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Pour une union sacrée

Qu’il semble loin le temps où le Prophète Mohammed avait pris pour épouse Safya, la fille d’un des rabbins de Médine, où Maimonide était le médecin particulier de Saladin, où encore l’émir Abdel-Kader avait mis sa parole et son prestige en jeu pour sauver la communauté chrétienne de Damas. La régression aujourd’hui est patente. Les ricanements de l’obscurantisme nous assourdissent. En Occident, la philosophie et le christianisme se sont transmués en capitalisme, tandis que le monde musulman, lui, a bien cessé de se déployer comme monde justement. Ainsi, parmi les vingt-deux nations qui composent la Ligue Arabe, on ne compte pas une seule démocratie digne de ce nom. En 2002, l’ensemble des pays arabophones a publié moins de livres que l’Espagne. Il est stupéfiant que les revenus astronomiques des hydrocarbures n’arrivent toujours pas à contribuer à juguler des taux de chômage records, ni des crises du logement, encore moins à réduire les dettes publiques. Enfin, que dire de la dernière mascarade électorale en Egypte, pourtant parmiles premiers alliés arabes de l’administration Bush si zélée dans l’avènement démocratique au Proche-Orient ?

Il y a bien un dérèglement entre deux perceptions. Comme tend à le prouver l’actualité, l’intolérance et le fanatisme ne divisent pas pour régner. Les attaques orchestrées pour terroriser des populations civiles aux quatre coins du monde sont le fruit de l’interprétation fallacieuse d’une loi, qui croit se penser comme une réponse à l’impérialisme sans cesse renaissant de l’Occident. Il convient pourtant de s’arrêter à une interrogation qui nous renverrait presque à La guerre du Péloponèse : la violence est-elle capable d’exprimer ce qui échappe au langage politique ? Ainsi les jugements partiels, disons d’un New Yorkais ou d’un Baghdadi, sont-ils cruellement vrais aussitôt qu’ils sont perçus à travers le prisme du vécu. Cette expérience transparaît trop souvent sous la forme d’un sentiment d’impuissance face à une situation que plus personne ne semble maîtriser. Nous sommes désormais confrontés à une instrumentalisation de l’islam qui nous tient aux antichambres de la mort, dont l’Occident a longtemps été l’architecte indélicat.

Que ressortit-il de ces Lumières qui aveuglent mais n’éclairent plus, de la sagesse de la tradition prophétique détournée en barbarie ? Dans un concert de voix presque parfait, il n’est pas un jour sans que les experts-minute, dans la presse française ou anglo-saxonne, désignent du doigt leurs compatriotes musulmans parfaitement intégrés, sans qu’ils parviennent un jour au bout de leur intégration. Ce sont, paraît-il, des esprits faibles qui se laissent séduire par la longueur d’une barbe ou la dignité des gesticulations de tel ou tel imam. Ces pauvres musulmans en mal d’intégration donneraient presque à voir une France qui cesse progressivement de croire en sa propre image composite et inter-confessionnelle. On se convainc dès lors d’avoir mis à plat le problème de la violence terroriste. On oublie quand même que ce fascisme religieux n’est pas seulement pétri d’interdits et de violence, mais qu’il est aussi une transfiguration. Comme moment historique, cette transfiguration concilie une corruption de l’islam à un degré de dégénérescence d’un capitalisme arrivé à son stade ultime, orthodoxe et brutal.

Pourtant ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est la possibilité d’appréhender les savoirs et les expériences, au lieu d’en rester à une vision éclatée qui, au bout du compte, nous ramène à un trucage idéologique entre deux extrêmes. Il est clair que le différend entre l’islam et la sphère culturelle judéo-chrétienne, et avec lui même, possède un contenu moins spirituel que politique. C’est par là même que la religion entre dans l’histoire. On passe de l’Idée à l’évènement. L’homme qui se fait exploser dans une rame de métro ou dans un restaurant espère sans doute accéder au paradis, mais il désire avant tout changer la donne sur le terrain. La grille de lecture du terrorisme issu de l’intégrisme musulman se mesure d’abord à un quotidien devenu une sur-valorisation caricaturale de l’oppression et la violence quasi permanentes (les villes musulmanes martyrisées, les régimes autoritaires et corrompus dans le monde arabe, l’islamophobie en Europe, etc.).

Il nous donc faut savoir que le danger vient autant du terrorisme que de nous à travers lui. La culture de la violence dans le monde musulman n’est pas moins singulière que les carnages au Rwanda, en Tchétchénie, ou l’invasion illégale et politiquement superfétatoire d’un pays par les Etats-Unis. Pour autant, chaque fois que nous gardons le silence sur les atrocités commises au nom de notre religion, nous ne faisons qu’attiser la haine dans les deux camps en même temps. En fin de compte, dans l’islam c’est avant tout l’individu qui doit être moral et ce devoir passe par une prise de parole.

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Outre les questions de foi ou d’éthique, il se trouve que le conflit entre citoyenneté et transnationalisme (avatar du fait postcolonial et de la mondialisation) mène individus et idéologies à faire cause commune. Militer en faveur d’une vérité, aussi ténue soit-elle, peut parfois déboucher sur une conduite de fuite. A partir d’une réalité d’exclusion sociale, de stigmatisation ethnique, ou d’aliénation sur la base d’une pratique religieuse, l’individu finit par se construire un exutoire fanstamatique. On a pu le constater par exemple à travers la mise en scène de la violence dans les territoires occupés palestiniens en pleines cours de récréation dans des écoles parisiennes ou dans certains quartiers de banlieue. On rejoue l’hystérie internationale comme une sorte d’aveu d’impuissance locale. Mais il s’agit de l’impuissance de qui à vrai dire ? La France, devenue première terre diasporique juive et musulmane en Europe, n’est-elle pas en passe de rater le tournant interculturel ?

Alors que la réalité diasporique appelle une responsabilité supplémentaire chez celui qui jongle avec plusieurs identités, les réponses officielles (politiques, médiatiques, institutionnelles) inclinent à violenter le sujet, à le prendre à rebours. On s’entend dire alors, que le repli communautaire est voulu, non pas subi. Le stigmate de l’échec scolaire ou de l’insertion professionnelle est dû à un refus d’assumer ses devoirs de citoyen, plutôt qu’à une égalité des chances défaillante. Pourtant, même à travers ces exemples trop connus, on en reste à un débat qui porte sur ce que les Africains Américains, déjà dans les années 1980, appelaient victimology. La stratégie d’irresponsabilité est claire et elle affecte ceux qui n’ont pas encore écrit leur histoire. Selon cette espèce d’asymétrie, née de la question de comment être français et musulman aujourd’hui, un esprit de résistance devrait nous amener à nous rapprocher les uns des autres, pour arriver dans un premier temps à soulager les inquiétudes communes, et ensuite à briser une fois pour toutes les hiérarchies mentales, celles en particulier héritées de l’orientalisme et du colonialisme.

Si le dialogue et la médiation doivent être compris, il faut qu’ils soient vivants, c’est-à-dire qu’il y ait un engagement concret, non pas dans une sorte d’assistanat, mais d’individu à individu ou bien par l’entremise d’associations citoyennes. Ce qui doit nous travailler, entre juifs et musulmans, c’est un désir d’unité parce que cette dernière réclame une réconciliation. Mais le rapprochement, son choix véritable, n’exclut pas la distinction, il l’intronise plutôt, au nom de la mémoire et du commandement divin. Il nous faut déroger à la règle de la haine de famille (entre sémites), tout comme à une célébration de l’intégrisme républicain qui, dans son discours prétendument objectif et rationnel, invente une modalité barbare qui commence par le dressage de ses enfants. Tandis que la France se récite ses principes fondateurs telle une incantation identitaire, juifs et musulmans doivent saisir l’occasion pour ré-établir la Cité, transformer le face-à-face en acte de présence. N’avons-nous pas d’autre alternative que de bâtir à partir de la nuit de nos histoires respectives, sans répétition ni imposture ?

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