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Engageons-nous contre les extrémismes !

Par Mohammed MOUSSAOUI

 Introduction.

Les événements tragiques qui ont frappé le cœur de notre pays en janvier 2015 ont amené de nombreux acteurs institutionnels à s’interroger sur leur propre responsabilité quant aux moyens qu’ils déploient pour prémunir et préserver la jeunesse française face aux mouvements et aux idées extrémistes.

Le départ de centaines de jeunes français vers la Syrie pour aller grossir les rangs du groupe terroriste «Daesch», connu sous l’appellation « Etat Islamique », a interpellé les responsables musulmans qui constatent avec une grande inquiétude l’instrumentalisation de la religion musulmane par des extrémistes de tout bord.

Dans ce contexte, les musulmans doivent œuvrer à peser sur le cours des évènements dans le sens du bien en  assumant leur rôle de témoin: « Nous avons fait de vous une communauté éloignée des extrêmes pour que vous soyez témoins parmi les hommes et que le Prophète soit témoin parmi vous»(Coran : 2-143).

I. Comment un jeune devient-il extrémiste ?

Un jeune ne devient pas subitement extrémiste, il s’agit d’un processus lent qui résulte d’une interaction entre sa personnalité et des facteurs liés à son histoire et à son environnement. Aux facteurs d’ordre social, économique, politique, ou ethnique et religieux, il faut ajouter des facteurs d’ordre psychologique et émotionnel.

Incontestablement, aujourd’hui comme hier, les jeunes des quartiers populaires souffrent de la précarité et du chômage plus qu’ailleurs. L’inégalité sociale et économique est devenue également politique; les jeunes ont le sentiment d’être exclus de la représentation démocratique qui leur permet d’avoir prise sur ces inégalités et de tenter de les infléchir. S’ajoute à ces inégalités d’ordre social, économique et politique, la question très sensible des inégalités liées aux appartenances religieuses et ethniques. Ces dernières années,  des débats et des polémiques autour de la religion musulmane se sont multipliés, un racisme latent, qui se veut imperceptible, caché sous les dehors acceptables de la liberté d’expression s’est manifesté.

Face à cela même ceux qui ne revendiquaient pas leur différence culturelle ou cultuelle se trouvent forcés d’affirmer cette identité qu’on ne cesse de leur renvoyer. En quelque sorte, chez certains jeunes, on a à faire à des logiques de reversement de stigmates,  c’est-à-dire  « ce qu’on me reproche j’en fais une fierté ». Ce renversement de stigmates peut donner lieu à une instrumentalisation de la religion, par certains, pour « régler des comptes »avec ceux qui sont perçus comme responsables de leurs difficultés.

Les jeunes qui partent en Syrie sont recrutés via une campagne véhiculée essentiellement par l’internet et les réseaux sociaux. Cette campagne fait appel à des méthodes d’endoctrinement et d’embrigadement alliant des arguments théologiques fallacieux pour justifier la haine de l’« Autre », une mise en perspective des récits historiques et des présentations des différents conflits internationaux, notamment au Proche et au Moyen Orient, laissant s’installer l’idée qu’une offensive est organisée contre les musulmans. Des récits apocalyptiques et eschatologiques sont mis en scène, comme dans toute dérive sectaire, pour mobiliser les plus fragiles psychologiquement.

Certains de ces jeunes se prennent pour des justiciers investis de la mission de rétablir l’ordre moral, y compris par le recours à la violence. La rencontre avec une idéologie vient alors l’offrir une forme de considération et d’estime de soi et créer chez eux l'illusion de devenir importants. Les promoteurs de cette idéologie ont réussi à créer un modèle particulièrement séduisant pour les jeunes en manipulant d’une manière perverse des codes et des ressorts de communication ciblant les jeunes. C'est un modèle du héros-saint qui marie la bravoure héroïque avec l'idéal du saint qui accomplit une mission quasi divine et altruiste.

II. Comment éviter l’instrumentalisation des textes religieux ?

L’idéologie extrémiste,hier comme aujourd’hui, instrumentalise les textes religieux pour justifier sa barbarie et construire son discours de haine de l’autre. Les cadres religieux doivent offrir aux jeunes des clefs de lecture de ces textes et les aider à décrypter la masse colossale d’informations qui transite sur internet et les réseaux sociaux. En premier lieu, il faut rappeler que la foi ne saurait aller à l’encontre de la raison et que les objectifs et les finalités d’une religion ne sauraient être à l’opposé des valeurs universelles qui font l’humanité de l’homme.

Les quelques principes et valeurs ci-après sont des exemples, parmi d’autres, à mettre au cœur de tout enseignement religieux :

1. La miséricorde est l’essence même du message de l’islam:« Et Nous ne t’avons envoyé qu’en miséricorde pour tous les univers » (Coran 21:107) ;

2. La vie humaine est Une et Indivisible:« Quiconque tue un être humain non coupable de meurtre ou de sédition sur la Terre est considéré comme le meurtrier de l'humanité toute entière. Quiconque sauve la vie d'un seul être humain est considéré comme ayant sauvé la vie de l'humanité tout entière ! » (Coran, S.5-V.32) ;

3. L’égalité entre les humains est le corollaire de l’égale dignité humaine: « Certes, Nous avons rendu dignes tous les fils d’Adam»(Coran, S.17-V.70) ;

4. Le respectde la  liberté de conscience est une volonté divine comme le stipule le verset :« Nulle contrainte dans la religion » (Coran, 2 : 256) ;  

5. Etre implacable à l’égard de l’injustice.Celle-ci ne saurait être justifiée ou excusée même dans les pires situations d’adversité: « Et ne laissez point la haine et l’animosité que vous opposent certaines personnes vous inciter à être injustes.  Restez justes ; c’est cela qui vous préservera» (Coran 5:8).  

6.La recherche de la Paix est la règle, la réponse à un conflit est une exc
eption :
Le prophète de l’islam, lui-même, a connu des situations de conflit. Le coran les a relatés dans des termes qui ont pu être détournés de leurs objectifs et exploités à des fins belliqueuses. Un travail d’exégèse s’impose pour remettre ces textes dans leur contexte :

D’emblée, il faut rappeler que la guerre a toujours été considéréecomme un incendie qu’il faut éteindre au plus vite: « Toutes les fois qu'ils allument un feu pour la guerre, Dieu l'éteint. Ils s'efforcent de semer le désordre sur la terre. Dieu n'aime pas les semeurs de désordre. » (Coran, 5 :64).L’autorisation de se défendre contre les agresseurs ne relève que du devoir d’assistance aux personnes en danger et de la nécessité de rétablir l’ordre et la Paix: « N’agressez point, Dieu n’aime pas les agresseurs. » (Coran, 2:190). « Si Dieu ne repoussait pas certains hommes par d'autres, les cloîtres auraient assurément été démolis, ainsi que les églises, les synagogues et les mosquées où le nom de Dieu est souvent mentionné.» (Coran, 22:39-40).

Ces valeurs parmi d’autres ont trouvétoute leur résonance dans la tradition vivante du prophète Muhammad :

Dès son arrivée à Médine, le prophète a fait rédiger un pacte définissant les règles du vivre ensemble entre tous les citoyens de la ville et ses environs quel que soit leur confession. 

Lors du premier conflit imposé au prophète Muhammad, ce dernier avait proposé aux prisonniers leur liberté contre un seul service : apprendre à lire et à écrire à dix jeunes enfants!

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Le Prophète Muhammad a accueilli les Chrétiens de Najrane (une localité du Sud de l’Arabie) et leur a permis de célébrer leur culte à l’intérieur de la mosquée de Médine (deuxième des hauts lieux Saints de l’islam).

III. Que peut-on ou que doit-on faire face à l’extrémisme ? 

L’Union des Mosquées de France (UMF), a appelé à des Etats généraux sur le radicalisme et organisé une dizaine de rencontres avec les imams et aumôniers de différentes régions de France entre le 18 juin 2014 et 13 février 2015. Lors de ces journées de réflexion, les participants ont réaffirmé, leur engagement à poursuivre leur mobilisation dans le cadre de la mission qui est la leur et à apporter toute leur contribution en matière de lutte contre la radicalisation et à l’effort national en matière d’éducation aux valeurs qui fondent notre vivre ensemble.  Plusieurs propositions ont été faites dans ce sens :

1.Trouver le moyen de pérenniser ce type de rencontres qui pourrait passer par la création de conseils des imams et d’aumôniers au niveau régional et national;

2.Le contenu du prêche du vendredi, comme moyen d’enseignement et d’élévation spirituelle, doit faire l’objet d’un travail collégial digne des défis auxquels sont confrontés les musulmans de France;

3. L’enseignement religieux dispensé dans les mosquées, les écoles et instituts doit fixer parmi ses objectifs de donner aux jeunes des clefs de compréhension et des « filtres de connaissances » qu’ils leur permettraient de faire face aux propagandes extrémistes;

4.Constatant que la radicalisation s’effectue essentiellement à travers l’internet et les réseaux sociaux et que les radicaux utilisent des techniques de communication faisant appel à des ressorts spécifiques à la jeunesse, il convient de mettre en place des moyens de lutte contre la radicalisation adaptés à cette réalité;

 5.Les parents doivent s’investir davantage dans l’éducation de leurs enfants qui sont  confrontés à des réalités complexes et à des risques accrus.  Ils doivent également apporter toute leur aide et tout leur soutien aux équipes pédagogiques de l’éducation nationale qui sont leurs premiers alliés dans leur mission d’éducation et de transmission du savoir et des valeurs;

6.Le principe de la Laïcité, qui par la neutralité de l’Etat et la séparation du politique et de religieux, garantit à tous la liberté en matière de religion et l’égalité de tous indépendamment de leur conviction religieuse ou philosophique, doit être expliqué et promu. Les imams doivent tout mettre en œuvre afin de permettre au citoyen musulman de concilier entre son engagement religieux et son engagement citoyen et de vivre ces deux engagements dans la paix et la sérénité;

7.Le dialogue inter-religieux qui est, aujourd’hui plus que jamais, une nécessité pour la paix et la cohésion nationale, doit se traduire au sein de nos lieux de culte avec nos fidèles, comme au sein de nos familles avec nos enfants, par un discours présentant avec estime et respect le choix de nos concitoyens en matière de conviction ou de religion;

8.Constatant que les terroristes ayant agi ces dernières années à Toulouse, à Montauban, à Bruxelles et à Paris, se sont radicalisés dans la prison, il convient d’y renforcer la prévention et l’accompagnement des plus fragiles;

9.Tout en dénonçant les actes d’hostilités qui visent les musulmans de France et les symboles de leur foi, les imams doivent appeler sans cesse les musulmans de France à avoir une attitude digne et à ne pas céder à la provocation d’où qu’elle vienne;

10.Partant de la parole de sagesse : « l’Amour de la Patrie est le fruit d’une foi sincère », invoquée dans la tradition musulmane, pour rappeler aux fidèles leur obligation à l’égard de leur patrie et de leur concitoyens, les imams sont appelé à élever une prière pour la République française et pour le peuple français à l’occasion du prêche du vendredi et des rencontres et cérémonies religieuses.

VI. Quels mots pour quelles réalités ?

Alors que le mot «  judaïsme »est présenté comme étant « l’ensemble de la pensée religieuse et des institutions religieuses du peuple d'Israël » (Larousse, édition 2014), le mot « christianisme »étant « l’ensemble des religions fondées sur la personne et les écrits rapportant les paroles et la pensée de Jésus-Christ » (Larousse, édition 2014), le mot « i
slamisme »
est défini comme « synonyme de  religion musulman ou islam  et désigne depuis les années 1970, les courants les plus radicaux de l’islam, qui veulent faire de celui-ci non plus essentiellement une religion, mais une véritable idéologie politique par l’application figée de la charia et la création d’Etats islamiques intransigeants » (Le Grand Larousse, édition 2014).  Le mot « islamiste »  étant  « relatif à l’islamisme, qui en est partisan »(Le Grand Larousse, édition 2014) est parfois utilisé dans le langage courant pour désigner le terroriste se réclamant de l’islam. D’autres termes commencent à fleurir dans le langage politique et médiatique tel que « Islamo-fascisme » ou « islamo-nazisme» pour décrire nous-dit-on la réalité du terrorisme se réclamant de l’islam.

Il est vrai que le terrorisme se réclamant de l’islam est une réalité. Ce terrorisme prend en otage l’islam et confisque son langage mais peut-on, pour autant, le désigner par des raccourcis qui créent la confusion et nourrissent les amalgames entre islam et violence ? En agissant ainsi, ne risque-t-on pas de valider cette prise d’otage au lieu de la dénoncer ? Certains français des années 40 qui affirmaient défendre une idée de la France ont collaboré avec le nazisme et le fascisme. Accepterions-nous, pour autant, de désigner cette collaboration de « franco-fascisme » ou de « franco-nazisme » ?  La présence du mot « France » dans ces raccourcis serait, pour les français d’hier comme d’aujourd’hui,  une offense insupportable.

Conclusion

Historiquement, la présence structurée de mouvements de la jeunesse et de la société civile offrait aux jeunes des espaces d’apprentissage aux valeurs collectives. Elles permettaient également à la contestation sociale inéluctable de s’exprimer de façon seine et respectueuse du cadre démocratique. Privée de ces structures, cette contestation a pris la forme d’une délinquance défiant toutes les autorités dans la société : celle de la famille, de l’école, de l’autorité publique mais aussi des institutions religieuses.

Les forces d’humiliation qui se mettent en place par les inégalités sociales et économiques par les discriminations d’ordre ethnique ou religieux et par le défaut de représentation politique,  peuvent être instrumentalisées par des extrémistes et pousser les jeunes à se détruire ou à tenter de détruire ceux qui pensent être les responsables de leurs difficultés.

L’histoire nous apprend qu’à chaque fois qu’ils se sont trouvés réunies la perception juste ou injuste du développement des inégalités d’ordre économique, social, ethnique ou religieux et la perception juste ou injuste d’un défaut de représentativité dans le débat politique et démocratique, à chaque fois que ces deux facteurs se sont trouvés réunis, la porte fut  grande ouverte au populisme et à l’extrémisme.

L’humanité bien qu’elle dispose depuis longtemps de nombreux textes, traités et conventions sur les droits fondamentaux qui reconnaissent à l’Homme sa dignité, sa liberté et la sacralité de sa personne, les évènements du siècle passé et de ces dernières années montrent combien la Paix est fragile et a besoin d’être préservée, protégée et consolidée jour après jour. Le dialogue interreligieux et interculturel peut y contribuer. Ce dialogue doit être au cœur des préoccupations de toutes celles et tous ceux qui ouvrent  pour éclairer et apaiser les esprits et les cœurs face à la peur et l’incompréhension qui peuvent naitre dans la confusion des conflits et des guerres des ignorances.

Mohammed MOUSSAOUI

Président de l’Union des Mosquées de France, Président d’honneur du CFCM

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