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Electeurs musulmans ! Quel choix en 2012 ?

Jamais les musulmans de France ne se sont autant mobilisés pour une échéance électorale. De nombreux appels en direction des jeunes, notamment, les incitant à aller s’inscrire sur les listes électorales, ont commencé à circuler, dès le mois de novembre sur internet. Des imams, des fédérations d’associations, des responsables associatifs locaux ; nombreux, en effet, étaient ceux qui s’y sont engagés avec conviction et insistance. A ce titre, on ne peut que féliciter, encourager, louer et soutenir toutes ces initiatives. Ainsi, peut-on d’ores et déjà prédire que le taux de participation des électeurs musulmans sera, cette fois-ci, plus élevé que jamais auparavant. Ce qui, en soi, marquera déjà une avancée heureuse et remarquable.

Cependant, force est de constater que cette mobilisation reste bien en deçà de la gravité de cette élection présidentielle et de ses enjeux. Aucune consigne de vote n’a été formulée par aucune des associations musulmanes citoyennes ou personnalités musulmanes. Pourtant, on constate sur les forums de discussion une forte demande des jeunes et des moins jeunes, qui ne cessent de solliciter des conseils et des orientations : pour qui voter alors ?

Doit-on se contenter, encore une fois, du rôle de rabatteur de votants pour baisser le taux d’abstention, ou aller plus loin et se hisser au niveau de l'extrême importance de cette échéance de 2012 ? Voilà la question que je n’ai cessé de me poser depuis plusieurs mois. Personnellement, j’aurais bien aimé que quelqu’un d’autre que moi, plus porté sur l’action et l’analyse politiques, se charge de cette tâche. Malheureusement, plus que deux jours seulement nous séparent du premier tour, et, à part la scandaleuse et méprisable initiative de l’UAM 93, aucune association musulmane citoyenne et aucune personnalité n’ont eu le courage politique et moral de se prononcer clairement sur le choix à faire, et/ou à préconiser.

Qui suis-je pour me substituer à tous ces démissionnaires et abstentionnistes ? Je pourrais me prononcer à plusieurs titres ici. Mais je ne le ferai à aucun de ces  nombreux titres. Et c’est donc uniquement en tant que citoyen français et intellectuel musulman que je soumets ma réflexion à mes concitoyens de confession musulmane.

Quel vote voulons-nous ?

Loin de toute vision binaire, par définition fausse et inintelligente, deux choix, à mon sens, s’imposent toutefois aux  électeurs musulmans, qu'ils soient musulmans de religion, de confession, ou même de culture.Le premier choix : perpétuer et reconduire les pratiques du passé, à savoir le vote indigène, le vote du deuxième collège, et la « bougnoulisation » de l’électorat musulman. Pour cela, il suffit de se rendre aux urnes ce 22 avril, comme on est parti pour le faire : sans objectif précis, et sans même mesurer la gravité de son enjeu.

Le deuxième choix : rompre avec ce passé, qui dure depuis trop longtemps, et prendre enfin nos responsabilités pour assurer notre présent et l’avenir de nos enfants. A cet effet, nous devons coûte que coûte donner un sens, responsable et solennel, à cette échéance électorale. Je ne peux imaginer un seul instant qu’un citoyen  français de confession musulmane responsable, vivant en France, puisse agir ou ne pas agir d’ailleurs, et laisser ce premier choix perdurer. A mon sens, le deuxième choix s’impose indéniablement, et c’est uniquement la façon de le mettre en œuvre qui est problématique. La France se trouve à la croisée des chemins et rien ne sera plus jamais comme avant, à l’issue de cette élection présidentielle. Ce papier n’a d’autre ambition que d’apporter une modeste contribution, étayée de propositions claires et pratiques.

Alors, le vote musulman n’est-il qu’un leurre ?

Je ne serais ni réaliste, ni objectif, si j'affirmais que le vote musulman existe. Et c’est tout à fait normal. Les pesanteurs qui influent sur un choix électoral sont nombreuses, et loin d’être consensuelles par ailleurs. Tout comme le sont les facteurs historiques, culturels, linguistiques et politiques, entre autres déterminants, les choix électoraux des musulmans sont également prégnants et multiples. Quand un musulman prend parti haut et fort pour Mélenchon, parce qu’à ses yeux il représente la gauche populaire et défend la cause palestinienne, il s’en trouvera toujours deux autres pour lui rappeler sa virulence et sa hargne contre les musulmanes voilées. N’est-ce pas lui qui a écrit « Dévoilons les voilées ! » ?

Quand un autre musulman louera les qualités de Bayrou, « homme intègre, vrai démocrate » et qui, de surcroît, a été l’un des rares personnages politiques à refuser de se compromettre dans des génuflexions lors du dernier dîner du Crif,  il verra se dresser une foultitude de musulmans pour lui rappeler son rôle – alors qu’il était ministre de l’éducation et sur conseils des militantes algériennes – dans l’exclusion des lycéennes musulmanes en 1994. Et si jamais, des voix ne s’élevaient pas dans ce sens, d’aucuns ne manqueront pas de rafraîchir nos mémoires en évoquant son témoignage en faveur deCharlie Hebdo, et donc en faveur des caricatures injurieuses et anti-islamiques. Bref, aucun candidat, loin s’en faut, n’est assuré d’avoir les faveurs consensuelles des musulmans. Par conséquent, si vote musulman il doit y avoir, ce ne sera aucunement autour de la personnalité d’un seul candidat.

Au regard des programmes politiques, le résultat est le même. En effet, nous les musulmans, à l’instar de tous nos concitoyens, nous subissons les mêmes difficultés sociales et économiques. Et l’état de la France impacte sans distinction sur tous les citoyens, qu’ils soient « français de souche » ou « français d’origine étrangère ». Mis à part les discriminations à l’embauche qui sont une réalité indigne et insupportable, les problèmes de logement, d’emploi, de sécurité, n’ont pas de confession particulière et touchent indifféremment les Français. Il en est de même des grandes questions régionale et mondiale, économique, écologique, financière qui, vues de France, concernent tous les Français au même titre. Donc, ce n’est pas non plus sur les programmes des candidats que les musulmans trouveront des points de convergence.

Le "vote musulman" en 2012 sera une lueur d’espoir ou ne sera pas !

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Comme je le précisais plus haut la France est bel et bien à la croisée des chemins, et je pourrais citer plusieurs exemples pour illustrer ce constat. Mais ce qui m’importe par-dessus tout, c’est de m’interroger sur la place qu’occuperont  les musulmans dans la France de demain. Va-t-on continuer à les stigmatiser et plus particulièrement les musulmanes, et les exclure davantage ou bien le contraire ? Va-t-on continuer à agiter le chiffon rouge du soi-disant communautarisme musulman ou considérer les musulmanes comme partie intégrante de la communauté nationale ?

Va-t-on continuer à se murer dans le mutisme et faire preuve d’indifférence face à la multiplication des actes de profanation des cimetières musulmans et des mosquées, ou bien l’indignation se fera-t-elle entendre pour que tout cela cesse ? Va-t-on continuer à légiférer à coups de lois liberticides , qui vont de l’interdiction du foulard au lycée à la chasse aux jupes longues, en passant par la pénalisation du niqab dans  l’espace public, sans oublier  la traque des foulards des nounous dans l’intimité de leur foyer ? Après le honteux et ignominieux faux débat sur l’identité nationale, la focalisation outrancière sur les prières de rue, sur la nourriture halal, et depuis peu sur la « merahisation » des musulmans de France, le comble de la bouc émissarisation a été atteint depuis plusieurs mois, et la coupe est désormais plus que pleine.

Nul  besoin de faire un dessin, ni même d’élaborer un dessein… En dépit des petits calculs des uns et des autres au sein de la communauté musulmane, quelles que soient nos opinions politiques, nos conditions sociales, nos origines…,  nous ne devons avoir qu’une seule question à l’esprit avant de mettre notre bulletin de vote dans l’urne. Le candidat à qui je donne ma voix va-t-il œuvrer ou non pour stopper la montée de cette hideuse et dangereuse islamophobie [1] ? Si leurre il y a, ce n’est certainement pas dans le vote musulman !  Existe-t-il ou n’existe-t-il pas ? Le leurre, c’est de croire que l’islamophobie montante en France se limitera à la stigmatisation et à ces lois anti-islamiques.

Nicolas Sarkozy, durant tout son mandat, n’aura prononcé le mot « islamophobie » que deux fois : lors d’un dîner ramadanesque à la mosquée de Paris, par la voix de son Premier ministre qui a lu son discours adressé à la communauté musulmane, et au cours de sa visite de l’université de Constantine, dans une allocution où il prononça sa fameuse phrase : « La France ne transigera pas avec l’islamophobie ».

En effet, depuis ce fameux discours de décembre 2007, c’est tout le contraire qui a été fait, la droite Sarkozyste ne cessant d’alimenter et d’attiser l’islamophobie. Même lors de sa dernière visite, au mois de mars, à la mosquée de Paris, pour déposer une gerbe de fleurs à la mémoire des soldats musulmans morts pour la France, Sarkozy n’a rien fait  pour corriger le tir et dénoncer cette haine islamophobe qui, à plusieurs reprises ces cinq dernières années, a profané les tombes de ces mêmes soldats. Hélas, aucun mot d'apaisement n’est sorti de sa bouche.

Si je ne devais citer qu’une phrase pour convaincre ceux qui ne réalisent pas encore le danger réel de cette islamophobie qui va crescendo, je choisirais celle que prononça le mufti de Bosnie,  un slave « de pure souche », sur les ondes de la BBC, en septembre 2006 : « J’ai peur que les musulmans subissent le même traitement que les juifs en Europe,  si les choses n’évoluent pas (…), j’espère que l’islamophobie qui est maintenant en Europe et en Occident ne débouchera pas sur un holocauste musulman ».

S’il y a une seule raison qui doit pousser tous les musulmans à aller voter ce dimanche, c’est bien le vote contre l’islamophobie. Ce premier tour doit être celui du vote sanction pour tous les candidats, tandis que le deuxième tour sera celui de la sélection du candidat qui n’encouragera pas l’islamophobie. Je dis bien qui n’encouragera pas l’islamophobie et non qui la stoppera, car il ne faut pas se leurrer, il n’y a que grâce à notre engagement, nous les musulmans, et à l’aide de nos amis français, très nombreux, que l’islamophobie révulse, que nous pourrons lutter contre ce fléau.

Dieu est avec ceux qui se comportent avec rectitude et ceux qui sont endurants. Âmîne.

Note:


[1] Sic me dit le logiciel word. Le mot islamophobie (resic) vient d’être souligné en rouge. Le dictionnaire de Microsoft ne reconnaît pas ce mot : islamophobie. L’islamophobe Pascal Bruckener non plus.

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