À partir du 11 avril 2011, les femmes qui portent le voile intégral en France seront passibles d’une amende de 150 euros et d’un stage de citoyenneté. La sanction comprend donc deux volets : un volet explicitement répressif et un volet pédagogique, réformateur – s’apparentant très fortement à un dressage puisque la femme soumise à cette peine pédagogique l’est en raison d’un choix vestimentaire qui n’engage que sa propre personne et son propre corps. Ce corps et cette personne ne lui appartiennent assurément pas dans l’espace public : un tel constat devrait susciter la condamnation de celles qui se proclament féministes – sauf à être moins féministes qu’islamophobes, ce qui effectivement rend les choses plus compliquées du point de vue des luttes féministes mais aussi plus commodes et “gérables” du point de vue du gouvernement.
À partir du 11 avril 2011, donc, on fera raquer la voilée pour l’expression de sa foi – assimilée à un outrage. Mais on aura aussi à coeur de maintenir la flamme de l’espoir – républicaine et tricolore : espoir de transformer ces femelles rétives et rebelles en délicieuses créatures mi-putes mi-soumises. Le stage dit “de citoyenneté” doit redonner à ces femmes – qui n’en sont plus tout à fait – le goût de la féminité adéquate, de ses attributs physiques et vestimentaires. Ce sont ces attributs qui, désormais, conditionneront en France – comme en Arabie Saoudite – l’accès (ou le non-accès) des femmes à la citoyenneté.
Jean-Paul Garraud, député UMP et rapporteur de la loi a déclaré : “La femme est bien regardée ici comme victime, et non comme militante. C’est le gouvernement qui a voulu ajouter ce temps de pédagogie. Personnellement, j’ai posé la question, demandé si le texte n’apparaîtrait pas contradictoire. Le gouvernement m’a répondu qu’on avait fait pareil pour la loi sur le voile à l’école.” Le gouvernement veut ainsi donner une forme cohérente à une loi incohérente qui masque mal les enjeux politiciens de la chasse actuelle aux signes visibles de la musulmanerie.
En 1928, la romancière anglaise Virginia Woolf a prononcé plusieurs conférences dans des colleges de Cambridge, alors non-mixtes. Un an plus tard, ses interventions ont été rassemblées en un génial et percutant volume intitulé Une chambre à soi – du titre de l’une des conférences. Dans Une chambre à soi, Woolf défait très finement les injustices induites par la société patriarcale dans laquelle elle est située, et pose les conditions de possibilité de l’écriture pour les femmes de son temps. En somme, toutes les muses et le talent réunis ne servent à rien pour la femme qui n’a pas d’argent et qui doit assumer seule l’ensemble des tâches ménagères. Woolf établit donc la nécessité de biens propres et d’un espace à soi.
Mais retournons à celle qui, le 11 avril 2011 en France, se transformera au douzième coup de minuit, en délinquante : la voilée intégralement voilée. La voilée intégralement voilée ne s’habille pas en fonction des injonctions de la mode printemps-été ou des goûts de son mari ; elle choisit ses vêtements conformément à la lecture qu’elle fait de sa religion. Le référent religieux, surtout quand il est islamique – étant donnée la chasse actuelle aux signes visibles de la musulmanerie – peut choquer. Pourtant la voilée intégralement voilée n’en est pas moins un être doté de raison. Et malgré toute la perfidie que le législateur français lui prête, elle ne parvient que très rarement à voiler intégralement l’ensemble de ses amies, cousines, soeurs, voisines – qui d’ailleurs peuvent aussi s’avérer n’être pas musulmanes.
En référence à ce référent suspect, il convient de rappeler que, préalablement à toute injonction vestimentaire, l’Islam a prescrit l’autonomie des femmes (et pas seulement celles qui écrivent). Les femmes musulmanes sont les seules propriétaires de leurs biens : ni leur mari, ni leur père, ni leurs frères n’ont le droit d’y porter la main. Mêmes mariées, elles ne seront pas désignées comme femme d’Untel – et ce, contrairement à la première édition des oeuvres de Woolf où la féministe anglaise est tristement d’emblée présentée comme “épouse” de Leonard Woolf.
La voilée intégralement voilée, comme toute autre musulmane, se perçoit d’abord comme la créature de l’Un Créateur – ce qui ne la rend pas incapable d’interagir dans la pluralité d’un espace public et de lier des relations d’alliances avec d’autres personnes, croyantes ou non pour autant que chacune reconnaisse l’autre. Cette façon de se percevoir peut aussi expliquer pourquoi se revendique la dignité de pouvoir choisir un “vêtement à soi” – habillant un corps qui, en dépit des injonctions temporelles rendues manifestes par des lois iniques, ne peut simplement pas appartenir aux gouvernants, si puissants soient-ils.
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