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Voyages aux sources du Saint Coran (partie 4 et fin)

Vous avez été particulièrement nombreux à avoir lu la passionnante étude du Dr Abdallah intitulée « Voyages aux sources du Saint Coran ». Nous publions la dernière partie de cette série à travers un entretien avec l’éminent Professeur François Déroche qui est directeur d’études d’histoire et codicologie du livre manuscrit arabe à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes.

Autant l’historique des manuscrits du Coran référencé BNF, Arabe 328 à la Bibliothèque nationale de France (partie de la collection de Jean Louis Asselin de Cherville) est connue et publiée, autant l’histoire de son homologue de la British Library référencé OR 2165 est mystérieuse et n’a fait, à ma connaissance, l’objet d’aucune publication. Existe-t-il une explication à la pudeur dont font preuve les conservateurs de la British Library ? Pouvez-vous nous éclairer sur l’histoire du manuscrit OR 2165 ?

Je pense que c’est une difficulté réelle. À l’époque où j’avais commencé à travailler sur ce manuscrit, nous avions demandé à mes collègues de la British Library des compléments d’information sur le vendeur, puisqu’on a un nom d’un pasteur anglais qui l’a vendu aux trustees de la British Library. Ils ont cherché dans les sources britanniques sur la question, mais n’ont pas identifié le personnage et, à fortiori, où il l’avait acheté.

Cela dit, dans la collection de la BnF, nous avons quelques feuillets qui semblent être de même origine que le manuscrit de Londres. Dans un scénario possible, ce coran aurait été, lui aussi, conservé dans la mosquée de Amr, à Foustat (le vieux Caire), et aurait été acquis dans le courant du dix neuvième siècle, de la même manière qu’Asselin de Cherville a fait l’acquisition de ses feuillets avant 1820.

Le codex référencé BnF, Arabe 328 est-il un ouvrage unique, recopié par différents copistes ou est-il une reconstruction tardive provenant de Corans différents ? Combien alors et à quelle date se serait opérée la reconstruction ?

C’est un Coran qui est le résultat d’une coopération de deux, voire trois copistes, puisqu’il n’est pas exclu qu’une autre partie de la cote Arabe 328 fasse également partie de cela mais comme il n’y a, pour ces feuillets de la fin du Coran, une lacune codicologique, il est difficile d’être complètement affirmatif.

Je veux dire la chose suivante : dans le 328 a, nous avons deux mains, A et B. Et certains feuillets sont, au recto de la main A et au verso de la main B. Donc nous savons qu’ils ont travaillé ensemble parcequ’on voit bien les changements de mains. En revanche, l’éventuel copiste C intervient sur des feuillets qui ne font pas partie d’un cahier où l’on aurait une autre main et où l’on pourrait alors dire qu’ils étaient en entrain de travailler en même temps. Donc c’est pour ça qu’il y a un point d’interrogation.

Ce manuscrit était à l’origine entier puisque les grandes divisions classiques en moitié, en quart, et cætera, ne sont pas indiquées de quelque façon que ce soit, en tout cas ne donnent pas lieu à une interruption dans la structure des cahiers. Par ailleurs, il semble, d’après les commentaires de l’imam Malik, au cours du deuxième siècle de l’hégire, que cette pratique était à ses débuts mais n’était pas encore admise, puisqu’il la condamne ; on peut penser qu’un siècle plus tôt, une période qui sert de référence à Malik, elle n’existait pas.

Pour faire simple, votre sentiment serait qu’on aurait affaire à un seul codex ?

Je pense que le 328 a est bien un seul codex et il est possible que le 328 b fasse partie du même volume mais on mettra, par prudence, un point d’interrogation. Les catalogueurs précédents avaient tout rassemblé. J’ai préféré réserver la réponse dans la mesure où je crois qu’il faut être prudent dans cette affaire.

Le format vertical des deux codex BnF, Arabe 328 et Or 2165, format très inhabituel pour l’époque, ne suggère-t-il pas une origine commune ? Ainsi, l’existence d’un scriptorium à Médine au premier siècle de l’hégire conforterait la tradition musulmane de transmission du texte coranique dont la compilation se serait faite sous la responsabilité de Zaïd Ibn Thabit ?

Le format vertical est en fait le format retenu au départ. Il semble qu’à l’arrivée de l’islam, face à la nécessité très urgente de noter par écrit le Coran, les considérations prioritaires aient été de l’écrire et que par la suite, d’autres questions ont été abordées, en particulier celles du format.

Nous n’avons pas de texte pour nous renseigner sur la façon dont les choses se sont passées et d’ailleurs, dans l’ensemble la tradition musulmane est muette sur un certain nombre de points importants de l’histoire ancienne du texte du Coran. Ce que je dis ne concerne pas la toute première mise par écrit, qui elle, est relativement bien documentée. Aussi est-il seulement possible de faire des hypothèses à partir de l’observation des manuscrits les plus anciens.

Il semble donc que les autorités ont adopté le codex de l’Antiquité qui à l’époque est la forme dominante du livre, et ont écarté la forme du rouleau qui était un candidat possible : il y avait en effet des communautés juives à Médine, lesquelles possédaient peut-être des Torahs, mais sur ce point également, nous ne possédons aucune indication. Il est vrai que dans un texte de polémique entre chrétiens et musulmans du quatrième siècle de l’hégire, un auteur chrétien dit aux musulmans : « mais vous avez bien commencé par écrire le Coran sur des rouleaux… ». Le reproche fait à l’époque était-il fondé ? Est-ce qu’il ne l’était pas ? Je n’en sais rien, je n’ai pas les moyens de le savoir, mais je pense qu’effectivement, la possibilité de faire un choix entre les deux a existé.

Le choix a en tout cas été fait en faveur de la forme qui était devenu la norme et qui était, du point de vue de la commodité, sans doute la plus efficace. Il faut penser que quand vous faites un rouleau, vous n’écrivez que d’un côté et vous n’utilisez que la moitié du matériau. Nous sommes encore dans des périodes où on ne peut pas se permettre de gaspiller. Je crois que c’est, sans doute, un des éléments qui a dicté le choix qui a été fait à ce moment là.

Pour revenir à la question de départ, le format vertical est donc tout à fait la règle à l’époque ancienne. Nous avons d’autres fragments Higazis de ce format. En revanche, l’existence d’une norme technique unique, liée en particulier à un scriptorium, ne me paraît pas très probable dans la mesure où, dans la façon de fabriquer les cahiers, la plus grande diversité prévaut, de même qu’elle est manifeste dans les variations de l’écriture. Or, si nous avions un scriptorium unique qui aurait travaillé à diffuser des Mus’hafs vers les différentes régions, on retrouverait, je pense, une formule dominante. Or ce n’est pas le cas, on a vraiment différentes façons de faire qui peuvent aussi s’expliquer par des influences locales qui ont été reprises et transférées au Coran.

Dans l’ouvrage “Sources de la transmission manuscrite du texte coranique” que vous avez co-signé avec Sergio Noja Noseda en 2001, vous présentez les manuscrits de style Higazi BnF, Arabe 328 et OR 2165. Selon votre datation, ils sont du premier siècle de l’hégire. Alors que Martin Lings, ancien conservateur des manuscrits arabes anciens du British Museum affirmait dans son catalogue de l’exposition à la British Library pour le World of Islam Festival de 1976, qu’il datait le frère jumeau de ce manuscrit (OR 2165) du début du deuxième siècle. À quoi attribuez vous cette différence d’appréciation qui, pour les musulmans, est plus qu’un détail ?

Dans la mesure où nous avons affaire à des documents non datés, tout cela comporte une partie d’approximations. Initialement, j’ai été très prudent et dans le catalogue de la BnF, je ne propose pratiquement pas de datation parce qu’à l’époque, je ne considérais pas que j’avais les moyens de dater précisément les manuscrits.

Ce qui m’a fait changer un peu d’opinion, c’est le fait d’avoir découvert depuis des manuscrits qui sont très certainement d’époque Oumeyade, pour des raisons qui tiennent à l’histoire de l’art et à la paléographie, et qui forment, pour parler en termes archéologiques, une sorte de couche supérieure. Donc, par déduction, j’en conclus que des manuscrits présentant une graphie qui explique celle de l’époque Oumeyade sont antérieurs.

Cela dit, on peut aussi imaginer un autre scénario dans lequel on aurait une école, disons plus traditionaliste, qui, pendant plus longtemps, serait restée fidèle à la graphie ancienne. Dans ce cas, certains des manuscrits Higazi pourraient avoir été copiés au deuxième siècle. On m’a même dit : « mais ça pourrait être copié au troisième siècle  ». Je ne le pense pas ; à mon avis, d’autres arguments laissent à penser que le Higazi a été assez vite abandonné pour des raisons disons, de prestige.

Dans le même ouvrage, vous présentez vos travaux sur les manuscrits BnF, Arabe 328. Vous arrivez à la conclusion passionnante que ce Coran presque complet du premier siècle de l’hégire contient 16 mots qui sont orthographiés différemment de la version officielle actuelle du Coran qui est celle du Roi Fouad d’Égypte de 1919, (après correction des différences incluses dans le texte suites aux différentes réformes grammaticales.). Les musulmans sont donc les seuls monothéistes à posséder des exemplaires du premier siècle de leur texte sacré original ?

Il est certain que, par rapport au christianisme et à fortiori par rapport au judaïsme, le laps de temps qui s’est écoulé entre la révélation et la mise par écrit est effectivement extraordinairement court. J’écarte bien sûr la théorie de Wandsborough qui voit dans le Coran une série de logia prophétiques dont la mise par écrit remonterait au mieux à la fin du deuxième siècle et au plus probable dans le courant du troisième siècle (de l’hégire).

En revanche, pour les questions d’orthographe,je crois qu’il faut attendre, ce sont les résultats d’un sondage qui a été fait et qui a permis d’identifier un certain nombre de variantes. L’étude a besoin d’être poursuivie pour une raison très simple : c’est que nous avons à faire à un “Rasm” (un “squelette consonantique”) à l’état pur si j’ose dire. Avec un minimum de points diacritiques.

Nous sommes partis, dans un premier temps, pour faire simple, du Rasm moderne et nous avons re-ponctué le Rasm d’Arabe 328 comme il le serait maintenant. C’est un parti pris et personnellement, je suis assez ambivalent face à ce choix initial qui était surtout conditionné par la technique. J’aurais préféré que nous publions une transcription qui aurait été exactement fidèle au manuscrits et je crois qu’elle serait beaucoup plus intéressante pour les historiens ; bien sûr, ils ont, en fac-simile, les clichés en face donc ils peuvent très bien voir ce qui se passe, mais il me semble que ce serait scientifiquement beaucoup plus cohérent de suivre totalement l’original.

Dans la pratique, dans le premier volume, qui contient l’arabe 328, la typographie avait été aménagée, c’est-à-dire que sont indiqués en caractères gras les points qui figurent sur l’original, le reste est en typographie normale. Le résultat était esthétiquement assez mitigé et pas très lisible, il faut bien le reconnaître. Le deuxième volume, qui est consacré à la première moitié de l’OR 2165, a donc été publié avec la même graphie partout et ça n’est pas, à mon avis, une voie sur laquelle il faut continuer, il faut essayer, et l’informatique devrait le permettre, de donner une édition avec la transcription fidèle à la photo.

Toujours dans cet ouvrage, sous le titre “QUELQUES IDEES POUR UNE CONCLUSION PROVISOIRE”, Sergio Noja Noseda écrit : “Le Coran du premier siècle que nous avons devrait, pour être complet, comporter 547 pages, mais nous n’en avons que 520. Il manque 27 pages de la sourate 78 soit l’équivalent de 5% du texte total. En réalité, pour compléter ce Coran, nous avons puisé dans un manuscrit qui est gardé à Istanbul mais qui est lui-même incomplet, il y a un trou entre les sourates 50 et 65. Donc c’est 17% du texte total qui serait manquant sans cet apport”. Les mêmes différences sont-elles constatées dans le manuscrit OR 2165 de la British Library ? Les mêmes différences orthographiques s’y retrouvent-elles également ? Où s’agi-t-il d’une conclusion globale à l’étude des deux codex ?

La conclusion en fait est beaucoup plus vaste puisque c’est d’après un sondage sur l’ensemble des Corans Higazis qui existent, tous confondus. Aucun n’est complet, pour une raison très simple : ce sont des manuscrits très anciens et si on cherche dans le monde pour d’autres traditions manuscrites, on verra que beaucoup de textes sont lacunaires.

Ils sont lacunaires surtout au début et à la fin pour une raison très simple : c’est ce qu’on touche le plus donc c’est ce qui s’abîme le plus vite. Alors effectivement, il nous manque le début du texte et la fin. Non pas que ce début et cette fin aient été ajoutés par la suite, c’est simplement que nous n’avons pas de témoins manuscrits de la seconde moitié du VIIe siècle pour nous aider. Mais naturellement, ceci n’est qu’une photographie de l’état de la tradition manuscrite en 2001.

Cet ouvrage est accompagné de deux cédéroms contenant la retranscription électronique en arabe (format Word arabe 98) des deux codex. Est-il possible de se procurer ces cédéroms ? Est-il possible de les publier sur Oumma.com de manière à ce que tout le monde puisse y avoir accès ?

C’est une question à poser à l’éditeur des deux volumes. En principe, je ne pense pas qu’il y ait d’opposition fondamentale, dans la mesure où c’est une transcription que tout un chacun pourrait faire aisément. Il ne s’agit pas de mettre en circulation des images des manuscrits qui eux sont visés par des copyrights.

Sur la totalité des lettres de la vulgate expurgée des modifications grammaticales tardives, quel pourcentage retrouve-t-on dans le codex Bnf Arabe 328 ? À combien passent ces chiffres si on y ajoute le codex OR 2165 ? À partir de ces chiffres, est-il possible d’estimer un pourcentage statistique de fiabilité, par rapport à la révélation, de la version actuelle du Coran ?

Si l’on prend l’ensemble des Corans Higazis, on arrive à 95 pour cent du texte coranique complet (dont environ 20 par un seul manuscrit). C’est une vue statistique et, comme toujours, les statistiques ne veulent pas dire grand chose. Dans la mesure où nous avons sans doute, dès cette époque des qir’ats (des façons de lire) différentes, on ne peut pas en fait se permettre d’additionner les manuscrits. On ne peut pas prendre Or 2165 pour compléter Arabe 328, dans la mesure où il faudrait démontrer qu’ils représentent la même transmission manuscrite. Chaque manuscrit nous donne un renseignement mais un renseignement sur ce manuscrit là seulement. Faire un fac similé où l’on reprendrait des photos de différents manuscrits pour arriver à un Coran complet, c’était un projet qui avait été agité et qui m’avait profondément choqué, à mon avis, ce serait un monstre.

On peut faire une méta-analyse, éventuellement ?

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On peut faire une méta-analyse, mais c’est assez difficile parce que, par exemple, dans Or 2165, le copiste n’est pas toujours cohérent : il y a des endroits où, pour revenir à mon “qaala” de tout à l’heure, il écrit “qaala” avec le alif, et d’autre où il ne l’écrit pas. Et pourtant c’est la même main. Et j’ai un manuscrit Oumeyade où c’est encore plus extraordinaire parce que là, c’est à trois lignes d’intervalle sur la même page ou il écrit “qaalou” avec le alif et la deuxième fois sans le alif. On ne peut pas avoir de doute sur le sens du mot. Ce n’est pas quelque chose qui remette en cause le texte lui-même, mais ça montre cette progression de l’orthographe coranique, parce que le Coran que nous avons aujourd’hui, même s’il se présente, dans la post-face de l’édition du Caire comme une reconstruction du Mus’haf othmanien, n’a rien à voir sur le plan de l’orthographe avec ces Corans Higazis qui sont vraiment quelque chose de très particulier, au point de déconcerter le lecteur arabophone. Il ne faut pas se voiler la face, le Coran a, au moins sur ce plan une histoire.

Lorsqu’on interroge les savants musulmans sur le lieu actuel de conservation des codex coraniques les plus anciens, ils nous parlent du codex de Tachkent (Ouzbékistan) et celui du palais du Topkapi à Istanbul (Turquie). Avez-vous étudié ces deux codex ? De quelles époques les datez-vous ?

Les deux manuscrits sont vraisemblablement des manuscrits du deuxième siècle de l’hégire. Je sais que c’est un point qui est sensible et un certain nombre de musulmans sont attachés à ce genre de relique, de même que les chrétiens sont attachés au saint suaire de Turin, par exemple. Donc il faut bien distinguer ici la piété et l’histoire.

Pour l’historien du livre, il est absolument exclu de pouvoir prouver de manière sûre avec ses méthodes que l’un ou l’autre de ces manuscrits remonte à Othman. Alors on pourrait faire une analyse au carbone quatorze, ce serait intéressant, mais ça risquerait d’être extrêmement décevant dans la mesure où on pourrait avoir des résultats qui divergeraient considérablement de ce qu’on attend.

La découverte de milliers de fragments de Corans anciens provenant de 926 Corans différents, lors de la rénovation de la grande mosquée de Sanaa (Yémen) en 1972, a été suivie, en 1999 de déclaration fracassantes de la part d’un chercheur… Plusieurs années après, l’étude de ces fragments a-t-elle amenée quelque chose à la connaissance de la transmission primitive du texte sacré ?

Je dirais malheureusement non, ou trop peu ! Les pistes qui s’ouvrent actuellement sont intéressantes, nous avons toute une série de recherches qui sont entrain de se mettre en place. Le problème, c’est qu’il aurait peut-être fallu commencer par publier les documents pour après proposer des interprétations. Là, en revanche, nous nous trouvons avec les interprétations sans avoir les documents sur lesquelles elles sont supposées reposer.

Je crois que nous avons perdu du temps et peut-être que ce temps ne sera jamais rattrapé. Parce que la controverse est devenue tellement brûlante qu’elle peut rendre l’accès à cette information plus difficile.

En fait, d’après ce que j’ai compris par la suite, Monsieur Puin avait fait des microfilms de ces documents et certains de ces microfilms se sont avéré être voilés.

C’est ce que j’ai entendu dire également. On ne peut en tous les cas pas utiliser ces copies semble-t-il. J’espère qu’on aura une autre façon de procéder.

A-t-on accès aux originaux à l’heure actuelle ?

J’ai pu avoir accès aux originaux, j’ai été très bien reçu au Yémen par les autorités locales, j’ai pu consulter les manuscrits. J’avoue que je pense que les Yéménites peuvent êtres intéressés par la possibilité que ces manuscrits soient étudiés, mais ils ont besoin d’être sûr qu’on n’en fasse pas n’importe quoi. Les polémiques sont venues trop tôt, avant que toutes les informations sérieuses ne soient disponibles ; en outre, et ce n’était peut-être pas très sain, les autorités yéménites ont eu connaissance de tout cela non pas directement, mais disons, indirectement.

Qu’en est-il des collections de Corans anciens dans les bibliothèques des pays musulmans ? Vous citez un codex partiel du premier siècle à Istanbul… Avez-vous eu accès à des collections privées ?

Non, je n’ai pas eu accès à des collections privées, j’ai seulement travaillé sur les collections publiques et, pour faire simple, j’ai essentiellement travaillé en Turquie. Malheureusement, l’accès aux collections du Caire est un peu problématique, on peut se consoler en se disant qu’un certain nombre de manuscrits qui viennent d’Egypte se trouve dans des collections plus accessibles de par le monde.

Où va la recherche dans le domaine de la compilation du texte sacré musulman et dans la datation des Corans du premier siècle ?

La datation des Corans a quand même progressé. On a maintenant une vision plus nette de cette histoire. En Grande Bretagne, certains collègues travaillent sur les lectures : c’est une étude qui est difficile dans la mesure où ce sont des Corans qui ne sont pas vocalisés, donc tout repose sur le Rasm.

Yasin Dutton a néanmoins fait des découvertes intéressantes. Certains nouveaux problèmes sont apparus auxquels je n’avais pas pensé au début, par exemple la question de la division en versets. Les versets sont très exactement indiqués sur les copies anciennes, mais apparemment, comme on le sait depuis longtemps pour le troisième siècle, les divisions en verset ne correspondent pas aux systèmes que nous connaissons maintenant. Il y a en fait une préhistoire de ces théories de la division des versets qui reste à étudier. Ce qui est tout à fait intéressant, ça montre que beaucoup de domaines doivent être abordés, mais ça fait beaucoup pour un seul homme.

Voyez-vous une question importante dans ce domaine que nous ayons oublié de vous poser ?

Pour moi, maintenant, les problèmes sont plutôt ceux du deuxième siècle que ceux du premier. Pour le premier siècle, nous avons maintenant déblayé un certain nombre de questions ; nous ne les avons pas résolues, mais nous avons proposé un certain nombre de théories qui sont contestables et qui seront sans doute contestées. Elles sont là justement pour offrir le point de départ d’une discussion. En revanche, par comparaison, le siècle suivant, qui est un siècle important pour l’histoire de l’islam, est un peu une “Terra Incognita” dans laquelle, pour l’instant, nous n’avons pas de point de repère.

Pas de documents donc ?

La fin des Oumeyades et le début des Abbassides, qui a dû donner lieu à des créations importantes, est assez mal documentée. J’ai bien sûr des hypothèses, mais elles ne reposent que sur le fait que des documents du troisième siècle présentent telle et telle apparence ; ils sont datés par des colophons et par différents moyens, tandis que le deuxième siècle, c’est un petit peu le siècle où l’on met ce que l’on ne réussit pas à caser ailleurs. C’est une façon disons un peu simpliste de travailler. J’aimerais donc par la suite pouvoir d’avantage élaborer et voir, justement, quelles ont été les solutions progressivement mises au point pour la transmission du texte coranique.

Donc, pour le premier siècle (de l’Hégire), est-ce que pour vous, les choses correspondent à peu près à la tradition musulmane, ou quelles en sont les différences principales.

Je ne peux pas aller aussi loin que la tradition musulmane. Pour moi, ce que je peux dire à l’heure actuelle c’est que nous avons des témoins anciens que l’on peut dater prudemment de la seconde moitié du premier siècle de l’hégire, fin du septième siècle de l’ère chrétienne. Des témoins anciens d’un texte coranique qui est grosso modo celui que nous avons maintenant existent bien. Je dis grosso modo, non pas tant pour le contenu mais pour l’orthographe, pour la division en versets, qui sont légèrement différents.

Certaines des trouvailles de Sanaa montrent une organisation différente des sourates, dans une des rares publications que nous ayons. Mais ça montre bien, justement, que ce que nous savons par les textes a été une réalité : des sources signalent qu’il y a eu des classements concurrents des sourates, que le classement que nous connaissons maintenant l’a emporté mais qu’il n’était pas le seul au départ.

Mais dans l’ensemble, je dirais que la silhouette du codex Higazi, pour l’appeler de manière un peu simpliste, même s’il a été copié à Foustat, à Damas ou a Couffa, a quand même pas mal pris tournure.

Je vous remercie, au nom des lecteurs d’Oumma.com, pour l’attention que vous avez porté à nos questions, pour le temps que vous avez passé à y répondre, et pour vos réponses qui nous ont passionnées.

Conclusion

J’ai vécu ce voyage aux sources du Coran d’une manière particulièrement intense, presque mystique. Une sorte de “quête du Graal”, version musulmane bien sûr… Au cours de mes recherches, j’ai eu l’occasion de rencontrer des gens formidables, passionnés, que pour des raisons de place je n’ai pas tous cité. Qu’ils soient ici tous remerciés pour leurs précieuses contributions.

J’ai toujours considéré que les musulmans ne devraient pas avoir peur de confronter leurs convictions aux réalités de ce bas monde. C’est par cette méthode que les convictions s’affinent et se renforcent.

Je pense pouvoir considérer que mes recherches ont été couronnées de succès ce qui me procure une grande satisfaction : les données actuelles de la science confirment une grande partie de la conviction des musulmans de détenir le texte original du Coran, d’inspiration divine.

Ce n’est pas la première fois que je constate, après étude approfondie, qu’il n’y a pas de contradiction majeure entre les données actuelles de la science et ma foi musulmane. L’islam est du domaine de la foi, la science est du domaine de l’expérimentation, ma foi ne dépend pas de la science mais il est intellectuellement satisfaisant de vérifier que les deux ne sont pas en opposition. Dans ce cas précis, je peux affirmer que l’étude de la science a fait croître ma foi.

Mes recherches m’ont mis en contact avec des exemplaires publics des corans anciens. Je reste convaincu qu’il ne s’agit que de la face apparente d’un iceberg dont la face cachée se trouve, à l’abri des chercheurs, dans des collections privées.

“Allez chercher la science, même si elle est en Chine” dit un célèbre hadith prophétique. Mon expérience me prouve que cet ordre pouvait être la source de grands bonheurs. Et à propos de la Chine et de corans anciens, il me faut rappeler qu’une dépêche récente de l’agence Xinhua, reprise par le “Quotidien du peuple” du 11 octobre 2004 tirait la sonnette d’alarme sur l’état désastreux des plus anciennes copies du coran conservées en Chine et qui nécessitent des restaurations d’urgence. Une perspective de nouvelles aventures ?

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