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Algérie : le Hirak fait siennes les Causes Justes

Morsi, la cause Palestinienne et le Hirak

Ce mardi 18 juin à Constantine, comme c’est désormais le cas tous les mardis et dans toutes les autres villes d’Algérie, les étudiants sont sortis en masse pour leur journée de protestation pacifique contre le régime.
Ce mardi-là revêtait une signification particulière, puisqu’il tombait le lendemain de l’annonce de la mort du Président égyptien, Mohamed Morsi, lequel, d’après la version des autorités Égyptiennes, décéda au tribunal durant un énième procès pour espionnage. Résonnant avec ce tragique événement, la procession estudiantine qui traversa le centre-ville voulut marquer les esprits en brandissant, tout au long de sa marche, les portraits du défunt Raïs, tout en faisant le signe de la main ouverte et du pouce replié en mémoire du massacre de la place Rabia al-Adawiyya, le 14 Août 2013, perpétré par le régime du Maréchal Sissi.
Ces mêmes scènes se renouvelèrent à Alger et dans les grandes villes d’Algérie lors du 18ème vendredi de mobilisation, au cours duquel des milliers de manifestants firent, à leur manière, le deuil du Président égyptien, qu’ils considèrent comme un martyr, scandant « Dieu est le plus Grand et Sissi est l’ennemi de Dieu ».
Le Hirak(1) avait déjà intégré la défense de la cause Palestinienne, comme étant un élément naturel dans ses marches. C’est en effet le seul drapeau « permis », en dehors du drapeau national algérien, qui est exhibé par les manifestants à chaque grande marche contestataire, aux quatre coins du pays. En effet, depuis la libération de l’Algérie du joug colonial français, la Palestine est dans les cœurs de tous les Algériens, dans une solidarité fusionnelle que feu le Président Boumédienne avait exprimé de manière si éloquente, en plaçant la barre bien haute : «Tous avec la Palestine, qu’elle soit oppresseur ou victime », paraphrasant en le détournant de manière géniale le célèbre hadith du Prophète, lequel conseillait à ses disciples: « Assiste ton frère qu’il soit oppresseur ou victime »(2), c’est-à-dire assiste tes frères Palestiniens, frères quand bien même ils se tromperaient, car dans ta position tu ne peux juger des options limitées de la Résistance.

En effet, les Palestiniens, ballottés entre les différents régimes Arabes dont beaucoup ont utilisé leur cause comme fonds de commerce, et condamnés à s’en sortir tous seuls, peuvent être amenés à commettre des erreurs de jugement que nous devons regarder avec magnanimité.
Cette symbolique du drapeau palestinien dans les marches du Hirak est, en fait, un référent de justice, emblématique du soutien inconditionnel de la rue algérienne envers une cause universelle. C’est le cri du cœur de tout un peuple spolié, humilié, brutalisé, abandonné et victime d’un formidable déni de justice, tout cela dans le silence, voire la complicité de l’Occident.
Israël, son bourreau surpuissant, hyper agressif, est traité de victime et de seule démocratie de la région, tandis que tout acte de résistance est assimilé à une action terroriste. La lutte contre l’apartheid, en son temps, n’était pas parasitée par ce « brouillage » aux effets pervers qu’un puissant lobby sioniste a mis en place. C’était pour ainsi dire noir sur blanc et on ne pouvait excuser le régime Sud-africain par aucun argument politique ou moral, si ce n’est d’invoquer de manière veule, comme le faisaient la Grande-Bretagne et les Etats-Unis à l’époque, les intérêts supérieurs… bassement mercantiles à préserver(1).
Les Algériens, par le passé, s’étaient déjà distingués par leur solidarité sans faille avec les peuples vietnamien et sud-africain en lutte pour leurs droits.
Cet acte hautement symbolique du peuple algérien, alors même qu’il est engagé dans un bras de fer avec un régime qui résiste au changement et ne lâche du lest qu’à petites doses, permet de positionner le Hirak comme une force morale alignée sur les causes justes, même si certains dans ses rangs voudraient en rester à un strict mouvement de protestation anti-régime, de peur d’être débordés, et au final de créer la division en son sein.

Le Hirak : un coup de génie et une posture civilisatrice unique

Qu’un peuple puisse se soulever pacifiquement et dans un même élan, descendre dans les rues des villes et des villages – un peuple dont on pensait que son horizon était à jamais cloisonné par la propagande officielle omniprésente – c’est ce qu’on pourrait appeler un vrai miracle politique !
Que ces millions de citoyens puissent, sans crier gare, se dresser comme un seul homme et ajuster leurs demandes et slogans à un minimum vital, qui sont les mêmes à travers tout le pays, laissant de côté leurs idéologies et autres facteurs de division pour se concentrer sur l’essentiel, représente un changement vers un ordre juste et démocratique, où chacun d’eux compte.
Que personne n’ait pu prévoir cette déferlante populaire pacifique, à la fois ubuesque, digne et respectueuse d’autrui, est là aussi un autre miracle. Le peuple, qui ne faisait plus de politique depuis longtemps et avait déserté la scène, laissant par dépit le terrain aux partis de « l’alliance présidentielle » au pouvoir[i], se voit positionné au centre de l’échiquier et a fini par s’imposer, après avoir brisé le mur de la peur, comme le meneur de jeu. Remarquables étaient aussi la qualité des revendications et leur radicalité, puisque ce qui était demandé, au-delà de l’annulation d’un cinquième mandat de la honte, était une rupture totale avec le régime actuel honni, optant pour un « dégagisme » de rupture.
En fait, le génie du Hirak est d’avoir manœuvré pour rendre impossible la répression qui s’abattait d’habitude sur cette sorte de protestation : une marée humaine, toutes tranches d’âge confondues, qui affronte les rangées des forces de l’ordre, leur lançant à la face leur mot d’ordre « Pacifique, pacifique ! », à moins pour ces dernières de réitérer dans chaque ville d’Algérie des Rabi’a al-Adawiyya, qui auraient eu pour conséquence une descente aux enfers du régime en place. C’est en cette fatidique journée du 22 février 2019 que furent brisées les barrières de la peur, et que le régime plia. Ces marches du vendredi constituent donc autant de référendums populaires, sans passer par les urnes… d’ailleurs menteuses car manipulées.
Kidnappé par l’Armée quelques jours avant le coup d’Etat militaire du 3 juillet 2013, le Président Morsi, déchu, fut retenu incommunicado jusqu’à ce jour. Il ne fut jamais revu en public durant ses six années d’emprisonnement, si ce n’est une vision furtive dans une cage du tribunal, derrière d‘imposants barreaux et d’épaisses vitres de verre, et ce, pour s’assurer que même sa voix ne puisse être entendue.
Le régime qui s’est mis en place voulait, à défaut de l’éliminer, en faire un mort vivant, tant sa présence lui rappelait constamment son illégitimité, malgré tous les habillages légaux(2). Lorsque tous les médias furent mis au pas et que l’Etat profond se redéploya, une élection fut organisée. C’est le général félon[ii] qui la remporta, avec le score historique de 97%, digne de certains pays du Tiers monde…

Le désir le plus cher du régime était bien que Morsi disparaisse à tout jamais de la scène publique, et c’est ce qu’ils se sont attelés à faire en l’incarcérant dans des conditions inhumaines et indignes, sans accès aux soins que sa situation médicale nécessitait, gardé en confinement 23h par jour, et le privant de ses droits de visite pendant ces longues années… Bref, seule une enquête indépendante demandée par des instances internationales permettra de faire toute la lumière sur les causes véritables de sa mort. Le régime s’empressa de l’enterrer dès le lendemain, à 5h du matin, en présence d’un nombre limité de membres de sa famille, la peur au ventre qu’un enterrement public ne révèle son degré de popularité, ce qui aurait été très embarrassant pour le despote al-Sissi…
Sa mort, selon les sources égyptiennes officielles, est survenue après qu’il se soit effondré en plein tribunal, où il devait répondre d’accusations aussi surréalistes que grotesques, telles que « intelligence avec l’ennemi » (Le mouvement Hamas de Gaza), alors qu’il était déjà sous le coup de condamnations, totalisant 45 ans de prison, pour des charges toutes aussi fantaisistes, telles que « intelligence avec le Qatar et l’Iran et fomentation d’actes de terrorisme ». Des charges proprement incroyables, quand l’on songe que le pouvoir égyptien actuel s’accoquine avec Israël à tous les niveaux, militaire, politique, renseignement, commercial… sur la base d’accords secrets qui impliquent une perte de souveraineté et un alignement sur les attentes géostratégiques d’Israël et, par ricochet, sur celles des Etats-Unis, et ce, sans aucun intérêt propre pour l’Égypte.

Flash-back sur la Contre-révolution égyptienne

Rappelons pour mémoire que le défunt Mohamed Morsi était le premier président démocratiquement élu de l’histoire de l’Egypte, après la chute de Hosni Moubarak. Un coup d’Etat militaire eut lieu une année après, exécuté contre son gouvernement dans la pure tradition tiers-mondiste, couvert par les « forces vives » de la nation que forment les partis libéraux, les socialo-nasséristes, El Azhar, l’Eglise Copte, une partie des Salafistes, sans oublier un cache- sexe du nom de Mohammed el-Baradei, prix Nobel de la Paix, dont le parti était crédité de seulement quelques intentions de vote dans les consultations populaires.
Bref, un aréopage de forces que rien n’unissait à priori, si ce n’est, pour des raisons assez évidentes, leur manque de courage à se présenter à toute consultation électorale pour changer démocratiquement les choses. Consultations que le parti de la Liberté et de la Justice, présidé par Morsi, remportait systématiquement et haut la main depuis le renversement du régime de Moubarak, en 2011.

Le coup d’Etat s’ensuivit d’une vague de répression et de bains de sang, avec musellement total de la liberté d’expression et interdiction de manifester. Puis, fut commis un terrible massacre sur la place de Rabi’a al-Adawiyya, un certain 14 août 2013,  juste après l’Aïd, en plein jour et sous les caméras du monde entier : celui d’un millier d’opposants au putsch,  hommes, femmes et enfants, tous mitraillés, brûlés, écrasés. Ce massacre à ciel ouvert fut qualifié par Human Rights Watch (HRW) de « l’un des plus grands massacres de manifestants en une seule journée au monde, dans l’histoire récente ».
Non content d’avoir commis le plus grand crime de civils de ce nouveau siècle – le précédent étant celui de la place Tian’anmen à Pékin en 1989 –  le pouvoir égyptien proclama « entité terroriste », via son armée, le parti vainqueur de toutes les consultations électorales depuis la chute de Moubarak.
Ainsi, le Hirak algérien a su non seulement créer une des plus belles innovations politiques de ce début du XXIème siècle, mais aussi faire siennes de grandes causes justes, malgré ses demandes minimalistes et locales de changement de régime. Ceci est tout à son honneur.
 
 
Notes
1 Hirak est un néologisme probablement intraduisible mais proposons la définition suivante: mouvement populaire de protestation massive et pacifique pour un changement radical de régime.
2 Lorsqu’un homme s’exclama « Je comprends qu’on puisse assister l’opprimé, mais comment s’y prendre avec l’oppresseur ? », le Prophète lui répondit : « Empêche lui d’opprimer autrui et de cette façon tu l’auras assisté. »
3 Comme Donald Trump le fait de manière obscène en se refusant d’ostraciser le prince Bin Salman accusé du meurtre de l’ opposant Jamal Khashoggi, vu les juteux «contrats d’armement» avec l’Arabie Saoudite.
4 Passer en mode mute devant les hôpitaux et cliniques, nettoyer derrière eux pour ne pas laisser un seul bout de déchet… bref, une révolution conviviale et généreuse.
5 En fait, un fatras de partis aux pratiques clientélistes voire mafieuses et aux orientations idéologiques disparates allant du laïcisme, à l’islamisme bon teint, à l’anti-islamisme et au nationalisme, mais unis par leur opportunisme.
6 Gel de la constitution Égyptienne puis son annulation, dissolution du parlement, mise en place de structures illégitimes de transition pour pallier à une situation de «vide» constitutionnel qu’ils avaient créé de toute pièce.
7 Morsi comme Chef des Armées était le supérieur hiérarchique de Sissi qui lui était Ministre de la Défense.
 
 

  1. En fait, un fatras de partis aux pratiques clientélistes voire mafieuses et aux orientations idéologiques disparates allant du laïcisme, à l’islamisme bon teint, à l’anti-islamisme et au nationalisme, mais unis par leur opportunisme.
  2. [ii]Morsi comme Chef des Armées était le supérieur hiérarchique de Sissi qui lui était Ministre de la Défense.
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5 commentaires

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  1. Des Morsi et des frérots,les algériens en ont bavé :250000 morts à cause de l’intégrisme et de son revers les militaires.Les algériens veulent une vraie démocratie qui n’exclut personne,ni à cause de sa religion,ni de son athéisme et ni de sa culture et encore moins de sa langue,de ses opinions, de son sexe,de son âge et de sa couleur..et à quand la DARIDJA langue nationale pour vivre dans le réel …et avancer enfin?

  2. Pour le commentaire de “Cémwé”
    Le Hirak Algerien n’a brûlé aucun drapeau et n’a insulté personne, sauf les voleurs et ceux qui truquent les elections. Vous êtes complètement à coté de la plaque.
    Pour “samsonbest”
    Le martyr du Dr. Morsi a réellement été vécu par la rue Algérienne comme une tragédie et une immense injustice pour un homme intègre gardé en prison pendant six longues années , injustement condamné par une justice de guignols pour des accusations fantaisistes, et ce quelque soit son bilan politique!
    Peu importe certaines analyses tendancieuses ou certains commentaires malicieux écrit de manière anonyme ici et là , nous savons qu’à l’ère d’Internet et ses mouches électroniques on peut tout trouver sur le Web. Le fait est là, de tous le spectre de collègues de l’Université à qui j’ai interagi et quelque soit leur orientation politique, chacun d’entre eux a eu une pincement de coeur à l’évocation de la mort très suspecte du défunt président, accompagné d’un “Allah Yarhmouh” (Que Dieu lui accorde Sa miséricorde).
    Je vous met au défi de trouver une personne honorable en Algérie qui n’a pas fait son deuil du Dr. Morsi. Oui, je doit quant meme mettre de coté les gens du MDS ou les ultras du MAK et meme certains du RCD (Et je dis bien certains), mais que représentent t-ils sur la scène Algérienne?
    Le peuple Algérien imbu des valeurs de l’Islam, adopte des attitudes de mansuétude et de respect envers les autres. Il abhorre profondément l’injustice et la Hogra. Le Hirak est d’ailleurs une expression de cette posture civilisationnelle et humaine oh combien digne, et je suis sur que les autres peuples Musulmans nourris à ce meme fond de valeurs se distinguent aussi par cette posture… si seulement il leur était donné de pouvoir s’exprimer librement.
    Meme si l’ancien président Bouteflika venait à décéder, il aura droit à un recueillement digne du peuple Algérien, malgré tous ses égarements.

    • “Pour le commentaire de “Cémwé”
      Le Hirak Algerien n’a brûlé aucun drapeau et n’a insulté personne, sauf les voleurs et ceux qui truquent les elections. Vous êtes complètement à coté de la plaque.”
      Vous n’avez rien compris à ce que j’ai écrit mais bon une baisse de forme ça peut arriver
      Bonne soirée

  3. Mon com déplaira mais tant pis rien de mieux que la vérité alors nuançons si vous le voulez bien.
    Autant les algériens sont unanimes et inconditionnels – et depuis toujours – sur la Palestine et sur les droits des palestiniens n’en déplaise à qui ça déplaira, autant la solidarité avec la cause des frères musulmans en Egypte ou ailleurs divise et divise profondément les algériens, votre billet fait complètement l’impasse sur ça laissant entendre qu’il y aurait quasi-consensus sur ce que vous appelez une cause juste, ce n’est pas vrai. Il suffit de consulter la presse en ligne pour en avoir la preuve.
    Alors ok pour les partisans de zaitout d’un côté et autres hafidh derradji, khadidja benguenna et plus généralement les « qataris algériens » ou des sympathisants des partis proches des FM façon HMS et nahda et qui soit-dit en passant se sont longtemps compromis avec le système prévaricateur qui a mis mon pays à genou, mais tout ce beau monde ne pèse pas lourd dans l’opinion.
    Et c’est aux égyptiens de régler leurs différends tout comme les turcs viennent de trancher librement dans les urnes à Istanbul, nous n’avons pas à prendre parti ni à jeter de l’huile sur le feu ni à nous ingérer dans ce qui ne nous regarde pas elli fina yakfina nos propres divisions nous suffisent plus que largement.

  4. Pour etre honnete pourquoi les arabes ou les musulmans soutiennent en general les causes perdues,ils defilent dans la rue soit en insultant soit en brulant des drapeaux ou effigies,les gens qui regardent vous prennent plutot comme des barbares ou des gens incultes et s’amusent de tout ca,vous n’impressionnez personne sinon vous meme.je ne connais pas de manifs arabo-musulmans qui soit digne, discipliner.Ne me parlez pas d’Algerie ou les gens manifestent avec la peur au ventre ou tout le monde attend la premiere balle.

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