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Quand la France se jette dans les bras de l’Oncle Sam

 

Publiée le 10 février dans "Le Monde" et le "Washington Post", la tribune  signée de Barack Obama et François Hollande montre au moins une chose : à défaut de redresser l'économie, les deux chefs d'Etat savent jouer de la mandoline. Le sourire béat, les deux compères, en effet, s'y envoient des brassées de fleurs à bon marché. Inventant un nouveau genre littéraire, l'auto-congratulation partagée, ils se tressent allègrement des couronnes que l'électorat, surtout en France, ne risque pas de leur offrir. 

A la fin de ce texte insipide, véritable filet d'eau tiède qui débite consciencieusement les poncifs de la doxa occidentale, on apprend par exemple que "pendant plus de deux siècles, nos deux peuples ont fait front pour défendre notre liberté commune. A présent, nous assumons, une fois encore, nos responsabilités, non seulement l'un envers l'autre, mais envers un monde qui est plus sûr grâce à la pérennité de notre alliance aujourd'hui réaffirmée". 

Avec 50% des dépenses militaires mondiales et 40% de la consommation d'hydrocarbures, qui peut nier, en effet, que les Etats-Unis d'Amérique oeuvrent à la paix mondiale et au développement durable ? Heureusement, et grâce à la rue de Solférino, ils ne sont plus seuls à apporter la lumière au monde ébahi. Phare de l'humanité, la grande nation au "destin manifeste" sait désormais qu'elle sera fidèlement secondée, pour accomplir cette tâche grandiose, par son nouvel auxiliaire socialiste. 

Usée jusqu'à la corde, la présidence française jette donc la France, à corps perdu, dans les bras de l'oncle Sam. Confondant reconnaissance internationale et alignement atlantiste, elle se livre avec obstination à une surenchère dont l'absurdité le dispute au ridicule. C'est ainsi qu'après avoir joué les matamores contre la Syrie, elle endosse le rôle tragi-comique du redresseur de torts face à l'Iran. Dans les deux cas, elle fait chou blanc. 

En 1966, De Gaulle avait extrait les forces françaises du commandement intégré de l'OTAN pour redonner à la France son indépendance stratégique. Prônant un monde multipolaire, il entendait conjurer les affres de la guerre froide. Le sort du monde était suspendu à l’affrontement entre les blocs, l’Amérique engagée au Vietnam, le Tiers Monde en effervescence. L'affirmation de la souveraineté française visait à desserrer l'étreinte des impérialismes de tous bords : c'était "la France contre les empires".

Adhérant, comme l'huître au rocher, à la politique américaine, la présidence française fournit aujourd'hui, à l'inverse, une preuve éclatante de son renoncement à toute ambition nationale. Parti colonial sous la Quatrième République, le parti socialiste est devenu, sous la Cinquième, celui de la collaboration enthousiaste avec l'hyperpuissance. 

Jetant aux orties l'héritage gaulliste, Nicolas Sarkozy a réintégré les forces françaises dans le commandement intégré : François Hollande, aujourd'hui, s'en félicite ouvertement. Avec Obama, il se réjouit de ce "leading from behind" par lequel les USA, échaudés par les aventures extérieures de l'Administration précédente, sous-traitent les interventions militaires à leurs supplétifs européens. 

Il adhère à une vision du monde en noir et blanc qui, pour être moins agressive que sous George W. Bush, n'en est pas moins manichéenne : Bush faisait torturer les suspects dans des locaux clandestins à l'étranger, Obama les fait liquider par des robots-tueurs. Quant au bagne extra-légal de Guantanamo, il est toujours en service.  

Complices sur toute la ligne, les présidents français et américain, il est vrai, ont beaucoup d'amis communs. Protégée de l'Amérique depuis 1945, la monarchie saoudienne est désormais, pour François Hollande, un "partenaire de référence" au Moyen-Orient. Pressé de signer un juteux contrat de vente d'armes avec Ryiad, il a même loué la "précieuse sagesse" du roi Abdallah. On suppose que Mme Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, partage cet avis. 

Allié indéfectible des USA, Israël bénéficie aussi des faveurs empressées de la présidence française. La colonisation à outrance et la répression en Palestine occupée n'empêchent pas François Hollande de proclamer son soutien sans faille à l'Etat hébreu. A l'instar de son ministre de l'Intérieur, "éternellement lié à Israël", le président français se déclare "l'ami d'Israël pour toujours", promesse qui résonne curieusement au moment où Tel-Aviv se dit prêt à déclencher une nouvelle guerre. 

Un autre épisode illustrant l'obséquiosité française à l'égard de Washington restera dans les mémoires : l'interdiction du survol du territoire national infligé au président bolivien, sous prétexte de la présence possible d'Edward Snowden dans l'avion d'Evo Morales. Alors que la France devrait soutenir ce courageux dirigeant latino-américain décidé à libérer son pays des griffes du capitalisme multinational, le gouvernement socialiste lui a manifesté un mépris qui fait honte à la France. 

Quant à Edward Snowden, il méritait autre chose que la complicité affichée par la présidence française avec une administration américaine qui espionne sans vergogne ses propres alliés. Cette hostilité aura été le seul remerciement que Paris a adressé à ce militant pourchassé pour ses précieuses révélations sur les pratiques totalitaires de la NSA. Entre la défense des droits de l'homme et les services secrets américains, Paris a tranché, avec sa servilité habituelle. 

Dans ces conditions, François Hollande peut bien se rendre aux Etats-Unis pour communier avec Barack Obama dans les valeurs prétendument exemplaires de l'Occident civilisé. Les crimes passés et présents commis par ces deux puissances ne seront pas au menu des festivités. On n'y célèbrera ni les exploits des drones de combat, du Pakistan au Yémen, ni la cohérence d'une politique qui prétend combattre le terrorisme au Sahel tout en l'encourageant en Syrie, ni la connivence avec des pétromonarchies obscurantistes et corrompues.  

Visitant, à Monticello, l'ancienne propriété du troisième président des Etats-Unis, Thomas Jefferson, les deux chefs d'Etat constateront qu'on pouvait jadis se montrer ant
iesclavagiste en paroles tout en soumettant au fouet des centaines d'esclaves. Ils en tireront alors la conclusion qui s'impose : on peut aussi bien, aujourd'hui, déverser des flots de rhétorique lénifiante sur "la liberté, la démocratie et le droit au bonheur", selon la belle formule de la Déclaration d'indépendance attribuée à Jefferson, tout en veillant scrupuleusement, dans le seul intérêt des puissants, au maintien du désordre mondial.  

 

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