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Amères leçons d’un crime terroriste

L’immense protestation du peuple de France contre la violence des terroristes restera dans les annales de la République. Elle exhalait une sorte d’indignation tranquille, comme si la condamnation du crime et la solidarité avec les victimes, bien sûr, allaient de soi, mais ne pouvaient se formuler que dans la sérénité. Le refus de céder à la peur, de sombrer dans les affres de la division, s’y est exprimé avec une ampleur inédite, magnifiée par les innombrables échos rencontrés au-delà des frontières de l’hexagone, des rivages de l’Atlantique à ceux de la Méditerranée.

Cette formidable unanimité d’un jour constitue la meilleure dénonciation du crime commis. Mais elle en désigne aussi sans ambiguïté le véritable mobile : provoquer la discorde civile, distiller la haine interconfessionnelle. Entre des individus, des groupes ou des communautés qui n’ont pas nécessairement les mêmes références, la preuve est ainsi faite qu’ils peuvent partager des valeurs communes. Le « non » massif opposé au terrorisme formule aussi une adhésion aux règles élémentaires du vivre-ensemble, il est un « oui » sincère à l’unité nationale. 

Comme toute manifestation d’unanimisme, celle qui s’est déroulée le 11 janvier 2015,  toutefois, a son revers de la médaille. A son insu, elle a jeté un voile pudique sur de multiples non-dits. Passé le moment exaltant d’une communion quasi-universelle, on voit bien que le monde est tel qu’il était auparavant, qu’il n’a pas changé d’un iota. Des millions de manifestants ont exprimé avec dignité leur rejet de la terreur, mais ce n’est pas leur faire injure de dire que ce rejet ne résout rien. « Rien ne sera plus jamais comme avant », ont dit certains commentateurs optimistes. Il faut l’espérer, mais en est-on si sûr ?

Pour que rien ne fût comme avant, il faudrait d’abord tirer les leçons de l’événement,  en analyser les circonstances, identifier la chaîne des responsabilités qui y ont conduit. Or qu’en est-il ? Sans nul doute, la radicalisation d’un petit groupe d’individus se réclamant d’une idéologie sectaire et suicidaire est le premier chaînon de cette chaîne. Les trois auteurs des assassinats en assument la responsabilité personnelle, et aucune excuse absolutoire ne saurait les en dispenser. Coupables du crime commis, ils l’ont d’ailleurs payé de leur vie, ce qu’on peut évidemment regretter, tant il est vrai que vivants ils eussent contribué à faire la part des autres responsabilités.

Ces individus, loin d’être des « loups solitaires », n’ont pas agi seuls. Et surtout, ils n’ont pas conçu dans la solitude de leur repaire la nécessité politique d’une telle violence, ils n’ont pas inventé la justification idéologique nécessaire au passage à l’acte. Soldats perdus du jihad planétaire de seconde génération,  ils furent les exécutants d’une opération-suicide dont le modèle, sinon l’ordre, est venu d’en haut. Car la criminalité terroriste de ces ex-délinquants n’est pas une délinquance au carré, mais l’expression dévastatrice d’une violence idéologique, celle qui voue les « kouffars » et autres « mécréants » à l’exécration des prétendus « vrais musulmans ».

C’est pourquoi le deuxième chaînon de la chaîne des responsabilités qui ont mené au crime, c’est bien cette idéologie née au Moyen-Orient arabe à la fin du 18ème siècle, savamment distillée par les prédicateurs wahhabites, dont le jihadisme d’Al-Qaida et de « Daech » est l’ultime avatar. Radicalisée à l’extrême pour justifier le jihad global, cette doctrine morbide apporte à l’entreprise terroriste une caution prétendument religieuse. Elle nimbe abusivement de sacré une subversion violente des sociétés dont les coutumes n’ont pas la chance de correspondre à l’idée que les sectateurs du jihad se font de l’islam.

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Si cette idéologie sectaire est l’affaire du monde musulman, il est clair que le monde musulman, dans son ensemble, n’en est pas responsable. Pourquoi le croyant de Tunis ou de Karachi, de Damas ou d’Aubervilliers devrait-il se battre la coulpe à propos d’une idéologie qui n’est pas la sienne ? C’est pourquoi la sommation faite aux musulmans, en tant que tels, de dénoncer le terrorisme jihadiste n’a pas de sens, même s’il est vrai que, le wahhabisme et ses rejetons faisant partie de l’islam, il appartient aux musulmans d’en combattre l’influence.

Problème du monde musulman, l’idéologie sectaire du jihad global ne cessera d’exercer ses méfaits que lorsqu’on lui aura appliqué une solution musulmane. Mais ce combat ne date pas d’hier. Adversaire résolu de la monarchie saoudienne dans les années 1960-70, le raïs égyptien Gamal Abdel Nasser a chèrement payé son désir de moderniser les sociétés arabo-musulmanes. Est-ce un hasard si les régimes nationalistes arabes égyptien, irakien et syrien, respectueux de l’islam mais non confessionnels, ont été systématiquement combattus par l’Occident allié à Israël, avec la complicité des pétromonarchies obscurantistes ? 

Pire encore : quelle est, aujourd’hui, la crédibilité de ces dirigeants occidentaux qui n’ont cessé, à la suite de l’administration américaine, de pactiser avec le diable ? Laurent Fabius n’a-t-il pas déclaré en décembre 2012 que le Front Al-Nosra faisait du « bon boulot » en Syrie ? (Voir « La farce tragique de l’Etat islamique »). C’est pourquoi le plus ahurissant, lors de la manifestation du 11 janvier, ce fut la feinte candeur des dirigeants français, comme si le crime revendiqué par Ahmed Coulibaly au nom de « Daech » n’avait aucun rapport avec les errements de la politique française au Proche-Orient.  

Et pourtant, la diabolisation insensée du régime de Damas, les livraisons d’armes à la rébellion, la complicité éhontée avec des pétromonarchies qui en sont les bailleurs de fonds notoires : autant d’aberrations qui ont exposé le peuple français à la vengeance sanguinaire des jihadistes. La France est passée en quelques jours, au cours de l’été 2014, des livraisons d’armes en faveur de la guérilla antigouvernementale en Syrie au bombardement aérien des groupes jihadistes en Irak : comment ces derniers n&r
squo;auraient-ils pas été furieux de ce revirement incompréhensible ?

Naviguant à vue, influencé par des conseillers à l’incompétence crasse et des experts ayant perdu toute objectivité, François Hollande a mené en Syrie, à la suite de Nicolas Sarkozy, une politique interventionniste dont nous payons aujourd’hui la stupidité criminelle. Contraire aux intérêts de la France, cette prise de parti dans une guerre civile étrangère nous est revenue à la figure comme un boomerang. L’obstination maladive à vouloir abattre le régime syrien, par tous les moyens, a accouché d’un monstre, le prétendu « Etat islamique », qui est le rejeton abâtardi des politiques française, américaine, saoudienne et qatarie.

 Parce qu’ils prétendent combattre aujourd’hui à Paris des terroristes qu’ils soutenaient hier à Damas, les dirigeants de la France ont cru se refaire une virginité en se mêlant à la foule immense de ceux qui ont clamé, sur le pavé de nos villes, leur refus de la haine. Rivalisant en proclamations grandiloquentes, ils ont étalé leur autosatisfaction devant les caméras, comme si cette victoire massive du bon sens était la leur, le tout, comble du grotesque, en compagnie des tortionnaires de la Palestine. Peine perdue : dans la chaîne des responsabilités qui ont conduit au crime terroriste du 7 janvier, c’est hélas l’incroyable cynisme des dirigeants français qui constitue le troisième chaînon.  

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