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Retour sur une panique française : l’affaire de la burqa

Que s’est-il passé pour que la ferveur populaire retentisse soudain, au printemps dernier, au point qu’une commission parlementaire se saisisse de l’affaire dite de la burqa ? Pourquoi tant de bruit pour presque rien ? Le Président de la République devant le Congrès réuni à Versailles, puis les ministres, les députés, les intellectuels, les artistes même, sont montés au créneau, lançant parfois des déclarations d’une violence inouïe dans une ambiance d’unanimisme transformant soudain l’espace public en tribunal vindicatif.

Comment expliquer cette soudaine communion d’opinion, alors que l’apparition du voile ne date pas d’hier (les années 80) et celle du voile intégral, toute relative, date déjà de deux ou trois ans. Revenons, maintenant que le gros de la tempête semble tombé, sur ce qui a été dit ces derniers mois, et qui peut être rangé dans cinq registres : les registres féministe, moral, sécuritaire, théologique, et enfin, épidémique.

Dans le registre féministe, on aura entendu des déclarations du type « Le niqab (ou burqa ou « voile intégral », puisque dans l’imaginaire ils se confondent) contrevient à la dignité de la femme ; remet en cause le combat féministe ; est signe d’esclavage ; est aussi inacceptable que l’excision ou le mariage forcé ; est imposé par l’entourage ». Les enquêtes que nous menons à l’Observatoire du religieux montrent, au contraire, que le niqab (en France), loin d’être imposé, est plutôt un voile hyper-volontaire, celui du choix assumé, parfois contre l’entourage.

Dans certains cas il s’agit même d’un voile féministe, plutôt arrogant, signe d’émancipation (même si cela peut étonner), qui est presque toujours le signe d’une décision ascétique « remarquable », certes contraignante mais revendiquée. Dans le registre moral, on trouvera « Le niqab est une provocation contre la République ; contre la démocratie ; contre « nos » valeurs ; contre la modernité même ; montrer publiquement son visage est un devoir citoyen, un devoir humain ; ces femmes, dès lors, ne sont plus humaines ». Pourtant ces jeunes femmes, traitées sans procès comme les coupables d’un crime contre la civilisation (rien que cela !), n’ont transgressé aucune loi.

Pour preuve, on a dû penser à en fabriquer une pour l’occasion. Dans le registre sécuritaire, on aura : « Les porteuses de niqab sont fondamentalistes et soutiennent les terroristes ; les simples criminels peuvent d’ailleurs utiliser ce voile comme camouflage ; on doit pouvoir identifier les individus ». Là encore, le sens commun est battu en brèche, puisque le refus de retirer son voile pour s’identifier est rarissime, les musulmanes les plus engagées étant en général les plus respectueuses des lois. Pour preuve, la loi interdisant les signes religieux à l’école a été scrupuleusement obéie par les musulmans, malgré toute l’aigreur ressentie (dont une conséquence est justement la recrudescence du voile dans la rue…).

Par ailleurs, certes le voile intégral symbolise le « désir d’origine », et donc un certain fondamentalisme, par exemple dans la version salafiste, mais nullement un projet destructeur, et encore moins terroriste. Il est arrogant et irresponsable de tout confondre. Si l’on estime que l’on doit circuler à visage découvert dans la rue, alors légiférons ; mais pourquoi discuter de la nature musulmane de ce qui couvre le visage ?

Ce qui nous conduit au registre théologique avec : « Le niqab n’est pas une obligation coranique ; n’est pas religieux ; est purement politique ; Les porteuses de niqab ne sont pas de bonnes musulmanes ; elles interprètent mal les écritures ». Pourrait-on imaginer des membres du gouvernement déclarant que les Clarisses, celles qui choisissent la réclusion totale, interprètent mal les Evangiles, et sont par conséquent de mauvaises chrétiennes.

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Depuis quand l’Etat se fait-il l’interprète des textes religieux et se mêle d’orthodoxie comme si ses représentants étaient imam. Les ministres, qui semblent se prendre pour des ministres du culte entendent-ils aussi diriger la prière du vendredi ? Imaginons la violence faite à ces jeunes femmes qui veulent montrer, à tort ou à raison peu importe, qu’elles peuvent s’imposer des règles de vie difficile, qu’elles sont de meilleures fidèles, ou, effectivement, qu’elles rejettent une certaine société occidentale mercantile, consommatrice et peut-être raciste (mais nullement la démocratie et la République), s’entendre dire sur les ondes par des politiques, des philosophes, des people de tout bord, ce qu’est le vrai islam dont elles seraient la honte.

Le registre épidémique (voire pandémique !), enfin, semble donner la clé de cet emportement collectif : « Le niqab est le produit de la gangrène intégriste qui envahit nos cités ; si on laisse passer « ça » aujourd’hui, demain ce sera « foutu » ». On ne voit pas très bien ce qui serait « foutu » : qu’importe que le voile ait plus de succès demain, ou qu’il disparaisse, le pays ne deviendra pas pour autant une République islamique… à moins qu’une écrasante majorité de citoyens en décident un jour ainsi. Et c’est bien de ce fantasme du renversement de notre « identité », fantasme récurent qui s’alimentent aux vieilles peurs racistes d’être débordé par les ennemis intérieurs « arabo-musulmans » dont il s’agit.

Au début des années 80, lorsque la crise économique devenait une crise de l’emploi l’arabo-musulman fut déjà accusé de voler « nos » allocations familiales et notre travail, tandis qu’éclatait la première affaire du voile… pas encore intégral. Ce n’est pourtant pas le voile, hier comme aujourd’hui, qui met en péril l’identité française, mais la marchandisation, la globalisation de la culture, la financiarisation du monde. Or, la crise financière a été le catalyseur d’une nouvelle crise franco-française face à la globalisation.

Le sentiment de fragilité est devenu si insupportable, et si unanimement ressenti, que ces jeunes filles en noir, dont l’on ne distingue que les yeux, déambulant « fièrement » dans nos rues comme par « provocation », affichant leur désir ostensible de ne pas se mêler à « nous », ont cristallisé l’attention, est sont devenues d’idéales victimes émissaires au sens de René Girard : suffisamment proches, vivant à l’intérieur de notre collectivité (dans nos grandes agglomérations) pour être la source de nos malheurs, mais, en même temps, suffisamment et visiblement lointaines, et considérées comme extérieures (elles portent le voile musulman, et intégral de surcroît !), pour être placées en ligne de mire.

La République a pourtant, justement, été érigée en rempart contre ce genre de réflexe archaïque. Le non-débat public auquel se sont mêlées nos élites, emportées comme un seul homme par un vent de panique et le furieux désir d’en découdre révèle, de façon très préoccupante, la fragilité actuelle de nos institutions et de nos principes face à une montée d’émotion collective ; rendons-nous compte : vouloir faire une loi privative de liberté pour combattre un phénomène microscopique (400 femmes au grand maximum) qui ne fait courir aucun risque social objectif. En tout état de cause, qu’on le veuille ou non, prescrire (comme c’est le cas en Arabie Saoudite) ou interdire (comme le voudrait semble-t-il 80 % des Français) un vêtement spécifique, en raison de sa signification culturelle supposée, mais néanmoins affirmée sans discussion, représente une violation caractérisée des libertés publiques fondamentales.

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