Avant d’être un politologue reconnu par la communauté scientifique internationale pour ses travaux sur les systèmes politiques arabes contemporains et l’islam européen, dont il avait d’ailleurs été l’un des initiateurs français, Rémy Leveau était d’abord « le Prof de Science Po » à qui de nombreux jeunes universitaires, chercheurs, journalistes mais aussi haut fonctionnaires et « politiques » doivent aujourd’hui leur initiation au Monde arabe. Animé par une « passion raisonnée », R. Leveau a été à l’origine de nombreuses vocations « arabisantes » qui se sont d’autant mieux réalisées, que « le Prof » a toujours soutenu et accompagné ses étudiants, les encourageant à transformer leur passion en « métier ». D’aucuns diraient que R. Leveau faisait partie de ces « universitaires pragmatiques » qui savaient concilier intelligemment « engagement académique » et « insertion dans les réseaux socioprofessionnels ». A beaucoup d’égards, on peut le considérer aujourd’hui comme l’un des promoteurs français des « sciences sociales appliquées » au Monde arabe. Ces écrits scientifiques reflètent largement cette orientation : en 1976, il publie Le Fellah marocain défenseur du Trône (Presses de la Fondation nationale des sciences politiques), à la suite d’une mission d’expertise au sein du cabinet du ministre marocain de l’Intérieur ; cette étude, nourrie de données politiques et sociodémographiques de première main, sera incontestablement fondatrice de la sociologie électorale marocaine, qui influencera non seulement le regard des politologues français sur le Maghreb politique mais aussi les nouvelles générations de politistes marocains. Toujours animé d’un esprit pionnier, il est l’un des premiers politologues français a « parier » sur la transplantation de l’islam dans les sociétés européennes, refusant de le considérer exclusivement comme un phénomène provisoire, importé et étranger. Il comprend très vite que l’islam va devenir la « deuxième religion de France » et que les immigrés et leurs enfants, loin d’opérer une rupture vont réinvestir massivement le « vecteur religieux ». Dans cette perspective, il lance et supervise une série d’études empiriques sur les communautés musulmanes de l’Hexagone qui donnent lieu à la publication avec, Gilles Kepel, de l’ouvrage collectif, Les musulmans dans la société française (Presses de Science Po, 1987). Suivant son intuition, il sera également l’un des tout premiers universitaires à pressentir la dimension européenne de l’islam et les phénomènes de « transnationalisation » : les communautés musulmanes ne se contentent plus de s’organiser à l’échelle nationale mais aussi à l’échelle continentale, voire « transtionale ». Dans cette optique, il publie, Islam(s) d’Europe (Centre Marc Bloc, Berlin, 1998). Avec Catherine Wihtol de Wenden, il avait également contribué à vulgariser la notion de « Beurgeoisie » (ces bourgeois français d’origine maghrébine), s’attachant à décrire l’émergence de nouvelles élites économiques, sociales et politiques, issues des migrations maghrébines, se référant à un double système de légitimation à la fois communautaire et universalo-républicain. Son intérêt pour le Monde arabe n’a pas tari pour autant. Rémy Leveau, à la fin de sa carrière universitaire, a continué à publier de nombreux essais politiques, entre autres, Le sabre et le turban (éditions François Bourin, 1993), analysant finement les relations incestueuses entre les militaires et les élites politiques dans les régimes autoritaires.
Rémy Leveau restera dans les mémoires comme l’incarnation d’un « Universitaire – Frontière », conciliant simultanément recherche et expertise politico-administrative, enseignement académique et études de terrain, production scientifique et vulgarisation à destination des médias et du grand public. Ce caractère frontalier est encore renforcé par son souci permanent de penser les phénomènes sociopolitiques en interactions entre les deux rives de la Méditerranée, refusant de les enfermer dans des logiques purement nationales. Mais plus encore, c’est l’image du « Prof » qui restera dans les mémoires de ses anciens élèves, « ces hussards verts de la République » qui lui doivent aujourd’hui leur passion du monde arabo-musulman.
Principaux ouvrages de Rémy Leveau :
Le Fellah marocain défenseur du Trône, Presses de Sciences Po, 1976.
Les musulmans dans la société française, avec Gilles Kepel, Presses de Sciences Po, 1988
Le sabre et le turban, François Bourin, 1993.
L’Algérie dans la guerre, ouvrage collectif, éditions Complexe, 1995.
Le Yémen contemporain, Paris, Karthala, 1999.
La Beurgeoisie : les trois âges de la vie associative issue de l’immigration, avec Catherine Wihtol de Wenden, CNRS Éditions, 2001.
Monarchies arabes (dir.), Paris, La Documentation Française, 2002.
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