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La solidarité avec le peuple palestinien serait-elle une marque d’anti-sémitisme ?

Dans un texte publié à l’occasion de son premier anniversaire, la « Fraternité musulmane contre l’antisémitisme  » affirme que les résistances à la lutte contre l’anti-sémitisme « restent très vivaces » au sein des communautés musulmanes. Evidement, cette affirmation péremptoire ne s’appuie sur aucune étude quantitative ou qualitative pour étayer ces propos. Il semble que la résistance « très vivace » des musulmans à lutter contre l’anti-sémitisme soit un fait qu’il faut impérativement admettre.

Mais pour quelles raisons les musulmans marqueraient-ils de « très vives résistances » à la lutte contre l’anti-sémitisme ? Et donc qu’est-ce qui ferait que nous serions, pour une part importante d’entre nous, sinon complice de l’anti-sémitisme répandu dans notre communauté, sinon anti-sémites nous même ? 

Pour les membres de la « Fraternité musulmane contre l’antisémitisme » la réponse est claire : « Elles se confondent bien sûr avec l’identification de nombreux musulmans et musulmanes au peuple palestinien. Mais elles cachent souvent mal un profond ancrage de l’antisémitisme en milieu musulman ».

Donc les résistances qui « restent très vivaces », au sein des communautés musulmanes, à la lutte contre l’anti-sémitisme, auraient deux fondements :

  • Notre « identification » au peuple palestinien. De fait, notre « identification », en réalité notre soutien, au peuple palestinien serait à la base de notre complaisance vis-à-vis de l’anti-sémitisme ou de notre anti-sémitisme car il est bien connu que les palestiniens qui luttent contre l’occupation de leur pays, sont avant tout mus par la haine des juifs. On comprend rapidement les sous-entendus politiques de soutien aveugle à l’Etat d’Israël que ce type d’affirmation aussi péremptoire que stupide engendre.
  • L’ « ancrage de l’antisémitisme en milieu musulman ». Car comme tout le monde sait l’anti-sémitisme s’est développé en terre d’Islam durant la seconde moitié du XIXème siècle. Toutes les personnes férues de philologie peuvent constater les consonances arabes ou musulmanes des noms des sinistres Edouard Drumont, Louis-Ferdinand Céline ou Xavier Vallat.

Alors pourquoi l’anti-sémitisme serait-il ancré en « milieu musulman » ? Parce que notre religion serait ontologiquement porteuse de valeurs anti-sémites ? Parce que notre patrimoine culturel se caractériserait par son anti-sémitisme ? Ou plus simplement parce que toute affirmation de solidarité avec le peuple palestinien serait une marque d’anti-sémitisme ?

L’anti-sémitisme, comme toute forme de racisme, est foncièrement opposé aux valeurs islamiques. Affirmant la fraternité de tous les êtres humains, Allah nous dit dans le Coran : « O hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle et Nous vous avons désignés en nations et tribus, pour que vous vous entreconnaissiez. Oui, plus noble des vôtres, auprès d’Allah, c’est le plus pieux des vôtres. Allah est savant, connaisseur, vraiment »[1].

De même, répudiant toute forme de racisme, le Prophète Mohammed expliquait : « O les hommes ! Celui que vous adorez est un, et votre père est un. Pas de supériorité à un Arabe sur un non Arabe, ni à un non Arabe sur un Arabe, ni à un blanc sur un noir, ni à un noir sur un blanc. La seule supériorité qui compte [auprès d’Allah] est celle de la piété. Ai-je transmis le message ? »[2].

C’est cette opposition foncière de l’islam à toute forme de racisme, et donc à l’anti-sémitisme, qui est à l’origine de notre refus de toute idéologie raciste, xénophobe, suprématiste, impérialiste et colonialiste. En conséquence, nous ne pouvons que nous affirmer résolument anti-sionistes étant entendu que le sionisme est une idéologie raciste et colonialiste.

Cette idéologie raciste et colonialiste était revendiquée par Théodore Herzl dans son livre sur l’Etat juif lorsqu’il expliquait : « Pour l’Europe nous constituerons là-bas un morceau du rempart contre l’Asie, nous serions la sentinelle avancée de la civilisation contre la barbarie ».

A propos de la population palestinienne, dès 1937, David Ben Gourion affirmait : « Nous devons chasser les Arabes et prendre leur place ». Le fondateur de l’Etat sioniste ne montrait guère plus de compassion envers les Juifs d’ Europe de l’Est victimes du nazisme. Le 8 décembre 1942, Ben Gourion déclara lors d’une réunion de responsables du Mapaï [le Parti ouvrier d’Israël, ancêtre du Parti travailliste] : « Le désastre qu’affronte le judaïsme européen n’est pas mon affaire »[3].

Expliquant le caractère colonial de l’Etat sioniste, Moshé Dayan déclarait dans le journal Haaretz du 4 avril 1969 : « Des villages juifs ont été construits à la place de villages arabes. Vous ne connaissez même pas le nom de ces villages arabes, et vous n’êtes pas à blâmer parce que les livres de géographie n’existent plus. Non seulement ils n’existent plus, mais les villages arabes non plus […]. Il n’y a pas un seul endroit dans ce pays qui n’ait pas eu auparavant une population arabe ».

Le caractère colonialiste du sionisme était clairement revendiqué par l’idéologue de la droite sioniste Zeev Jabotinsky dans son ouvrage intitulé The Iron Wall : « La colonisation sioniste doit être exécutée contre la volonté de la population autochtone. C’est pourquoi cette colonisation doit continuer seulement sous la protection d’une puissance indépendante de la population locale, tel un mur d’acier capable de résister à la pression de la population locale. Ceci est notre politique à l’égard des Arabes […]. Si vous souhaitez coloniser un pays dans lequel une population vit déjà, vous devez fournir une armée pour le pays ou trouver quelque riche personne ou bienfaiteur qui vous en fournirait ». Jabotinsky concluait son propos en affirmant «  Le sionisme est une aventure de colonisation et c’est pour cela qu’elle est dépendante d’une force armée ».

Contre toute idéologie colonialiste nous jugeons complètement inacceptable le fait de mettre sur le même plan l’oppresseur et l’opprimé, le colonisateur et le colonisé et donc l’armée israélienne et la résistance du peuple palestinien.

Anti-colonialiste contre vents et marrés

Là est sûrement le point de désaccord fondamental que nous avons avec la « Fraternité musulmane contre l’antisémitisme » puisque cette mise sur le même plan de l’oppresseur et de l’opprimé est explicitement revendiquée par l’association :

« Notre position humaniste, que l’on pourrait qualifier conjointement de pro-israélienne et propalestinienne, est généralement mal perçue dans un contexte submergé par la violence et par les affects. Nous ressentons et manifestons la même sympathie pour les Israéliens et pour les Palestiniens. Nous sommes attachés prioritairement à faire accéder le public musulman à une vision juste de la situation, à une connaissance positive de l’Etat d’Israël, des Israéliens comme des Palestiniens ».

Après une telle affirmation, on peut se poser la question de savoir si le but réel de la « Fraternité musulmane contre l’antisémitisme » est de lutter contre l’anti-sémitisme ou de lutter contre l’anti-sionisme et au-delà contre toute forme de soutien à la lutte du peuple palestinien ?

Car quel but sert cette confusion savamment organisée entre anti-sionisme et anti-sémitisme sinon à disqualifier les mouvements et les individus qui soutiennent la lutte du peuple palestinien ? Cette confusion n’est-elle pas l’une des armes les plus redoutables des sectateurs de l’idéologie colonialiste sioniste qui cherche à affubler du qualificatif nauséabond d’anti-sémite toute personne ou toute organisation qui soutient la cause du peuple palestinien ?

Cette confusion volontairement entretenue par les sionistes, juifs et non-juifs, entre anti-sionisme et anti-sémitisme est d’autant plus dangereuse qu’elle risque de finir par délégitimer la nécessaire lutte contre l’anti-sémitisme.

Notre lutte contre l’idéologie colonialiste sioniste ne repose en rien sur une quelconque forme d’anti-sémitisme que nous condamnons sans ambiguïté, mais sur un anti-racisme, un anti-colonialisme et un anti-impérialisme conséquents. En tant qu’anti-colonialistes nous prenons clairement parti pour les peuples en lutte pour leur émancipation c’est-à-dire pour l’opprimé contre l’oppresseur, pour le colonisé contre le colonisateur, pour le peuple palestinien contre l’Etat colonialiste d’Israël.

En tant que musulmans, notre soutien à la lutte des opprimés contre les oppresseurs a des racines profondément ancrées dans la tradition islamique. Nous incitant à prendre le parti des opprimés, des mostadh’fin, Allah nous dit dans le Coran : « Et qu’avez-vous à ne pas combattre dans le sentier d’Allah, et pour la cause des faible : hommes, femmes et enfants qui disent : « Seigneur ! Fais-nous sortir de cette cité dont les gens sont injustes, et assigne-nous de Ta part un allié, et assigne-nous de Ta part un secoureur » »[4].

Suivant cet appel en faveur des opprimés, nous prenons parti :

  pour les 900 000 palestiniens expulsés de leurs terres et de leurs demeures en 1948 ;

  contre les colonialistes qui ont détruit 531 villages et 300 hameaux pour empêcher le retour des palestiniens et ainsi entériner leur politique de purification ethnique ;

  contre l’Etat qui a poursuivi son projet colonial en occupant les autres parties de la Palestine [Cisjordanie, Gaza] ainsi que le Golan syrien en juin 1967 ;

  et qui depuis continue son plan de colonisation de la Palestine historique par l’expulsion des Palestiniens, à travers la construction du mur et de nouvelles colonies sur les terres occupées en 1948 et en 1967.

Face à cette oppression nous soutenons la lutte du peuple palestinien opprimé qui résiste depuis des années pour sa survie et contre une puissance coloniale usurpatrice.

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Sur le plan religieux nous désirons que les croyants de toutes les religions puissent pratiquer librement leur culte en Palestine. Ainsi, en tant que croyants respectueux du pluralisme religieux, et en tant qu’anti-colonialistes nous restons attachés à l’article 16 de la charte nationale palestinienne de 1968 qui stipulait : « La libération de la Palestine, d’un point de vue spirituel, fera bénéficier la Terre Sainte d’une atmosphère de sécurité et de quiétude, ce qui assurera la sauvegarde des lieux saints et garantira la liberté du culte en permettant à chacun de s’y rendre, sans distinction de race, de couleur, de langue ou de religion. C’est pourquoi les Palestiniens souhaitent l’aide de toutes les forces spirituelles du monde ».

Cette position mue par un désir de justice enraciné dans notre spiritualité islamique, ne peut que nous amener à nous désolidariser de tous les musulmans qui ne soutiendraient pas les peuples opprimés dans leur lutte pour leur émancipation et leur survie.

Avec les juifs anti-sionistes contre nos coreligionnaires philo-sionistes

L’exigence d’une éthique de justice ne peut que nous obliger à repenser les catégories que certains musulmans conservateurs voudraient nous imposer en opposant les musulmans aux non-musulmans ou le territoire de l’Islam au territoire non-islamique. A l’heure ou certains musulmans affichent leur philo-sionisme, à l’heure ou d’autres, par peur d’être stigmatisés ou pour obtenir une reconnaissance institutionnelle, préfèrent ne pas afficher leur soutien à la résistance du peuple palestinien, nous affirmons être les frères de lutte des juifs anti-sionistes qui luttent contre une idéologie colonialiste, contre tous musulmans complices des crimes de l’Etat sioniste.

De même au nom de notre exigence de justice enracinée dans notre spiritualité islamique, nous ne pouvons que condamner les régimes des pays musulmans réactionnaires, asservis au régime sioniste et à l’impérialisme qui s’emploient à la destruction ou l’instrumentalisation de la cause palestinienne et à soutenir l’entité usurpatrice.

Contre ces musulmans complices d’une idéologie et d’un Etat colonial, il nous faut rappeler la mémoire, trop souvent, occultée des juifs qui ont combattu l’anti-sémitisme et le sionisme. Ainsi, le Bund, l’un des plus grands mouvements politiques juifs d’Europe de l’Est – il regroupait 30 000 personnes en 1910 -, était résolument anti-sioniste et se battait contre l’anti-sémitisme. Cette organisation révolutionnaire qui défendait l’identité yiddish, prônait l’autonomie « nationale-culturelle » des juifs d’Europe de l’Est[5].

Face aux nazis, le Bund fut l’une des organisations juives qui opposa la résistance la plus active. Le Bund produisit des militants comme Marek Edelman, membre fondateur de l’organisation juive de combat. Edelman fut l’un des maîtres d’œuvre de l’insurrection du Ghetto de Varsovie et un des rares survivants à la répression nazie qui la réprima. Selon lui, l’insurrection du Ghetto de Varsovie était avant tout un acte de dignité humaine face à la barbarie nazie : « En nous soulevant, nous avons rappelé notre appartenance au genre humain. En prenant les armes contre ceux qui voulaient nous anéantir, nous nous sommes raccrochés à la vie et nous sommes devenus des hommes libres »[6].

Après la seconde guerre mondiale, Marek Edelman a décidé de rester en Pologne et demeure un antisioniste déclaré. Répondant à une journaliste israélienne, il affirmait : « Si Israël a été créé, c’est grâce à un accord passé entre la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et l’URSS. Pas pour expier les 6 millions de Juifs assassinés en Europe, mais pour se partager des comptoirs au Moyen-Orient »[7].

A la même journaliste qui lui demandait s’il n’était pas logique que des Juifs fassent tout pour survivre, Edelman répondit : « C’est votre philosophie d’Israélienne, celle qui consiste à penser qu’on peut tuer vingt Arabes pourvu qu’un Juif reste en vie. Chez moi, il n’y a de place ni pour un peuple élu ni pour une Terre promise »[8].

Avec Marek Edelman, et avec tous les juifs anti-sionistes, nous serons toujours présents pour nous opposer à une idéologie colonialiste et raciste et à ceux qui la défendent quelle que soit leur origine et leur confession. Pour nous la richesse de la pluralité de l’humanité ne doit pas nous faire oublier son unité ontologique qui est à la base de notre refus intransigeant de toute forme de racisme, de colonialisme, d’impérialisme ou de suprématisme.

Note :

Qui est Didier Bourg, Président de la Fraternité musulmane contre l’anti-sémitisme ?

Didier Bourg, voir photo parue dans la version française du quotidien israélien Jérusalem Post à l’occasion d’un petit portrait de ce dernier : « Le valeureux combat d’un musulman contre l’antisémitisme ».

Mais avant la parution de cet article dans le Jérusalem Post, Didier Bourg avait été brièvement présenté dans un article du Monde, le 9 décembre 1999.

Dans ce papier du journaliste Henri Tincq intitulé  : « Voyage parmi les convertis à l’Islam”, Didier Bourg ne semble pas avoir gardé un très bon souvenir de la communauté musulmane.

L’article du Monde précise en effet que Didier Bourg « En a assez de s’entendre appeler par un sonore mon frère Ali quand on attend de lui un service, mais par un sec Didier , quand on veut lui faire sentir qu’un converti est un musulman de seconde zone, voire un pilleur d’islam , un colonisateur , un indicateur et autres noms d’oiseaux qui, à l’entendre, volent encore dans la communauté musulmane à propos des convertis. »

L’article d’Henri Tincq précise également que : « Didier-Ali Bourg, qui a embrassé l’islam en 1988, entame son douzième ramadan, mais le nom d’Ali commence à lui peser. Il veut rester Didier. »

Puis, plus loin dans ce même article, Didier Bourg dans une attitude pour le moins paternaliste à l’encontre des musulmans laisse sous entendre que ces derniers auraient des difficultés à maîtriser les « codes culturels de la France »  :« Les convertis sont appelés à jouer un rôle croissant dans un islam français qui se cherche des porte-parole et des médiateurs. Ils maîtrisent plus facilement les codes culturels de la France »



[1] Sourate 49 – verset 13

[2] Rapporté par Ahmed

[3] Tom Segev , Le Septième Million – Les Israéliens et le génocide, Liana Levi, 1993

[4] Sourate 4 –Verset 75

[5] Au-delà de l’antisionisme que nous partageons avec le Bund, ces thématiques son d’un grand intérêt pour les musulmans vivant en occident que nous sommes. Sur le Bund cf. Minczeles Henri, Histoire générale du Bund, Un mouvement révolutionnaire juif, Éditions Denoël, Paris, 1999

[6] Courrier international n°806 du 13 avril 2006

[7] Ibid.

[8] Ibid.

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