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Al-Ghazâlî, L’alchimiste du bonheur

Chacun sait qu’al-Ghazâlî est l’une des plus importantes autorités religieuses et spirituelles de l’Islam. Celui qui fut surnommé hujjat al-islam, ‘‘la Preuve de l’Islam’’, a été lu et médité depuis des siècles en terre d’Islam et depuis les débuts de l’érudition orientaliste, les études et les traductions de son oeuvre – qui peuvent parfois être de grande qualité – se sont multipliées.

Pourtant l’énigme demeure : l’homme et son oeuvre semblent résister à toute approche extérieure. Toute tentative de rendre compte de leur nature paraît laisser échapper l’essentiel : le cheminement intérieur d’al-Ghazâlî en son for intérieur.

C’est précisément cette difficulté à saisir la trajectoire spirituelle d’al-Ghazâlî, à partir de sa quête intérieure, qui amena Ovidio Salazar, réalisateur anglais d’origine argentine, à concevoir un film où chaque détail de la vie de ce sage est pris en compte pour nous permettre d’entrer, autant que faire se peut, dans son intériorité spirituelle. Pour réaliser son film ‘‘al-Ghazâlî, l’alchimiste du Bonheur’’, Ovidio Salazar se rendit dans la région natale d’al-Ghazâlî, mena une enquête minutieuse et interrogea les plus grands spécialistes mondiaux.

Les scènes reconstituant la vie du sage sont ainsi entrecoupées des interventions de Seyyed Hossein Nasr (Université Georgetown), de Hamza Yusuf (Zaytuna Institute, Californie) et de T. J. Winter (Université de Cambridge) entre autres…

Mais qui est al-Ghazâlî ? Sans trop dévoiler le contenu du film, donnons quelques repères sur sa biographie.

Abû Hâmid al-Ghazâlî est né à Tûs, ancienne ville du Khurâsân, en 450 de l’Hégire, soit en 1058 de notre ère. Les biographes Ibn Khallikân (m. 1282) et Tâj al-Dîn al-Subkî (m. 1370) lui ont consacré des notices dans leurs ouvrages mais al-Ghazâlî a fait lui-même le récit de son évolution intellectuelle et spirituelle dans autobiographie al-Munqidh min al-dalâl (littéralement : Celui qui sauve de l’égarement[1]).

L’exemplarité du parcours intérieur d’al-Ghazâlî tient dans le fait que malgré une formation théologique et juridique très poussée, il sut se défaire du conformisme ambiant pour se mettre en quête de sincérité, d’authenticité et de vérité intérieure. Il dut pour cela faire littéralement ‘‘table rase’’ de tout ce qu’il savait ou croyait savoir – y compris les concepts les plus largement admis –, assumer ses doutes et ses incertitudes et refuser de les étouffer par les réponses toutes faites de la théologie officielle. C’est à ce prix – et en faisant preuve d’un héroïsme spirituel admirable – qu’il put accéder à la ‘‘grande Certitude’’ (haqq al-yaqîn), celle qui confère la plénitude et la paix intérieure tant recherchée.

On peut distinguer quatre grandes périodes dans la vie d’al-Ghazâlî :

  • Les années d’apprentissage et d’étude.
  • L’enseignement à la mosquée-institut Nizâmiyya (1085-1095).
  • La retraite spirituelle (1095-1105).
  • Le retour à l’enseignement et l’écriture de son Ihyâ’ ‘ulûm al-dîn.

Sa quête intérieure lui permit de découvrir la connaissance intime que l’être porte en lui-même, connaissance que les mystiques musulmans appellent ‘ilm al-mukâchafa, la science par dévoilement :

« Par la science du dévoilement, j’entends la lumière jaillissant dans le coeur lorsque celui-ci est purifié. Cette lumière éclaire maintes réalités sur lesquelles on avait jusqu’alors les idées confuses. Lorsque cela se produit, apparaît la véritable connaissance… ainsi que la contemplation de visu qui ne laisse aucun doute. »[2]

Al-Ghazâlî quitta ce monde le 14 Jumâdâ II 505 / 18 décembre 1111 laissant à la postérité non seulement une oeuvre d’une densité remarquable mais aussi et surtout un modèle de cheminement intérieur et d’exigence d’authenticité spirituelle :

« J’avais acquis la certitude que les soufis ne sont pas des gens de ‘‘discours’’ mais des êtres ayant atteint de hauts degrés dans la réalisation spirituelle. Je possédais tout ce qui pouvait s’apprendre par l’étude. Le reste ne pouvait s’acquérir par l’écoute ou l’étude mais seulement par le ‘‘goût’’ (dhawq) et le cheminement spirituel (sulūk). […]

Cela ne peut se réaliser qu’en s’éloignant des honneurs et de l’argent et en fuyant tout ce qui distrait et enchaîne l’homme.

Je suis resté en retraite spirituelle dix ans ; j’eus, durant cette période, le dévoilement de choses innombrables… »[3]

Par son talent, Ovidio Salazar a su mettre en parallèle la quête d’al-Ghazâlî et celle de l’homme moderne en quête de certitude et de paix intérieure. O. Salazar nous donne ainsi à voir le récit d’une vie qui interpelle l’homme au plus profond de lui-même. Le questionnement sur son époque troublée politiquement et socialement, et son insatisfaction face aux ‘‘savoirs officiels’’ ne sont pas étrangers au cheminement spirituel d’al-Ghazâlî et à son refus du littéralisme conformiste, lesquels aboutirent à l’écriture de son oeuvre maîtresse : Ihyâ’ ‘ulûm al-dîn, la Revivification des sciences de la Religion.

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Par cet ouvrage, notre sage a ouvert la voie de la profondeur et de l’intériorité à de nombreuses générations :

« En résumé, celui dont l’oeil intérieur n’est pas ouvert ne perçoit de la religion que l’écorce et l’apparence, non le fond et la réalité. »[4]

On comprend pourquoi le message d’al-Ghazâlî n’a rien perdu de sa fraîcheur ni de son actualité.

 

* * *

Ovidio Salazar

Né en Californie, Ovidio Salazar réalise des films documentaires depuis plus de 20 ans.

Après des études de théatre et de cinéma à Los Angeles et à New York, son intérêt pour le soufisme l’amène en Europe et Moyen-Orient où il suit des cours d’arabe et de sciences islamiques (à Londres et au Caire).

Il a notamment produit une série pour la BBC intitulée “Faces of Islam” et a filmé à de nombreuses reprises le pèlerinage à la Mecque. Il a d’ailleurs réalisé en 2001 pour la BBC le documentaire plusieurs fois primés “Hajj Journey of a Lifetime” diffusé récemment sur la chaîne Planète (début 2006).

Vous pouvez acheter le DVD sur le site Lagofa :

DVD Al-Ghazali l’alchimiste du bonheur

 


[1] Edité et traduit par Farid Jabre sous le titre Erreur et délivrance, Beyrouth, 1959.

[2] Ihyā’ ‘ulūm al-dīn, ch. 1.

[3] Al-Munqidh min al-dalâl.

[4] Ihyā’ ‘ulūm al-dīn, ch. 1.

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