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Propos xénophobes sous les yeux de la rédaction du Monde diplomatique

Le 11 juin 2005 a eu lieu l’Assemblée Générale des Amis du Monde diplomatique à la Maison de l’Amérique Latine à Paris au cours de laquelle on a procédé non seulement au vote classique des résolutions, mais aussi à l’élection des 10 futurs membres actifs du Conseil d’Administration des AMD. C’est au titre d’adhérente depuis 4 ans à l’association des Amis du Monde diplomatique que ma candidature a été retenue pour intégrer ce Conseil. Mon élection s’est faite sur la base du CV et de la profession de foi que j’ai envoyés. Faisant acte de présence à l’Assemblée j’ai été, à ma grande surprise, la cible publique de propos xénophobes.

Une dame dans le public est d’abord intervenue pour faire part de son indignation après l’élection d’une femme musulmane voilée ; elle m’a traitée de fasciste et de rétrograde en se basant sur son “expérience avec des jeunes filles de Saint-Denis” que je ne connais pas, puisque étant marocaine et vivant depuis 7 ans à Grenade en Espagne (où je poursuis mes études de doctorat en Traduction), je n’ai jamais eu l’opportunité de vivre dans le pays présumé des droits de l’homme…

L’intervention de cette dame a donné libre cours à une série de réactions xénophobes et haineuses à mon encontre ; plusieurs personnes se sont mises debout (surtout des femmes) en disant que si elles savaient que je portais le voile (il s’agit d’un foulard) elles n’auraient pas voté pour moi.

J’avais pourtant pris soin de mentionner dans ma profession de foi que j’étais de confession musulmane même s’il n’est pas exigé de révéler son appartenance religieuse. Certaines intervenantes m’ont reproché de ne pas avoir ajouter “voilée” dans ma lettre car d’après elles, c’est mon statut. D’autres ont proposé de s’assurer que des mesures soient prises pour que cela ne se reproduisent plus en exigeant par exemple la photo des candidats pour les prochaines élections.

Monsieur Franscechetti, secrétaire général des Amis du Monde diplomatique, dont je salue l’objectivité, est intervenu pour dire que j’avais présenté ma candidature selon les normes établies par l’association, que j’avais été élue et qu’il n’était donc pas question de revenir sur cette décision. Son intervention a permis de calmer un peu les esprits, mais les chuchotements dans l’assemblée n’ont pas cessé.

J’ai eu enfin droit à la parole !

En substance, ma réponse fut la suivante :

” J’ai reçu une éducation laïque, j’ai 28 ans, je vis seule à Grenade où je suis doctorante à la faculté de traduction et d’interprétariat. Et le fait de porter le foulard est un choix personnel.”

J’ai ensuite ajouté ce témoignage fruit de mon éducation et de ma culture :

Au Xème siècle un voyageur espagnol en visite à Bagdad pour poursuivre ses études où il a pu constater qu’aux cercles d’études assistaient : ” non seulement les musulmans de toutes les sectes orthodoxes et hétérodoxes, mais aussi les infidèles, les zoroastriens, les matérialistes, les athées, les juifs, les chrétiens, en un seul mot, les gens de toutes classes religieuses. Chaque secte avait son chef, chargé de défendre les opinions qu’elle professait, et quand un de ces chefs entraient dans la salle tout le monde se mettait debout respectueusement et ils ne reprenaient leurs places que quand celui-ci occupé la sienne. La salle se remplissait rapidement et un des infidèles prenait la parole. Il dit : nous nous sommes réunis aujourd’hui pour discuter, vous, les musulmans, ne nous attaquez pas avec les arguments tirés de votre Livre ou fondés sur l’autorité de Votre Prophète, limitons-nous aux preuves fondées sur la raison humaine. Cette condition fut acceptée à l’unanimité”.*

En lisant ces lignes, où j’évoquais l’universalité des valeurs, l’égalité des êtres de toutes confessions religieuses et idéologiques, on m’a accusé de démagogue. Une dame a suggéré, en me désignant du doigt, de m’exclure.

Tous ces événements se sont déroulés sous les yeux des responsables de la rédaction du journal du Monde diplomatique qui ne sont pas intervenus, à l’exception de Monsieur Ramonet qui a approuvé Mr Franscechetti et demandé de prendre des mesures pour que cela ne se reproduise pas.

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Malgré la gravité de l’incident l’association des Amis du Monde diplomatique et le journal n’en ont pas fait écho sur leurs sites Web et plus d’une semaine après je n’avais toujours pas reçu le moindre message, si ce n’est d’excuse au moins de mise au point de la part des responsables de l’association ou du journal. Le bulletin d’information mensuelle des Amis du Monde Diplomatique envoyé le vendredi 8 juillet 2005 ne fait également aucune mention de l’incident ! Face à ce silence, j’ai pris l’initiative de me défendre moi-même puisque comme me l’a pertinemment fait remarquer Mr Serge Halimi, que j’ai interpellé à la fin de la séance : ‘on n’obtient rien sans lutte !’

Mais à ma grande surprise, l’envoi de mon premier témoignage sur la liste de diffusion interne des Amis du Monde Diplomatique a suscité une levée de bouclier et la liste a été fermée jusqu’à nouvel ordre.

Il me parait très important en évoquant cet incident de souligner également que plusieurs personnes dans le public ont pris ma défense ; une dame m’a dit qu’en dépit de son opposition au port du voile, elle avait voté en ma faveur et qu’elle était favorable à mon élection. Une autre, membre d’une association des droits de l’homme, m’a chaleureusement serré la main. Un agriculteur de Charente avec qui j’ai fait un bout de chemin m’a dit qu’il croyait au dialogue.

Je dois aussi ajouter que durant mon séjour à Paris je n’ai senti aucune hostilité vis-à-vis de ma personne à cause du port du foulard. J’étais toujours traitée avec respect. Je suis respectueuse vis-à-vis de la loi de chaque pays et en France le port du voile n’est interdit que dans les établissements scolaires (je n’ai pas fréquenté ces lieux). Je suis active au sein d’une association laïque à Grenade, dont le président est un Curé et le reste des membres sont des athées, laïcs, catholiques, etc. Nous croyons à l’universalité des valeurs, indépendamment du choix religieux ou non religieux de chaque personne. Je me permets d’ajouter que mon sujet de thèse porte justement sur l’interculturalité.

Je publie ce message et j’invite ceux qui le souhaitent à le diffuser car tout acte xénophobe sur la base d’une quelconque différence de couleur de peau, de convictions religieuses, de présumée appartenance ‘ethnique’ etc… (la liste est extensible) doit être condamné fermement, en particulier lorsqu’il se déroule dans un lieu censé être à l’avant-garde de la lutte contre les discriminations de tout ordre.

Il est infiniment regrettable qu’au sein d’une rédaction dont le slogan est “Un autre monde est possible”, aucun responsable n’ait énergiquement réagi face à cet incident pour veiller à ce que de tels propos et accusations manifestement discriminatoires ne se reproduisent plus.

 

* Vernet, Juan. 1999. Lo que Europa debe al Islam de España. Barcelona : El acantilado. 24 – 25

 

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