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Entretien avec Tommie Smith : « aux USA, on pratique un lavage de cerveau dès l’enfance »

Le messager de Mexico

Le dernier sprint de l’homme le plus rapide du monde. Un seul geste et à vingt-trois ans, il scelle son entrée dans l’histoire. Tête baissée, le vainqueur du 200 mètres des JO de 68 lève son poing ganté de noir dans le ciel de Mexico pour dénoncer le racisme US. Le foulard autour de son cou rappelle les lynchages sudistes, les pieds nus expriment la pauvreté de son peuple, le rameau d’olivier, la paix. Un sommet de la condition humaine. Rencontre sur Oumma avec une légende vivante culminant à deux mètres de haut : l’inflexible Tommie Smith.

Récemment, Mohamed Ali a reçu plusieurs distinctions. Aujourd’hui, c’est votre tour. Comment vivez-vous ces moments ?

Mohammed Ali et moi sommes deux êtres, l’un musulman, l’autre chrétien. Nous luttons pour la même cause de façon différente, comme Malcolm X et Martin Luther King l’ont fait avant d’être assassinés. Pour ce qui est du gymnase « Tommie Smith », venir l’inaugurer est un honneur. Je l’appelle maintenant « ma maison ». Tout le monde devra y travailler ensemble : des gens de toutes couleurs. Jesse Jackson (célèbre pasteur américain) a appelé cela « rainbow coalition » (coalition de l’arc-en-ciel). Travailler pour se développer en tant qu’être humain, et pas pour le billet vert… Quelle est la monnaie ici ? L’euro, ok ! Pas pour l’euro, donc !

Tommie smith

“Tommie Smith devant la photo légendaire de 1968 : un geste qui a fait le tour de la planète”(copyright Jérôme Panconi)

Quelle place tient votre geste à Mexico, dans l’histoire de la lutte pour l’égalité aux USA ?

Les images de Mexico ont été retransmises en direct dans le monde entier. C’était une gigantesque tribune et mon gouvernement n’a pas apprécié. Pour lui, j’étais un jeune idiot qui essayait de se faire connaître par un acte stupide. Aujourd’hui, la lutte continue. Durant la guerre civile américaine, le Sud se battait pour maintenir l’esclavage et le Nord pour le changement. Ainsi s’est créée cette nation des « états unis ». Donc si le peuple d’Amérique comprend ce processus de formation, il peut saisir mon combat pour l’égalité.

Les gens associent souvent votre geste au mouvement des Black Panthers...

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Tommie Smith et les Black Panthers n’ont jamais collaboré. Je ne suis pas membre des Black Panthers, ni d’aucun parti. Mon geste relève, comme tous ceux que j’ai accomplis, de ma propre initiative.

Peut-on comparer la situation des Noirs aux USA à celle des enfants d’immigrés en France ?

Aux USA, on pratique un lavage de cerveau dès l’enfance : « Fier d’être américain, parce que l’Amérique est le meilleur pays sur cette terre, parce qu’elle est libre ». On me disait ça quand j’étais petit garçon, alors que ma famille vivait dans la misère. J’avais l’habitude de m’asseoir dans un coin et de regarder les Blancs vivre aisément. Et j’étais perdu ! De nos jours, on met en avant les « bons patriotes », riches et célèbres comme Mike (Michael Jordan). Moi, j’enseigne la sociologie à l’université de Santa Monica depuis vingt-sept ans, 80% des élèves ne savent pas qui je suis. Mon fils a fait ses études à Paris et, en rentrant, il portait en lui ce mélange des cultures, tout comme son ami, un Français noir qui l’avait accompagné. D’ailleurs, en l’entendant parler français, j’avais une sensation bizarre. Pour moi qui n’étais jamais allé à l’étranger, tous les Noirs parlaient anglais (rires) ! Vous, vos parents viennent du Maghreb, de l’Afrique, et vous êtes nés ici ! Moi, mes parents sont originaires du Texas (rires) ! Vous voyez la différence ?

Comment avez-vous vécu la réélection de Bush aux USA ?

L’avoir réélu montre à quel point le système est malveillant. En parlant avec des gens, je leur ai demandé : « Pourquoi avez-vous voté Bush ? » Déjà, ils se demandaient comment j’avais deviné, alors qu’ils avaient des stickers partout sur leur voiture ! Et bien, en raison du désordre actuel, ils ont simplement eu peur de voter pour un inconnu, comme des « groupies », ou certains devenus Black Panthers juste pour porter les mêmes vêtements. Allons les gars, il faut développer sa propre personnalité pour être un homme libre !

Propos recueillis par la rédaction Oumma

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