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Gisèle Halimi : un sacerdoce de bonnes causes

« Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience.» 

René Char 

Gisèle Halimi est décédée le 28 juillet 2020, à Paris. Il est curieux de constater que, dans l’Hexagone, les médias et même l’Élysée n’ont zoomé que sur la partie défense du droit de la femme. On a même parlé de son combat comme d’un humanisme… Certes, le combat pour l’égale dignité des femmes et des hommes est éminemment important.

Le sacerdoce de Gisèle Halimi, ce n’est pourtant pas que cela. C’est aussi les multiples facettes de ses engagements qui ne furent pas de tout repos pour cette anticonformiste. Cette force sauvage qui l’habitait l’a mise au service des faibles, pour combattre l’injustice des puissants, comme ce fut le cas de sa guerre menée contre le colonialisme français. De quelque côté qu’on l’observe, elle ne laisse pas indifférent.

On peut la détester, l’envier, mais on ne peut pas ne pas lui reconnaître une certaine rectitude, une élégance et une résilience dans ses combats. Toute sa vie a été un challenge. Si on veut avoir son avis sur la dignité de la femme et l’aspiration légitime à l’égalité, nous la trouvons, et ce n’est pas une surprise que de la découvrir en train de guerroyer aux côtés de Simone de Beauvoir, déclamant sa fameuse tirade sans appel : « On ne naît pas femme, on le devient », montrant par là même que la domination de la femme est un construit social, où s’entremêlent les traditions culturelles et cultuelles. Son enfance dans une famille conservatrice a inspiré son combat féministe, dès son plus jeune âge.

À 13 ans, elle entame une grève de la faim afin de ne plus avoir à faire le lit de son frère. Au bout de trois jours, ses parents cèdent et elle écrit dans son journal intime de l’époque : « Aujourd’hui, j’ai gagné mon premier petit bout de liberté ». Cette première bataille marqua les prémices d’une lutte de tous les jours, qui devait durer soixante-dix ans. Des années plus tard, elle confiera qu’elle avait en elle « une rage, une force sauvage ».

La défense de la liberté 

Après la défense des indépendantismes tunisiens, la guerre d’Algérie va la révéler au grand jour. Ce sera une battante que rien n’arrête, tant il était vrai qu’elle était habitée par le souci de la justice et la quête de la vérité : « À partir de 1956, elle devient l’avocate des condamnés algériens dans l’affaire des condamnations sur aveux, extorqués à 44 personnes dont 17 femmes, puis dénonce les tortures pratiquées par l’armée française et défend les militants du Mouvement national algérien poursuivis par la justice française. En 1956 et 1957, avec l’avocat communiste Léo Matarasso, elle parvient à démasquer des autopsies truquées d’un médecin qui reconnaît ses déclarations erronées. Elle devient l’un des principaux avocats du Front de libération nationale (FLN) algérien, ce qui lui vaut d’être arrêtée et détenue.»(1)

À partir de 1960, elle prend la défense de Djamila Boupacha, militante du FLN algérien, torturée par des soldats français en détention, notamment dans les colonnes du journal Le Monde, avec l’écrivaine et philosophe Simone de Beauvoir.

Dans la foulée, de nouveau avec Simone de Beauvoir, elle coécrit Djamila Boupacha, livre qui obtient de nombreux soutiens et la participation de grands noms comme Pablo Picasso. Le portrait de Djamila Boupacha réalisé par le célèbre peintre, au crayon sur papier, et daté du 8 décembre 1961, est publié le 8 février 1962 à la Une des Lettres françaises et figure le même mois en couverture du livre. Le dessin, qui aurait contribué à sauver Djamila Boupacha de la guillotine, estimé à 400 millions de dollars, a été acquis par un collectionneur américain.

Condamnée à mort en France, le 28 juin 1961, Djamila Boupacha sera amnistiée et libérée le 21 avril 1962. Dans une interview testament donnée en septembre 2019, Gisèle Halimi a passé sa vie au scanner. Annick Cojean écrit : « Soixante-dix ans de combats. Soixante-dix ans d’énergie, de passion, d’engagement au service de la justice et de la cause des femmes. La silhouette est frêle désormais, et le beau visage émacié. Mais le regard garde sa flamboyance et la voix conserve la force soyeuse qui a frappé tant de prétoires. Gisèle Halimi, l’avocate la plus célèbre de France, se souvient. Tunis où elle est née, en 1927, dans une famille juive de condition modeste, son refus d’un destin assigné par son genre et son rêve ardent de devenir avocate. Avocate pour se défendre et pour défendre. Avocate parce que l’injustice lui est physiquement intolérable.» Avocate parce que, femme, elle est depuis le début dans le camp des faibles et des opprimés. Avocate “irrespectueuse”, comme elle aime à se définir, parce que “l’ordre établi est à bousculer et que la loi doit parfois être changée”.(1)

« J’ai toujours rectifié quand les bâtonniers me présentaient comme avocat. C’est le même métier, le même diplôme, mais je prétends qu’une femme ne plaide pas de la même façon qu’un homme quand elle défend la vie d’un client. Je ne dis pas qu’elle plaide mieux ou moins bien. Je dis qu’il y a des étincelles provoquées par une sensibilité mêlée à une intelligence différente. Nos parcours et notre expérience de la discrimination nourrissent cette différence. Quand j’entre dans le prétoire, j’emporte ma vie avec moi ». J’aime cette phrase de l’abbé Lacordaire (dominicain, journaliste et homme politique, 1802-1861) : “Entre le faible et le fort, c’est la liberté qui opprime et le droit qui affranchit.” “Je prête serment sous les yeux éblouis de mon père, qui se pavane comme un paon dans les couloirs du palais de justice”(1)

À la question de la journaliste Annick Kojean : « La guerre d’Algérie vous a vite happée dans un tourbillon de procès politiques explosifs ? ». Elle répond : « Je ne pensais pas que ces guerres feraient irruption dans ma vie avec une telle violence. J’ai foncé à la fois comme avocat et témoin engagé. Je ne pouvais pas refuser. Et de 1956 aux accords d’Évian en 1962, je n’ai cessé de faire des allers-retours entre Alger et Paris, où j’étais désormais installée pour assurer la défense des Algériens arrêtés, insurgés, indépendantistes ». « Les pouvoirs spéciaux votés en 1956 (qui permettaient au gouvernement du socialiste Guy Mollet de poursuivre la guerre en Algérie) avaient pris le droit en otage. La justice n’était souvent qu’un simulacre. J’ai découvert, horrifiée, l’étendue des exactions commises par l’Armée française, la torture érigéeen système, les viols systématiques des militantes arrêtées, les condamnations sur aveux extorqués, sans compter les disparitions et exécutions sommaires. J’étais abasourdie.»(2)

À la question : «Vous étiez l’une des rares femmes avocates à défendre les fellagas ?». « Oui, et j’étais assurément considérée comme une ‘traîtresse à la France’ par les militaires et tenants de l’Algérie française. Il y avait des crachats, des huées, des insultes et des coups à l’arrivée au tribunal. Des coups de fil nocturnes – ‘Tu ferais mieux de t’occuper de tes gosses, salope !’ –, des menaces de plastiquage de mon appartement et des petits cercueils envoyés par la poste.” “Je n’y ai longtemps vu que gesticulations et tentatives d’intimidation, jusqu’à l’assassinat à Alger de deux confrères très proches, puis la réception, en 1961, d’un papier à en-tête de l’OAS (Organisation de l’armée secrète, pour le maintien de la France en Algérie) qui annonçait ma condamnation à mort, en donnant ordre à chaque militant de m’abattre ‘immédiatement’ et ‘en tous lieux’.”(2) “De retour à Paris, vous faisiez tout pour alerter la presse et chercher des soutiens parmi les intellectuels français… Vous avez appelé Hubert Beuve-Mery (1902-1989), le patron du Monde, qui a été formidable.» ‘Venez me voir’, m’a-t-il dit. » (2)

« Et quand je suis arrivée dans son bureau de la rue des Italiens, il a levé les bras : ‘Maître Halimi ! Vous avez l’air d’une étudiante !’ Il a voulu que je lui raconte en détail tout ce que je savais, promettant de m’envoyer le lendemain un journaliste qui écrirait un article. C’est d’ailleurs Le Monde qui a accueilli, le 2 juin 1960, la tribune de Simone de Beauvoir ‘Pour Djamila Boupacha’, cette jeune militante du FLN (le Front de Libération nationale) que je défendais de toutes mes forces et qui avait été violée et torturée par les militaires français. “Le texte de Simone de Beauvoir était parfait, décrivant avec précisions les tortures atroces endurées par la jeune fille.”(2)

Le témoignage poignant de Djamila Boupacha

Djamila Boupacha s’est engagée en politique très jeune, à 15 ans, en optant pour l’UDMA de Ferhat Abbas, puis pour le FLN, en 1955. Militante, elle est active dans le Sahel algérois, mais elle se fera connaître par son coup d’éclat à Alger, en 1959, en déposant une bombe à la brasserie des Facultés. Son procès a été retentissant, parce qu’il a mis au jour les tortures atroces qu’elle avait subies et par la qualité de ses défenseurs, avec à leur tête l’avocate Gisèle Halimi.

Son  témoignage est d’autant plus important qu’il émane d’une personne dont l’image, devenue iconique au fil du temps, a bouleversé le monde. Tous les grands noms de l’époque ont témoigné et compati à sa douleur et à son calvaire. Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Picasso, dont le tableau a fait le tour du monde, sont intervenus pour la sauver. Cette dame, qui s’est éloignée des feux de la rampe après avoir accompli son devoir d’une manière exemplaire, sans en tirer vanité, ni exiger la moindre contrepartie, témoigne pour la première fois pour sa sœur, Gisèle Halimi.

Elle déclare, très touchée par la nouvelle de son décès : « C’est un grand pan de ma vie qui s’en est allé. Gisèle a été non seulement mon avocate, mais une grande sœur sur qui je pouvais compter. Elle m’a assistée dans les moments les plus difficiles, surtout dans les prisons de France où je n’avais personne sur qui compter. Gisèle a risqué sa vie pour me défendre et défendre l’Algérie. Aujourd’hui, je perds cette grande sœur, qui restera à jamais dans mon cœur. Je présente à ses enfants, Jean-Yves et Serge Halimi, ainsi qu’à leur frère Emmanuel Faux, que j’ai connus bébés, ainsi qu’à toute la famille de Gisèle, mes condoléances les plus attristées.À Dieu nous appartenons et à Lui nous retournons».

« Ce sont des séquences affreuses que j’ai gardées dans ma mémoire pour l’éternité », répétait-elle souvent. De ces blessures et des vicissitudes de la vie, elle ne perdra ni ses convictions tranchées de justice et d’égalité, enracinées dans le terreau familial, ni cette forme de candeur, dont elle ne se départira jamais, entretenue dans son exercice ardu d’avocate et surtout de militante politique. C’est pourquoi, on ne saurait mettre en cause ni sa sincérité, ni son indignation, et encore moins son courage, qui sont « tout autant loués qu’enviés, par les hommes, parmi ses confrères des barreaux », confessait son ami le grand poète Aragon.(3)

« Je l’ai connue lorsqu’elle a pris en charge mes dossiers », s’est remémoré Djamila Boupacha. Et de poursuivre : « Mais elle ne pouvait pas assister à mes procès, car on m’isolait toujours la veille de ma comparution. Elle déléguait ses adjoints. Ainsi en était-il de Me Pierre Guarrigues. Lorsque les ultras ont su que c’était lui mon défenseur, ils l’ont assassiné à Alger. Alors que j’étais détenue à la prison Barberousse, il y avait un autre avocat, Me Matarac, qui devait plaider ma cause. Les irréductibles de l’OAS l’ont cueilli à l’hôtel Aletti, l’ont mis dans un petit avion pour la France. C’est ainsi que je me suis retrouvée seule au tribunal militaire de Cavaignac. Après cela, Gisèle, hors d’elle, a fait tout un boucan en France, avec Jean-Paul Sartre et Simone Veil, notamment. Ils sont allés voir le président de la Commission de sauvegarde pour lui parler de la torture et des multiples exactions commises.”(3) “Normalement, il n’y avait que le juge d’instruction habilité à nous interroger.

Or, il y avait des gardes mobiles à l’intérieur de la prison, dans le bureau du directeur, qui se permettaient d’interroger les incarcérés. Gisèle m’avait dit : ‘De la sorte, ils veulent te faire sortir hors de prison pour t’exécuter selon le procédé corvée de bois.’ À Paris, Gisèle s’est attelée à constituer un comité pour ma défense et a demandé à ce que je sois transférée en France. Ici, le garde des Sceaux a dit : ‘Si vous le voulez, vous devez payer les frais du voyage.’ Le comité s’est mobilisé avec beaucoup de personnes pour collecter l’argent. Au bout de quelques jours, il manquait une certaine somme. C’est le maire de Fort-de-France, le célèbre poète martiniquais Aimé Césaire, qui a complété la somme restante pour que je puisse voyager en France. C’est comme cela que j’ai été transférée, dans un petit avion militaire, jusqu’au Bourget, et de là on m’a mise à la prison de Fresnes pendant quelque temps.”(3) “À mon égard, Gisèle était très attentionnée.

Elle venait souvent me voir. Même avec le directeur de la prison de Fresnes, elle s’est débrouillée pour que ma famille et mes proches puissent venir me voir. Sans compter les facilitations pour les colis. Ainsi, Mouloud Feraoun m’avait envoyé des cadeaux. J’ai reçu les visites de Germaine Tillion, la célèbre anthropologue des Aurès, Amar Ouzeggane, dirigeant communiste. Pour revenir à Gisèle, tout le monde sait qu’elle était une défenseuse acharnée, qui a défendu la cause jusqu’au bout. D’ailleurs, j’ai assisté personnellement, lorsque Gisèle a réuni des militantes pour débattre du cas de la fille violée, qui fut l’étincelle qui allait susciter un brasier. Et la criminalisation de cet acte abject, c’était la première victoire de notre téméraire avocate. Et il y a eu le droit à l’avortement qu’elle a arraché après des batailles épiques.»(3)

Le procès de la colonisation et des généraux tortionnaires

Dans une interview parue en 2004, dans le journal El Watan, Gisèle Halimi revient sur l’atmosphère de guerre sans pitié qui prévalait à partir de 1956, affirmant haut et fort qu’il n’y avait pas de justice, mais une parodie de justice. Nous l’écoutons : « D’après les généraux tortionnaires, l’armée a reçu comme instruction de rétablir l’ordre ‘par tous les moyens’. Les militaires en ont déduit que, par tous les moyens, cela voulait dire utiliser la torture, déshumaniser les hommes, condamner à mort des innocents, les guillotiner. La justice était devenue un instrument de la domination coloniale et, selon moi, c’était le moyen paroxystique de la répression coloniale. (…) On ne peut pas simplement dénoncer les tortures et imputer cela aux militaires ; les militaires ont été les exécutants d’une politique, celle des pouvoirs spéciaux votés en 1956 par la droite et la gauche confondues. La justice française pouvait-elle être valablement rendue, au nom du peuple français, par des militaires qui, la veille, avaient ‘pacifié’, comme ils disaient, le djebel, qui, le matin, prêtaient serment de juges et dans l’après-midi recommençaient à ‘pacifier’ ? »(4)

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« La justice a été utilisée sciemment par le pouvoir politique comme une pacification bis avec les mêmes moyens et l’absence totale de garanties que notre droit, notre civilisation, notre histoire, notre passé attribuent aux accusés dans un procès. L’histoire de la guerre d’Algérie, toujours du côté français, ne peut pas être écrite complètement si les dossiers (de justice, ndlr) ne sont pas rouverts. Il faut savoir que cette justice militaire était publique ; le tribunal se déplaçait dans son entier dans les zones rurales – c’était pour terroriser les populations – tandis que nous, avocats, n’avions aucune pièce des dossiers. Des peines de mort étaient prononcées, mais nous n’avions pas les jugements. (…)”(4)

Elle en appelle à une anamnèse pour savoir ce qui s’est passé : « Il faut que la justice ouvre ces dossiers, car ils font partie de l’histoire de la guerre d’Algérie. Ce n’est pas seulement un épisode judiciaire. Cette révision doit permettre de sortir de ce refoulement qui a fait le comportement de la France, refusant même d’appeler la guerre la guerre. Je me souviens que lorsque je disais la guerre d’Algérie dans un procès, le président m’arrêtait : ‘Il n’y a pas de guerre ici, il y a des événements !’ Nous, avocats, avons été au feu. Nous avons vécu cela. J’ai été moi-même condamnée à mort par l’OAS. Aussaresses raconte dans son livre qu’il voulait m’abattre, mais qu’il n’avait pas réussi. Notre devoir de citoyens à l’égard des générations actuelles et futures est d’expliquer, en son entier, ce qu’a été la colonisation de l’Algérie, depuis 1830, y compris dans les moyens qui ont été utilisés pour réprimer une guerre d’indépendance, une guerre révolutionnaire. Notre devoir est un devoir de pédagogie citoyenne. Si leon veut compléter l’écriture à la fois historique et politique de la guerre d’Algérie, il faut que les archives algériennes soient également ouvertes.»(4)

La Palestine 

Gisèle Halimi ne cessa de s’indigner devant l’inhumanité et l’impunité des puissants, qu’ils soient des États ou les oligarques du néolibéralisme qui s’apparente à un darwinisme social, et le sacrifice des plus faibles. Dans le même esprit, elle présida une commission d’enquête sur les crimes de guerre américains au Vietnam. Gisèle Halimi fut également l’une des fondatrices de l’association altermondialiste Attac, en 1998.

Son combat pour la cause palestinienne mérite d’être rapporté, car elle était convaincue de sa justesse. Voilà un peuple à qui on a volé sa terre sous l’œil complice d’un Occident qui paye une dette ad vitam aeternam pour une faute commise par l’un des leurs ! L’activiste palestinien, Marouane Barghouti, lui avait par ailleurs demandé d’être l’un de ses avocats. Quand elle allait lui rendre visite en Palestine, elle était conspuée et insultée, et parfois prise à partie par des hordes hystériques, parce qu’être juif cela ne suffit pas pour Israël, il faut en plus être sioniste… En 1999, opposée à la guerre en Serbie, elle signa la pétition “Les Européens veulent la paix”, initiée par le collectif Non à la guerre, se situant dans la mouvance de la Nouvelle Droite.  Elle était, en outre,  membre du comité de parrainage du Tribunal Russell sur la Palestine, dont les travaux commencèrent le 4 mars 2009.(1)

Gisèle Halimi et l’Algérie

Au-delà de l’immense service qu’elle a rendu à la Révolution algérienne en acceptant, au péril de sa vie, de défendre une des icônes – discrète – de la Révolution, en l’occurrence la moudhjahida Djamila Boupacha, Gisèle Halimi venait souvent en Algérie. Elle y était reçue avec tous les honneurs.

Dans l’émission “Ripostes”, alors qu’elle était opposée à Enrico Macias, celui qui assume ses convictions sionistes, elle a tenu à mettre les points sur les i concernant l’interdiction faite aux juifs de retourner sur la terre qui les a vus naître. Elle lança alors à son interlocuteur : « Je ne connais pas un juif qui a émis le souhait d’aller en Algérie et à qui on a refusé l’entrée. Monsieur Macias, je rentre d’Algérie, je suis rentrée il y a quinze jours, vous dites que vous avez été rejeté parce que vous êtes juif, ce n’est pas ça. En même temps, regardez la contradiction de votre attitude ; en même temps, vous dites, moi je suis pour Israël. Or, vous savez très bien qu’Israël est considéré par l’Algérie comme un pays ennemi. Vous savez très bien, pour en revenir à la colonisation, que le Mossad a apporté son aide pour la répression dans le Constantinois.’”(5)

Le site Ripostes commenta la scène en ces termes : « Voyez l’attitude de Macias qui fait honte aux juifs justes. Voyez Gisèle Halimi, juive aussi, mais voyez la différence. Voyez comment il lui parle, lorsqu’elle dit qu’elle va dans tous les pays. Il lui rétorque : ‘Sauf en Israël.’ Ce à quoi elle répond : ‘J’en arrive’ et il poursuit  : ‘C’est qu’ils ne connaissent pas votre passé.’»(5) (6)

Gisèle Halimi écrit une romance quasi historique sur la Kahina 

Une autre facette de l’immense talent de Gisèle Halimi fut son imagination féconde. Elle a écrit plusieurs ouvrages, notamment Frtina, et aussi un livre qui fit couler beaucoup d’encre : La Kahina. Tout a démarré avec les contes de son grand-père, qui lui racontait les hauts faits d’armes de cette ancêtre mythique, à la chevelure rousse, qui chevauchait à la tête d’une tribu, celle des Djeroaoua, afin de combattre les conquérants arabes, à la fin du VIIe siècle. La confection du roman a dû lui demander beaucoup d’efforts (8 pages de bibliographie), et cela inspire le respect.

Pourquoi l’a-t-elle écrit ? L’a-t-elle fait pour défendre la cause des juifs ? Pour semer la zizanie en Algérie ? Je pense que ce fut surtout, pour elle, un ancrage dans un personnage mythique auquel elle s’identifiait. Elle se voulait être une Kahina du XXe siècle, défendant les faibles, la liberté et démontrant, ce faisant, qu’il n’y avait pas de différence dans la défense d’une cause à laquelle on croit, selon que l’on soit homme ou femme. Mieux encore, elle revendiquait « un plus féminin ».

Les Justes qui ont aidé l’Algérie 

S’agissant de l’aide reçue par  l’Algérie dans son combat contre le pouvoir colonial, la liste des Justes est longue, à l’instar de Gisèle Halimi et de tant d’autres Algériens juifs qui ont bravé les interdits, traversé les barrières invisibles des communautés. Il n’est pas possible de témoigner et de rendre hommage dans le détail à ces milliers de personnes françaises de souche ou Algériens- Européens. Qu’il nous soit permis de citer, sans être exhaustifs, les avocats Jacques Vergès, Gisèle Halimi, l’humanisme sans complaisance de Francis Jeanson, André Mandouze, Mgr Duval, Germaine Tillion, Henri Alleg, et de tant d’autres qui resteront pour nous tous une leçon de vie.

L’exemple le plus frappant est celui du docteur Daniel Timsit, qui participa activement à la guerre d’indépendance de l’Algérie du “mauvais côté”. Daniel Timsit est né à Alger, en 1928, dans une famille modeste de commerçants juifs. Descendant d’une longue lignée judéo-berbère, il a grandi dans ce pays où cohabitaient juifs, Arabes et pieds-noirs, que le système colonial s’efforça de dresser les uns contre les autres. Il s’occupera du laboratoire de fabrication d’explosifs, puis entrera dans la clandestinité en mai 1956. Arrêté, il sera détenu jusqu’à sa libération en 1962. Il s’est toujours considéré comme Algérien, lui dont la langue maternelle est l’arabe “derdja”.  « L’algérianité, disait-il, ne se définit pas en fonction d’une appartenance ethnique ou religieuse, mais parce qu’il appelle “une communauté d’aspirations et de destin» (7).

Ces modèles d’humanité méritent notre profond respect et notre recueillement à leur mémoire. Ces Justes se sont acquittés, en leur âme et conscience, de leur devoir.  Nous ne sommes pas ingrats, nous sommes reconnaissants à ces femmes et à ces hommes pour leur empathie, leur perception du juste combat. À titre individuel, ils ont transcendé les interdits pour venir prêcher inlassablement la paix, la tolérance, le respect de la dignité humaine.

Assurément, ces hommes et ces femmes qui ont risqué leur vie, tournant le dos à une existence confortable et faite de compromissions, ont largement leur place parmi les “Justes”.(7)

Conclusion

Aux yeux des Algériennes et Algériens qui, comme chacun sait, sont généreux et reconnaissants, mais aussi « chatouilleux » sur le sujet de la dignité, Gisèle Halimi fait indéniablement figure d’humaniste.

Son combat pour la dignité de la femme est admirable : « Je suis encore surprise, confiait Gisèle Halimi dans l’interview citée précédemment, que les injustices faites aux femmes ne suscitent pas une révolte générale. Cela fait soixante-dix ans que j’ai prêté serment et si c’était à refaire, croyez-moi, je prendrais les mêmes engagements, je ferais exactement le même choix. Je prône La sororité ! Depuis toujours ! La solidarité ! Quand les femmes comprendront-elles que leur union leur donnerait une force fabuleuse ? Désunies, elles sont vulnérables. Mais, ensemble, elles représentent une force de création extraordinaire. Une force capable de chambouler le monde, sa culture, son organisation, en le rendant plus harmonieux. Les femmes sont folles de ne pas se faire confiance, et les hommes sont fous de se priver de leur apport. J’attends toujours la grande révolution des mentalités. Et je dis aux femmes trois choses : votre indépendance économique est la clé de votre libération. Ne laissez rien passer dans les gestes, le langage, les situations, qui attentent à votre dignité. Ne vous résignez jamais ! » (1)

Avec ce condensé de sentences, nous avons à coup sûr une vue d’ensemble du long et âpre combat qu’elle a livré toute sa vie durant. Un combat pas comme les autres, pas monolithique, jalonné d’épreuves, et surtout qui se termine toujours par la justice. Ce que les hommes n’ont pas voulu faire, Gisèle Halimi l’a fait. Elle leur a montré ce qu’était une justice juste.

Qu’elle repose en paix.

2.Annick Cojean https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/09/22/gisele-halimi-j-avais-en-moi-une-rage-une-force-sauvage-je-voulais-me-sauver_6012578_3224.html
3. https://www.elwatan.com/edition/actualite/lhommage-de-djamila-boupacha-a-gisele-halimi-ce-netait-pas-seulement-mon-avocate-cetait-ma-soeur-30-07-2020
4.https://www.elwatan.com/archives/histoire-archives/gisele-halimi-avocate-du-fln-01-11-2004
5.Adrian Evangelizt  Commentaire de la vidéo Gisèle Halimi Enrico Macias  site Ripostes
7. http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article4023
8.https://www.palestine-solidarite.org/analyses.Chems-Eddine_Chitour.210612.htm

 

 

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