuse qui s’était laissée faire un enfant hors mariage. Dans ces conditions, doit-on, au nom de la liberté du culte, laisser les imams venus d’ailleurs, formés à Médine ou au Caire – c’est la même chose – faire de la propagande pour la Charia, et les musulmans d’Alsace, pour être conséquents avec eux-mêmes, doivent-ils centrer leurs campagnes électorales sur son application ? Absurde bien sûr, mais logique. L’islam est un tout, on ne peut pas en prendre et en laisser, et camoufler les problèmes n’est pas les résoudre.

Je ne suis pas un uléma professionnel, et je ne délivre pas de fatwas. Je suis un penseur musulman libre, et à cela je tiens. Je ne suis pas un pseudo-musulman. Je suis musulman de conviction et de praxis, et prétends connaître ma religion aussi bien ou mieux que les ulémas professionnels. A tous ceux qui s’interrogent, je propose seulement mes réflexions. Et d’abord ceci : pour le musulman, seul oblige le Coran éclairé par la Sunna authentique, dont le critère premier d’authenticité est l’adéquation avec le Coran. Je ne ferai donc appel, comme autorité indiscutable, qu’à ces deux sources, et accessoirement aux grands faqîhs et théologiens de l’époque classique, que je ne récuse pas en bloc et sans discernement, mais que je ne sacralise pas non plus. Leur apport, une fois désacralisé, gagne en intérêt et, loin de nier leurs mérites, j’en tire plutôt fierté en tant qu’un énorme effort juridique, théologique, exégétique et culturel d’une valeur inestimable et d’une grande richesse, une fois assumé d’une façon critique et dynamique.

Or, à propos des lieux de culte voici ce que me dit le Coran :

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« En fait, si Dieu ne contenait pas les hommes, les uns par les autres, que d’ermitages (sawâmi’u), que de synagogues (biya’un), que de lieux de prière (salawâtun), que de mosquées (masâjidu) où le nom de Dieu est beaucoup évoqué, n’auraient été démolis. Dieu secourt toujours celui qui le secourt. Oui ! Dieu est Fort et Puissant. Il secourt ceux qui, s’ils sont solidement établis – par Nous – sur Terre, célèbre la prière, s’acquittent de la contribution purificatrice (zakât), commandent le convenable et détournent de l’inconvenable. Et, en définitive, c’est à Dieu que revient la décision finale » (Coran, 22 : 40-41).

Et dans la Bible qui, lue avec le Coran comme grille de lecture (furqân) et de criblage pour éliminer les altérations (Tahtîf) est aussi mon Livre, je lis ceci : « Les fils de l’étranger qui s’attachent au Seigneur… Je les ferai venir à ma sainte montagne, je les ferai jubiler dans la Maison où on me prie ; leurs holocaustes et sacrifices seront en faveur, car ma Maison sera appelée : “Maison de prière pour tous les peuples” » (Es., 56 : 6-7).

En effet, l’islam, qui signifie remise de soi en toute paix et en toute confiance entre les mains du Seigneur, n’est pas une nouvelle religion. Il est, de tout temps, la religion de l’humanité, de tout être humain qui s’ouvre à Dieu, et s’en remet à Lui en toute sincérité et en toute confiance. Il est la religion la plus rationnelle de la terre. S’il est relativement étranger en France, il ne l’est sûrement pas en Europe. En tout cas, il n’est pas cette religion « étrange3 » et folklorique telle que nous la présentent certains médias. Nous leur laissons cet exotisme désuet et fané ainsi qu’à leurs « savants » conseillers qui pour satisfaire une clientèle européenne vont piocher dans les contes publics médiévaux pour affirmer que « depuis un millénaire et demi les musulmans n’ont jamais vraiment lu le Coran ». Nous ne pouvons pas laisser dire cela. Pour nous le Coran est ipsissima Verba Dei, Verbe de Dieu scripturé.

En toute logique Bayt Allâh, La Maison de Dieu – ainsi est désignée la mosquée et c’est le nom que je suggère de donner à la mosquée de Strasbourg qui finira bien par sortir de terre un jour – doit être ouverte pour tous sans aucune exception, je répète et je signe : sans aucune exception de confession, de croyance ou de non-croyance. C’est ma réponse en particulier à Ali Bouamama qui évoque de tous ses vœux « une mosquée plurielle », et « un islam ouvert sur son environnement ». L’islam, qui intègre sans relativisme ni syncrétisme tout ce qu’il y a de vrai et d’authentique dans toutes les traditions religieuses, est, comme religion de toujours et de la fitra, c’est-à-dire de la nature humaine, la religion la plus œcuménique. La mosquée doit donc être hospitalière, transparente et accueillante pour tous et tout particulièrement dans le contexte occidental, qui est celui de Strasbourg, à nos frères juifs et chrétiens avec lesquels nous partageons l’essentiel, le tawhîd, la foi en un Dieu Un, créateur et rétributeur que nous aimons et que nous prions.

« J’imagine la mosquée de l’avenir comme une grande maison, un lieu de vie », écrit Nafissa G. Il ne tient qu’aux musulmans de Strasbourg de faire de leur « mosquée de l’avenir » « un lieu de vie », en l’ouvrant d’abord à tous sans aucune exception, et en y enseignant les grandes valeurs humaines enseignées par Dieu à son Messager au cours du Mi’râj pour qu’il les enseigne à tous. Au lieu de s’enliser dans des querelles infinies intra et extracommunautaires, qu’ils vivent au quotidien ce commandement : « Pratique le Pardon ; ordonne le convenable selon l’usage ; et détourne-toi des ignorants » (Coran, 7 :199).

« Une mosquée est faite pour donner une culture, des valeurs, une foi aux jeunes » écrit Mévlut Sencar. Oui, bien sûr ! Qui le contesterait ? Mais comment ? Là est le problème. « L’islam reste à l’évidence un élément d’altérité, même derrière les constats d’une intégration en marche », écrit Fabrice Dhume, chercheur en sciences sociales. Le protestantisme le fut, dans les pays catholiques, et avec quelle violence ! L’islam, en soi, n’est pas un élément d’altérité. Il n’est, par lui-même, ni une culture, ni une identité. Il ne doit pas diviser, il doit unir. Il ne doit pas introduire la zizanie et la subversion dans les nations, et les fractionner en communautés confessionnellement et culturellement opposées.

Enfin, dans nos mosquées euro-islamiques parlons aux gens dans leur langue. Lorsque l’imam parle en arabe, il parle à qui et pour qui ? Jamil E. Palagi n’a pas tort de se plaindre : « Et cela ne serait même pas nécessaire si l’imam faisait une traduction instantanée de son discours ». Prions pour que sa prière soit exaucée ! Dieu évoque l’idée que le Coran aurait pu être descendu en une langue autre que l’arabe : « Et si Nous l’avions fait descendre sur quelqu’un des non-Arabes ? » (Coran, 26 : 198). « Et si Nous en avions fait un Coran en une langue autre que l’arabe ?… » (Coran, 41 : 44).L’arabe n’est ni une langue sacrée, ni une langue du sacré, et encore moins la langue de Dieu. Si Dieu avait fait descendre le Coran en Gaule, il aurait été en gaulois. Dieu parle aux gens dans leur langue. Faisons comme Lui !

Préface du livre, Histoires de mosquées, auteurs Karim ABDOUN, Mathilde CHEVRE, Asma AL ATYAOUI, Abdel Aziz FAÏK, éditions Kalima, 2004

Editions Kalima
140 route de Bischwiller
67300 Schiltigheim – France
Tél. : 03.88.33.75.95
Fax : 03.88.83.65.80
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