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Seigneur, pardonne à la France blanche

Parfois, je me demande ce que j’ai fait pour mériter tout cet acharnement. Qu’ai-je fait pour que cette France, sous prétexte d’une mission soi-disant civilisatrice, ait déshumanisé mes pères et mes frères pendant des siècles ?  Pourtant, je ne suis jamais tombé dans une paranoïa francophobe malgré ma longue histoire avec elle. Parce que oui : bien qu’elle soit indéfendable, bien qu’il m’arrive souvent de lui en vouloir et d’avoir la tentation de la maudire, cette France fait partie de mon histoire. Même si, je me dois de l’avouer, le passé qui me lie à elle n’est pas encore entièrement digéré !

Lorsque je dis que je n’ai rien à voir avec les assassins de ses enfants, elle me traite de complicité. Et quand je m’exprime, elle me taxe d’hypocrisie. Lorsque je tente d’expliquer, elle me réplique « qu'expliquer, c'est déjà vouloir excuser ».

Cette France m’a arraché mes ancêtres et n’est pourtant pas contente. Puis, je lui ai laissé occuper mes terres. Actuellement, une bonne partie de mon patrimoine se trouve dans ses musés, aussi m’a-t-elle volé mon passé. Et elle n’est toujours pas satisfaite. Je milite quotidiennement pour sa cohésion nationale et pour ne pas l’abandonner aux assassins de l’aube. Mais la France est toujours insatisfaite. Je lui dis que ma religion n’est en rien une menace pour elle. Pourtant, elle me demande de la réformer comme si elle ne savait pas que la religion n’est pas qu’une simple question de pratiques ; qu’elle est aussi une question de foi et que la foi ne se réforme pas. Quand je lui explique tout ça, cette France reste sourde.

Je lui ai montré ma carte d’identité, lui ai fait part de mon parcours, de mon amour et mes engagements, mais elle me répond qu’elle « est judéo-chrétienne et de race blanche. » Aussi, éternise-t-elle en moi un sentiment de culpabilité. Je lui ai tendu une main. Quant à elle, elle me parle d’assimilation comme si elle ignorait que mon africanité et ma sénégaléité ne sont pas négociables, et que je mourrai libre plutôt que de renoncer à la culture qui m’a été inculquée par mon père et ma mère.

Elle veut limiter l’immigration sans se soucier des causes mêmes de l’émigration. Elle dénonce l’émigration économique et me prend pour traitre quand je dénonce son colonialisme monétaire qui empêche le développement d’une bonne partie de l’Afrique. Je lui ai dit que quatorze pays africains utilisent encore le Franc CFA que leur avait imposé le pouvoir colonialiste[1]. Je lui ai dit que ces 14 pays sont obligés par elle , à travers le pacte colonial , de mettre 50% de leur réserve à la banque centrale de France sous le contrôle du ministère des finances français[2]. Quand je lui rappelle que cela fait des millions, voire des milliards d’euros qui ne lui appartiennent pas, elle crie au blasphème.

Pour me réconforter, je vais prier pour cette France. Seigneur pardonne à la France blanche. Ou, comme le disait un des poètes de la négritude, « Seigneur, Dieu, pardonne à l’Europe blanche. »

Oui, cette Europe et cette France ont besoin d’invocations… Quand cette même Europe qui a déshumanisé mes pères, et cette même France qui a humilié mes ancêtres et empêche le développement de ma terre natale essayent de faire naître chez moi un sentiment de culpabilité à cause de ceux qui tuent au nom de ma religion, je ne peux que m'associer à Senghor pour leur adresser mes prières.

«… Seigneur Dieu, pardonne à l'Europe blanche !
Et il est vrai, Seigneur, que pendant quatre siècles de lumières elle a jeté la bave et les abois de ses molosses sur mes terres
Et les chrétiens, abjurant Ta lumière et la mansuétude de Ton cœur
Ont éclairé leurs bivouacs avec mes parchemins, torturé mes talibés, déporté mes docteurs et mes maîtres-de-science.…/…
Seigneur, pardonne à ceux qui ont fait des Askia des maquisards, de mes princes des adjudants
De mes domestiques des boys et de mes paysans des salariés, de mon peuple un peuple de prolétaires.
Car il faut bien que Tu pardonnes ceux qui ont donné la chasse à mes enfants comme à des éléphants sauvages.
Et ils les ont dressés à coups de chicotte, et ils ont fait d'eux les mains noires de ceux dont les mains étaient blanches.

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Car il faut bien que Tu oublies ceux qui ont exporté dix millions de mes fils dans les maladreries de leurs navires
Qui en ont supprimé deux cents millions.
Et ils m'ont fait une vieillesse solitaire parmi la forêt de mes nuits et la savane de mes jours.
Seigneur la glace de mes yeux s'embue
Et voilà que le serpent de la haine lève la tête dans mon cœur, ce serpent que j'avais cru mort…

Tue-le Seigneur, car il me faut poursuivre mon chemin, et je veux prier singulièrement pour la France.
Seigneur, parmi les nations blanches, place la France à la droite du Père.
Oh ! je sais bien qu'elle aussi est l'Europe, qu'elle m'a ravi mes enfants comme un brigand du Nord des bœufs, pour engraisser ses terres à cannes et coton, car la sueur nègre est fumier.…/…
Oui Seigneur, pardonne à la France qui dit bien la voie droite et chemine par les sentiers obliques
Qui m'invite à sa table et me dit d'apporter mon pain, qui me donne de la main droite et de la main gauche enlève la moitié.
Oui Seigneur, pardonne à la France qui hait les occupants et m'impose l'occupation si gravement
Qui ouvre des voies triomphales aux héros et traite ses Sénégalais en mercenaires, faisant d'eux les dogues noirs de l'Empire
Qui est la République et livre les pays aux Grands-Concessionnaires
Et de ma Mésopotamie, de mon Congo, ils ont fait un grand cimetière sous le soleil blanc.

Ah ! Seigneur, éloigne de ma mémoire la France qui n'est pas la France, ce masque de petitesse et de haine sur le visage de la France
Ce masque de petitesse et de haine pour qui je n'ai que haine — mais je peux bien haïr le Mal.
Car j'ai une grande faiblesse pour la France.
Bénis ce peuple garrotté qui par deux fois sut libérer ses mains et osa proclamer l'avènement des pauvres à la royauté
Qui fit des esclaves du jour des hommes libres égaux fraternels
Bénis ce peuple qui m'a
apporté Ta Bonne Nouvelle, Seigneur, et ouvert mes paupières lourdes à la lumière de la foi.… 
Je sais que nombre de Tes missionnaires ont béni les armes de la violence et pactisé avec l'or des banquiers
Mais il faut qu'il y ait des traîtres et des imbéciles… »

 

                                                                                                                                                



[1] Franc CFA voulait dire franc des colonies françaises d’Afrique. Entre 1958 et la décolonisation, il est devenu Franc des communautés françaises d’Afrique. Actuellement, il signifie le Franc de la communauté financière africaine.

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