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Rencontre avec la communauté musulmane la plus autochtone de Colombie

Immersion à Buenaventura

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Depuis ma conversion à l’islam en 2005, je voyage autour du monde à la rencontre des musulmans. Après une trentaine de séjours en Afrique, en Asie, en Europe, en Amérique du Nord et dans les Caraïbes, je visite pour la première fois l’Amérique latine, plus précisément la Colombie. Suite à un séjour à Medellin et à Cali, je me rendis à Buenaventura pour y visiter la communauté musulmane locale.

J’entendis le nom de Buenaventura pour la première fois lors d’un reportage télévisé d’une chaîne française. En se focalisant sur la violence, les meurtres et la torture, sur fond de conflits entre gangs et groupes paramilitaires, ce reportage donnait l’image d’une ville inaccessible, figurant en tête des endroits les plus dangereux du monde. J’avais alors imaginé ne jamais pouvoir aller dans un tel endroit, tant cette ville paraissait hostile. Mais Dieu en a décidé autrement et, quelques années plus tard, je me retrouve à Cali, dernière étape avant Buenaventura, afin de prendre un minibus pour le plus grand port colombien de la côte Pacifique. Ce sont des circonstances personnelles douloureuses doublées d’une curiosité pour cette ville atypique, si différente du reste de la Colombie, qui m’ont finalement poussé à entreprendre un tel séjour, au-delà de mes attentes

. Mais mon choix a aussi été motivé par la présence d’une organisation islamique locale, d’ascendance afro-colombienne et donc complètement autochtone, qui gère une mosquée et deux écoles. Après un très bref contact téléphonique, l’imam me dit que j’étais le bienvenu et que je n’avais qu’à l’appeler au moment de mon arrivée.

A Cali, je sentis déjà la tension monter. Dans le bus, je rencontrai avec surprise des jeunes mal habillés, balafrés, entonnant du rap à capella en échange de quelques pièces. Dans les rues, des sans-abris aux membres amputés rappellent la violence qu’a connue le pays ces dernières années. Epris par l’ambiance tant distincte entre les villes parcourues, je pris le minibus qui emprunte la longue route sinueuse et montagneuse vers l’océan Pacifique avec enthousiasme. Après quelques heures de voyage, le minibus s’arrêta brutalement en raison d’une chute de pierres barrant la route.

En attendant sur le côté avec d’autres passagers, je regardai les maisons alentours du hameau, constatant la pauvreté et l’oisiveté des quelques personnes assises devant des maisons en bois en mauvais états, constatant la détresse de ces zones reculées. Finalement, après moins d’une heure, notre minibus redémarra. En approchant de Buenaventura, un contrôle de militaires armés de fusils mitrailleurs donna le ton de la situation sécuritaire de la région.

En arrivant par l’unique route dans la banlieue de la ville, je fus d’abord interpelé par le contraste avec d’autres régions de la Colombie : ici, tout parait plus pauvre, plus triste et plus gris. De plus, la composition ethnique de la ville la distingue d’autres régions colombiennes. Impossible ici pour moi de me fondre dans la population, d’autant plus que peu d’étrangers semblent se risquer à venir ici. Dans une atmosphère tendue, marquée par la méfiance, des bâtiments pleins de moisissure contrastent avec des cabanes précaires.

Au téléphone, l’imam de la mosquée m’avait dit de descendre du bus la sortie d’autoroute du barrio Rockefeller. Je demandai donc au chauffeur de me laisser à cet endroit, dans une rue déserte et miteuse, attendant l’imam avec impatience non sans une certaine appréhension. Rapidement, je reconnus le Sheij Munir au loin accompagné d’un jeune homme de deux mètres, coiffés d’un kufi et portant le chapelet autour du cou. Après des étreintes fraternelles et des salutations chaleureuses, je les accompagnai jusqu’à la mosquée toute proche.

Une rue d’un quartier populaire de Buenaventura (octobre 2016).

Autour d’un thé, Sheij Munir me parla avec entrain de la communauté musulmane de Buenaventura, dont il fut l’un des premiers membres. Il expliqua que l’islam est arrivé dans la ville par le port : des marins afro-américains, membres de la Nation of Islam, entrèrent en contact avec la population locale. Un groupe d’Afro-Colombiens, alors sensibles à la question ethnique et au message de libération des Noirs, ont ainsi adhéré à l’islam.

Dans la modeste mosquée, un grand portrait de Malcolm X rappelle ce lien historique. Sheij Munir poursuivit en m’expliquant que la nouvelle communauté, s’éloignant progressivement des idéaux de la Nation of Islam américaine, se rapprocha du sunnisme. Déçus par l’indifférence des ambassades de pays à majorité sunnite suite à leurs demandes d’aide et d’encadrement, les musulmans de Buenaventura se tournèrent vers l’ambassade iranienne, qui accepta aussitôt de les sponsoriser.

Ainsi, certains musulmans de la ville obtinrent des bourses pour étudier l’islam et l’arabe à Qom en Iran et la communauté s’inscrivit théologiquement dans l’islam chiite, tout en relativisant cette affiliation en rejetant tout sectarisme, insistant sur la fraternité entre tous les musulmans. Devant la mosquée, des dessins ornant les murs faisant tantôt référence au Coran et à son message de fraternité, tantôt à la Palestine et à la solidarité adressée à son peuple, rappellent cette vision.

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Photo prise dans la cour de la mosquée, dans laquelle figure plusieurs effigies palestiniennes. Sur celle-ci figure un texte en espagnol dont la traduction française donne : « Ton silence me blesse. Indigne-toi ! Ce n’est pas une guerre, c’est un massacre d’innocents. »

Sheij Munir, très occupé, s’absenta et chargea Junior, le jeune de deux mètres, de m’accompagner durant mon séjour. En traversant les quartiers sur la route pour le centre-ville, la grisaille, la tristesse et la pauvreté m’interpellèrent. Toutefois, la musique, l’ambiance et la proximité humaine dans le taxi donnaient un ton festif. Avant mon départ pour la Colombie, on m’avait certes prévenu que Buenaventura, aux « airs africains », était différente du reste du pays.

En marchant dans le centre-ville gris, sale et humide, aux alentours du port, j’observai des bars lugubres et vides, devant lesquels attendaient des prostituées fatiguées aux regards aguicheurs. Notre projet était de prendre une petite barque pour nous rendre dans un village isolé, entre l’Océan Pacifique et la jungle. A 16 heures partait la dernière embarcation de la journée : les courants deviennent excessivement forts à partir de ce moment-là, rendant la mer dangereuse. A ma grande surprise, nous fûmes les deux uniques passagers dans la lancha outre les jeunes chargés de la mission difficile du pilotage dans cet Océan déjà trop houleux.

Quelques minutes plus tard, je compris pourquoi personne d’autre ne fit le voyage à cette heure-là. Près d’une heure plus tard, nous arrivions avec soulagement dans un petit village, et le dépaysement fut total. Très loin des images paradisiaques  des cartes postales, le décor miséreux et la plage de sable noir jonchée de détritus donnaient sur une mer sale et agitée, rejetant des troncs d’arbres et divers objets étonnants. Sous la pluie, nous marchions dans la boue, pieds nus, les vêtements trempés, sans trop savoir où aller, recherchant une auberge dans un périmètre de plusieurs kilomètres que nous avait recommandée l’imam. Nous la trouvâmes finalement à la tombée de la nuit…

Après des baignades dans l’Océan très agité et une courte nuit de sommeil dans une petite chambre en bois, mon camarade me réveilla à l’aube pour la prière du Sobh. Il s’était converti à l’islam trois mois auparavant. N’ayant pas d’endroit où aller, il s’installa alors à la mosquée de Buenaventura. Son parcours de vie est saisissant. Il m’a expliqué avoir été abandonné par ses parents, qui auraient quitté le pays. Ces derniers lui avaient dans son enfance tatoué le signe 666 sur son avant-bras, afin de l’éloigner définitivement de Dieu.

Son tatouage impressionnant en témoigne. Laissé pour compte mais en quête de sens et de spiritualité, il commença à fréquenter une Eglise évangélique dans la même ville. Après sa conversion à l’islam, il apprit rapidement à lire le Coran en arabe et observa rapidement les cinq prières quotidiennes avec assiduité. Sans argent, sans travail fixe et sans logement, il ne m’a jamais rien demandé, à aucun moment, et a fait preuve d’un comportement exemplaire tout au long du séjour, y compris dans les moments où nous n’avions plus d’argent suite à des problèmes de change.

Dès notre retour dans la ville de Buenaventura, nous partîmes ensemble visiter une école gérée par Sheij Munir. Cet institut islamique accueille près de 90% d’enfants de confession chrétienne, tous issus de milieux défavorisés. Elle dispense un enseignement scolaire élémentaire à plusieurs classes d’enfants de familles pauvres dans une vocation caritative. Deux écoles ont ainsi été créées par la communauté musulmane et Sheij Munir, qui me fit part de sa recherche de dons pour parrainer les élèves, m’incita à le contacter si je connaissais des personnes prêtes à contribuer. .En ce sens, les projets islamiques de Buenaventura semblent innovateurs et particulièrement intéressants.

Une des deux écoles de la ville gérées par l’association musulmane, dont l’écriteau porte la citation : « (En espérant) qu’arrive le jour où les fusils se transforment en crayons ».
C’est ainsi par son investissement social et caritatif, notamment par le biais de ses écoles, que la communauté musulmane de Buenaventura a acquis une aura dans la ville. Bien que les musulmans y soient fortement minoritaires, soit quelques centaines pour une ville de plus de trois cents mille personnes, ils bénéficient d’un certain respect et d’une reconnaissance des habitants, qui semble tant liée à leur origine locale qu’à leur engagement dans les quartiers et aux valeurs positives qu’ils prônent dans cette ville marquée par la violence et la misère. A plusieurs occasions, certains inconnus nous ont ainsi adressé spontanément le salam dans divers lieux de la ville.

Je garde un souvenir vif des rencontres très riches et intéressantes dans cette ville isolée, qui reste méconnue et difficile d’accès. Particulière du fait de la composition exclusivement autochtone de ses membres, tous convertis ou fils de convertis, la communauté musulmane de Buenaventura se caractérise par son attachement à l’islam malgré son éloignement géographique et culturel du « monde musulman ». J’ai constaté que plusieurs membres maitrisent l’arabe, suite à leurs études en Iran, transmettant leurs connaissances aux nombreux autres qui n’ont jamais eu la chance de voyager…

Baptiste Brodard

PHOTOS SUPPLÉMENTAIRES:

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