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Pensée de Malek Bennabi: “les dernières années”

Entre 1964 et 1968, Bennabi publie une grande quantité d’articles dans l’hebdomadaire « Révolution africaine ». Il forme avec le Dr Khaldi un pôle qui fait front à l’autre pôle, d’inspiration marxiste. Il est conscient que l’Algérie est en train de s’engager dans une fausse direction et tente de mettre en garde les élites politiques et intellectuelles contre le « risque de se laisser entraîner dans les idéologies modernes (le marxisme) juste au moment où elles consomment leur faillite en Occident ».

Il consacre aux questions idéologiques et politiques une série d’articles : « Sociologie de l’indépendance » (26-09-1964), « Politique et sagesse populaire » (18-09-65), « Politique et Boulitique » (25-09-65), «Politique et idéologie » (09-10-65),« Politique et culture » (16-10-65), « Changer l’homme » (14-05-67)… Les questions de développement et d’édification constituent des sujets récurrents dans ses interventions. Il les aborde en particulier dans « Les conditions d’une dynamique sociale » (28-05-67), « Travail et investissement » (04-06-67), « Les idées et l’édification sociale » (11-06-67), « Economie de subsistance et économie de développement » (20-12-67), « Le facteur démographique et le sous-développement » (27-12-67), « Acheter ou faire ? » (14-02-68), « Planification et micro-planification » (20-03-68)…

Les évènements internationaux le tiennent en haleine : conflit israélo-arabe, causes palestinienne et vietnamienne, mouvements de décolonisation en Afrique… Il est sur tous les fronts. Il consacre des articles à des figures emblématiques de l’époque : Castro (« Morale et révolution », 13-03-68), Che Guevara (23-10-67), Mossadegh (« Le testament de Mossadegh », 02-04-67)… Après l’agression israélienne contre les pays arabes de juin 1967, il veut attirer l’attention des dirigeants arabes sur les causes « civilisationnelles » de la débâcle et propose la mise en chantier d’un marché commun arabe et d’une union politique et économique des Etats du Maghreb. Il consacre à la défaite arabe de juin 1967 plusieurs articles : « Le prix de l’union arabe » (18-06-67), « Le moment du flash » (25-06-67), « Le moment de réflexion » (02-07-67), « Le pétrole round » (09-07-67), « L’ONU condamne le peuple palestinien » (23-07-67)… Deux semaines avant la guerre de juin 1967, il envoya un télégramme à l’ambassadeur d’Egypte à Alger pour l’informer qu’il se met à la disposition de l’Egypte comme volontaire.

Le 21 juillet 1967 il termine la rédaction du tome 2 de ses Mémoires (« L’Etudiant ») en français. En août, il rédige un article, « Retour aux sources » qui est censuré. En septembre, il se rend à Moscou pour le cinquantenaire de la révolution d’octobre. C’est Chérif Belkacem que l’a désigné en qualité d’écrivain. Il assiste au Bolchoï à la représentation d’ « Esmeralda ». Il passe trois semaines en Union soviétique. En décembre, il est invité à donner des conférences en Allemagne et en Angleterre.

De retour au pays il envoie une lettre au responsable du Parti FLN, Kaïd Ahmed, où on peut lire ces lignes provocatrices : « En principe, en tant que simple intellectuel, je ne suis ni contre ni pour l’idée du parti unique. Je suis un pragmatiste. Mais quand mon pays adopte une formule, en tant que citoyen discipliné, je la respecte. Je la respecte tant qu’elle gardera sa respectabilité. Mais si honnêtement je me demande si l’Algérie est un pays à parti unique, j’hésiterais à répondre… De même que j’ai l’impression qu’avec le pouvoir officiel, il existe un pouvoir parallèle qui neutralise le premier et utilise parfois ses sceaux et sa signature comme je l’indique dans ma seconde lettre à Si Boumediene ».

1er février 1968, il est reçu en audience privée par le président Boumediene. Le 16, il reçoit une citation à comparaître pour le 22 devant la chambre administrative de la Cour d’Alger, à la requête d’un ressortissant français agissant en qualité de séquestre judiciaire d’une compagnie d’assurances domiciliée à Paris. La procédure vise à l’expulser de son logement.

Voici donc Bennabi avec « un caillou dans la chaussure » depuis plus d’un an et contraint de jouer le rôle d’un avocat dans un procès kafkaïen. En sus du tribunal, il saisit le président de la République. Dans le double de la lettre nous pouvons lire : « L’autre jour, dans votre discours au Club des Pins, vous avez parlé des harkis que le colonialisme a laissés dans la place en se retirant. Vous avez fait allusion aussi au travail de sape de ces harkis contre la vie nationale dans tous les domaines. Permettez-moi d’ajouter seulement deux précisions que mon expérience personnelle m’a permis d’acquérir depuis mon retour en Algérie. Ces harkis ne représentent pas simplement un ensemble d’individus répartis dans le pays ou dans l’Etat d’une façon fortuite, mais représentent au contraire un système parfaitement encadré par une pensée supérieure étrangère qui l’utilise dans des tâches minutieusement planifiées. Ils constituent en fait, grâce à cette pensée directrice, un véritable pouvoir parallèle dans le pays. Naturellement, je ne suis pas renseigné sur le travail de ce pouvoir parallèle dans tous les domaines de la vie nationale. Mais je suis certainement le mieux renseigné sur sa technique dans le domaine du travail intellectuel dans lequel se situe précisément mon activité personnelle… »

Cette lettre d’un intellectuel placé dans des conditions psychologiques propres à faire perdre la raison se termine sur ces lignes : « Monsieur le Président, en vous adressant ce mot, ce n’est pas un problème personnel que j’expose, mais un cas d’intérêt général qui peut intéresser même, j’en suis convaincu, la sécurité de l’Etat. Car il est évident que le système auquel je fais face n’est pas dans le pays pour s’occuper de moi seulement… » Qu’est-il arrivé après ces démarches ? Rien.

« Islam et démocratie » : Confronté au problème de l’édification de l’Algérie et devant les tentatives de l’aliéner au marxisme et au baâthisme, il édite en 1968 « Islam et démocratie ». Dans ce texte, il commence par proposer une définition de chacun des deux concepts : l’islam,
c’est la foi en Dieu, la pratique de la prière, le versement de la Zakat et l’accomplissement du jeûne et du pèlerinage ; c’est donc un ensemble de devoirs. La démocratie c’est, étymologiquement, le pouvoir du peuple ; elle désigne un ensemble de droits. Elargissant la définition de cette dernière, il y voit un sentiment envers soi, un sentiment envers autrui et un ensemble de conditions sociales et politiques nécessaires pour la formation et l’épanouissement de pareils sentiments chez l’individu et écrit : « La démocratie ne peut se réaliser en tant que fait politique – pouvoir du peuple – si elle n’est pas d’abord imprimée dans l’individu, si elle n’est pas imprimée dans son « moi », dans les structures de sa personnalité, si elle n’existe pas dans la société comme un ensemble de conventions, d’habitudes, d’usages, de traditions ». Il en découle une conséquence : « Le sentiment démocratique n’est pas inhérent à n’importe quelles conditions morales et sociales… C’est l’aboutissement d’une culture, le couronnement d’un humanisme, c’est-à-dire d’une certaine évaluation de l’homme à son échelle personnelle et à l’échelle des autres ».

Dans l’histoire de l’Occident, explique-t-il, la formation de ce sentiment a suivi un lent cheminement, passant de la Grèce à Rome, puis a été porté par la Réforme et la Renaissance avant d’aboutir à la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » en France : « Le sentiment démocratique en Europe fut l’aboutissement normal d’un double courant culturel, le résultat d’une libération de l’esprit par la Réforme et de la raison et du goût par la Renaissance ».

Mais, indépendamment de son histoire dans le contexte européen, le sentiment démocratique a une réalité intrinsèque que Bennabi traduit comme à son habitude en termes de psychologie et de sociologie. Il le définit comme « une certaine limite psychologique au-dessous de laquelle apparaît le sentiment de l’esclave, et au-dessus de laquelle apparaît le sentiment du despote. L’homme libre, le citoyen d’une démocratie, est une affirmation entre ces deux négations. C’est cela la réalité intrinsèque à laquelle on peut référer n’importe quel processus de démocratisation. Elle s’insère entre deux réalités qui la bordent et constituent en quelque sorte ses « négatifs », c’est-à-dire la négation du « moi » chez l’esclave, et la négation de « l’autre » chez le despote ». Par voie de conséquence, un processus de démocratisation doit d’abord éliminer par des moyens éducatifs ces tendances antidémocratiques. Puis il passe à l’examen de l’islam et se demande s’il contient les trois éléments du problème : « Autrement dit, on doit se demander s’il peut augmenter le sentiment envers soi et envers les autres, compatible avec le fondement de la démocratie dans la psychologie de l’individu, et s’il peut créer les conditions sociales générales favorables au maintien et au développement du sentiment démocratique ainsi qu’à son efficacité… Avant de répondre à la question – l’islam produit-il le sentiment démocratique ?- il y a lieu de se demander d’abord s’il réduit effectivement la somme et la portée des sentiments négatifs qui se manifestent chez le despote et chez l’esclave ». Pour lui, c’est le Coran qui « donne à l’homme une valeur qui transcende toute valeur politique et sociale. C’est Dieu lui-même qui lui accorde cette valeur: « Nous avons honoré l’homme » … La conception démocratique islamique voit en l’homme la présence de Dieu, les autres conceptions voient en lui la présence de l’humanité et de la société. On a d’un côté un type démocratique sacral, de l’autre un type laïque ».

Bennabi cite un autre verset qui joue le rôle de « garde-fou » contre le despotisme : «Nous réservons la demeure éternelle à ceux qui ne se laissent pas tenter par l’esprit de domination ». Revenant aux faits de l’histoire, il reconnaît que « l’entreprise de démocratisation mise en marche par l’islam aura duré environ une quarantaine d’années ». Pourtant, le Coran était riche de dispositions garantissant la liberté de conscience, la liberté de déplacement, la liberté d’expression, l’inviolabilité du domicile… En conclusion, Bennabi note : « Il y a lieu de considérer toute entreprise de démocratisation et surtout son origine comme une entreprise d’éducation à l’échelle d’une population entière et sur un plan général : psychologique, moral, social et politique… La démocratisation n’est pas une simple transmission des pouvoirs entre deux parties, un roi et un peuple par exemple, mais la formation de sentiments, de réflexes, de critères qui constituent les fondements d’une démocratie dans la conscience d’un peuple, dans ses traditions. Une constitution démocratique n’est l’expression authentique d’une démocratie que dans la mesure où l’entreprise de démocratisation l’a précédée. On peut saisir par là le caractère superficiel de ces emprunts constitutionnels qui se font de nos jours par ces pays jeunes voulant édifier un ordre nouveau, à des pays d’ancienne tradition démocratique. Ces emprunts sont peut-être nécessaires, mais ils ne sont certainement pas suffisants s’ils ne sont pas accompagnés des mesures propres à les infuser dans la psychologie du peuple qui les emprunte ».

« L’œuvre des orientalistes et son influence sur la pensée musulmane moderne» : l’idée de rédiger cette étude est venue à Bennabi quand il a appris que lors d’un congrès des travailleurs algériens à Paris où sa brochure « Islam et démocratie » avait été distribuée, on avait invité l’écrivaine allemande Sigrid Hunke à présenter son livre qui venait d’être traduit en français, « Le soleil d’Allah brille sur l’Occident » pour, dit-il, « transporter l’assistance des problèmes cruciaux du présent aux splendeurs et aux fastes du passé ». Il y voit un épisode de la lutte idéologique. Dans cette étude il commence par distinguer les orientalistes en anciens et en modernes et apologétistes et contempteurs de la civilisation musulmane, pour déclarer ne s’intéresser qu’aux apologétistes qui exercent une influence sur la pensée musulmane
moderne et tendent à l’anesthésier. Pour lui, ce travail d’apologie correspond aux finalités poursuivies par la lutte idéologique. Il rend hommage à Sedillot, Gustave Le Bon et Asin Palacios, critique Maxime Rodinson et conclut sur la nécessité pour le monde musulman de retrouver son indépendance dans le domaine des idées comme dans le domaine économique et politique.

En avril 1968, il se rend avec le Dr Khaldi à Bou Saâda où ils se recueillent sur la tombe du célèbre peintre converti à l’islam, Etienne Dinet. En mai, il se rend à Ghardaïa pour des conférences. Il rentre à Alger fatigué et déprimé et confie à ses Carnets en date du 10 août : « J’attends depuis 32 ans – depuis juin 1936 – une éclaircie dans ma vie. Jusqu’en 1939, j’ai attendu l’éclaircie de la guerre. La guerre est venue et elle est partie avec mes espoirs. Et le brouillard s’est épaissi à mon horizon. J’ai cru qu’en me lançant comme écrivain avec « Le phénomène coranique », je parviendrai à le dissiper, mais le brouillard s’est au contraire épaissi davantage. La Révolution est venue pour moi comme un signe de délivrance. Elle a emporté dans son tourbillon mes illusions et les espérances du peuple. Elle a débouché sur une indépendance plus désespérante que l’ère coloniale… Et dans ce tableau noir, mon problème personnel est le plus sombre car j’ai le plus à payer au colonialisme, au sionisme, aux traîtres que je démasque. Où est la solution ? Elle n’est plus dans une nouvelle guerre mondiale, dans une nouvelle révolution, dans une nouvelle « hidjra ». Car j’ai vu tout cela, je l’ai vécu sans trouver de solution à mon problème ».

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De fin août à fin septembre 1968, il passe un mois en montagne en Kabylie chez un disciple puis se rend en Egypte où il a été invité par l’université d’al-Azhar à un colloque sur le « djihad ». Il présente un exposé et accorde des interviews à la télévision et à la radio égyptiennes. Pendant le mois de ramadhan, il anime une dizaine de conférences dans des établissements scolaires et religieux en Algérie. Il propose aux autorités que soit organisé chaque année en Algérie un séminaire international sur la pensée islamique. L’idée est retenue et la première édition de ce séminaire se tient en décembre 1968 au Lycée Amara Rachid à Alger.

En janvier 1969, il achève la traduction en arabe de « L’œuvre des orientalistes » en vue du congrès des écrivains maghrébins qui doit se tenir à Tripoli (Libye). En février, il se rend à Khartoum où il a été invité à un congrès de oulamas. Il donne cinq conférences et est reçu par le chef de l’Etat. C’est au cours de ce voyage qu’il fait la connaissance des éditeurs de « Dar-al-fikr » de Damas à qui il va confier l’édition de ses livres en arabe. De retour à Alger, il donne le 7 mars une conférence à la salle des Actes sur « L’influence des orientalistes ». Le 27 mai 1969, la mosquée de l’Université d’Alger est inaugurée en présence de Bennabi. Il donne des conférences à l’Ecole Nationale d’Administration et à l’Ecole Normale Supérieure. Le 1er juillet, il note dans ses Carnets en suivant les informations relatives à l’alunissage d’Apollo 10 : «L’évènement a sa signification pour chaque catégorie de gens. Il en a une pour moi : au moment où des hommes attendent sur terre leur salut du ciel, ce sont d’autres hommes qui montent au ciel. » Le 12 novembre, il note : « Il est 23h je viens de terminer avec l’aide de Dieu la traduction du 2° volume des « Mémoires d’un témoin du siècle : l’Etudiant ».

En février 1970, il est au Caire pour participer à un congrès islamique. Nasser vient le saluer et lui déclare qu’il a lu tous ses livres. En mai, Khaldi et lui sont désignés par le gouvernement pour représenter l’Algérie à la conférence mondiale des chrétiens pour la Palestine qui se tient à Beyrouth. Il note en date du 05 mai : « J’ai le sentiment que la conscience chrétienne inaugure une étape nouvelle dans son histoire terrestre… La conférence a été marquée par des interventions bouleversantes, notamment celles de Georges Montaron et de l’abbé Pierre. » Cette même année, la mosquée d’Alger entreprend la réédition en polycopiés de ses principaux ouvrages : « Le phénomène coranique », « Les conditions de la renaissance », « Vocation de l’islam » et « Idée d’un Commonwealth islamique ».

Elle lance également un périodique, « Que sais-je de l’islam ? », dans lequel Bennabi publie à chaque parution un ou plusieurs articles. Le premier numéro de cette revue de fortune semi clandestine sort en février 1970. Il y signe l’Avant-propos ainsi que deux articles : « Que sais-je de l’islam ? » où il cite la fameuse phrase du général de Gaulle (« On voit que tout se tient dans l’univers islamique, et que le problème des problèmes est le destin de l’islam »), et « L’islam, facteur de libération et de désaliénation de l’esprit humain ». Le deuxième numéro sort en avril 1970 ; il y signe « L’islam et le mythe du XX° siècle ». Le troisième numéro sort en mai 1970 ; il y signe un hommage «A la mémoire de Ben Badis ». Le quatrième numéro sort en octobre 1970 ; il y signe « Al-Azhar et la lutte idéologique ». Le cinquième numéro sort en novembre 1970 ; il y signe « Le musulman et le problème de l’homme ». Le sixième numéro sort en décembre 1973 ; il y signe l’éditorial (sur le ramadhan). Le septième numéro sort en juin 1972 ; il y signe « Spiritualité et socio-économie ». Le huitième numéro sort en mai 1973 ; il y signe l’éditorial (« La promesse de l’islam ») et « Inadéquation du musulman et son adéquation nécessaire dans le monde moderne», ainsi qu’un commentaire d’une citation d’Abou Bakr Essedik. Le neuvième numéro sort en juin 1973 ; il y signe « Le livre conservé », dans lequel il condamne l’agression par les étudiants marxistes de la mosquée de l’Université d’Alger au cours de laquelle des exemplaires du Coran ont été brûlés. Le dixième numéro sort en octobre 1973, il y signe son dernier article, « Le droit du pauvre».

En juin 1970, il est invit&ea
cute; en Libye pour une série de conférences. Il est longuement reçu par Kadhafi. Il remet au leader libyen un ensemble de documents composé d’un « Historique » (de la Libye), de « Le Pétrole et la base de Wheelus », de « L’exemplarité », de « Vigilance nécessaire » et d’une « Conclusion ». Dans le texte intitulé « L’exemplarité », on peut lire : « Dans les pays arabes, le politique parle le langage du diplomate : il évite de dire la vérité ou bien il l’enrobe. Or, si on définissait par antithèse la diplomatie, par rapport à la politique, on dirait de la première que c’est l’art de dire ce qui endort la conscience, tandis que la seconde consiste à dire ce qui la réveille ». Il appelle cette attitude qui a conduit maint pays arabe à la débâcle le « complexe diplomatique ». Il faut savoir que Kadhafi avait un très grand respect pour Bennabi et qu’il sollicitait fréquemment ses analyses. Il l’a aidé autant de son vivant qu’après sa mort, entourant sa veuve et ses filles de toutes les prévenances. Deux autres libyens, des disciples, ont également aidé Bennabi de son vivant : Mohamed Dakhil et Mohamed Haouissa. Bennabi vouait pour sa part à Kadhafi une grande affection et voyait en lui un espoir pour le monde arabo-musulman. En septembre, il est nommé par Nasser membre de l’Institut des Etudes Islamiques du Caire.

« Le problème des idées dans la société musulmane » : A la demande du Dr Ammar Talbi, Bennabi reprend la rédaction du « Problème des idées » interrompue en janvier 1960 au Caire. Le 04 octobre, il termine le premier chapitre, le 14 il en est au quatrième, le 22 novembre, il peut noter dans ses Carnets : « Il est 20h30. Je viens d’écrire la dernière ligne de ce livre ».

En décembre 1970 il se rend en Libye avec le ministre Chérif Belkacem. En mars, il est au Caire. Il donne des conférences et y reste pendant plus d’un mois. De là, il se rend à Tripoli où l’a demandé Kadhafi qu’il rencontre plusieurs fois et à qui il remet un nouveau travail sur « La mission de l’islam dans le monde ». Fin mai, il s’envole pour Beyrouth et passe quelques semaines chez Omar Meskawi. Il lui établit une procuration l’habilitant à publier ses livres en arabe. C’est là qu’il rédige « la crise culturelle », nouveau chapitre annexé au « Problème de la culture », ainsi que la préface à la deuxième édition. Il retourne au Caire où il va passer un autre mois pour superviser l’édition du « Problème des idées dans la société musulmane ».

Cela fait maintenant quatre mois qu’il a quitté Alger. Le livre sort le 10 juillet. Il en offre le premier exemplaire à Amin Mançour, rédacteur en chef de « Akhbar al-youm ». Le même jour, il donne une conférence au foyer des étudiants malaisiens. Il rentre en Libye le 16 juillet où il est reçu par Kadhafi.
Le 15 septembre, il prend l’avion pour les Etats-Unis. Il atterrit à Chicago où l’attendent les étudiants qui l’ont invité. Il donne quelques conférences dans cet Etat puis poursuit son périple à Detroit, Michigan, Madison, Los Angeles, New Orleans, Bâton Rouge, Washington, Philadelphie… Rentré en Algérie début novembre, il donne une conférence à Constantine sur « Le rôle du musulman dans le dernier tiers du XX° siècle ». Le 1er janvier 1972, il adresse une lettre au président Boumediene dans laquelle il lui rapporte les faits suivants : le 22 décembre précédent, il s’est rendu à l’aéroport pour prendre un vol à destination de Djeddah où l’avait invité l’Université Abdelaziz pour des conférences, et accomplir le pèlerinage, accompagné de son épouse et de sa fille Rahma. Ayant souscrit à toutes les formalités et après même que ses bagages eurent été embarqués dans l’avion, voilà qu’un élément de la police vient lui signifier qu’il n’est pas autorisé à quitter le territoire national. Bennabi retourne à son domicile avec sa famille et essaye de s’informer sur les raisons de cette mesure qui le privait de l’exercice d’un droit religieux (le pèlerinage) ainsi que de ses activités intellectuelles. Il dit dans sa lettre au président qu’il est obligé d’interpréter cette interdiction comme « un placement en résidence surveillée ». Le 21 janvier, il est enfin autorisé à prendre l’avion pour l’Arabie saoudite. Il accomplit son troisième pèlerinage après ceux de 1954 et de 1961, et donne une série de conférences à Djeddah, à la Mecque, à Médine et à Riyad.

« Le musulman dans le monde de l’économie » : Il est avec sa femme et sa fille à Beyrouth quand, dans une note du 07 mars, il écrit : « L’idée d’un nouveau livre, « Le musulman dans l’univers économique », m’est venue à la suite de mes conférences sur l’économie à l’Université du roi Abdelaziz Ibn Séoud à Djeddah ». Il se met aussitôt à l’ouvrage et en termine la première partie ; le 17, il achève la deuxième ; le 19, il se rend à Damas ; le 26, il est au Liban où il reçoit le télégramme annonçant la mort de Khaldi (il accuse sévèrement le coup et, de ce jour, rapporte sa famille, il n’a plus regardé la télévision jusqu’à sa mort). Il donne une dizaine de conférences. Le 10 avril, il retourne à Beyrouth, puis revient à Damas une nouvelle fois pour d’autres conférences dans les universités syriennes. Cela fait trois mois qu’il a quitté l’Algérie. Le 18 mai 1972, paraît en arabe à Beyrouth « Le musulman dans le monde de l’économie ». C’est un condensé des vues économiques qu’il a développées dans ses livres et articles. La version française sortira en 1996 avec une préface de l’auteur de ces lignes. Il se compose d’une Introduction datée du 07 mars 1972, de trois parties (Fondements des relations économiques actuelles dans le monde, Cartes de répartition des potentialités dans le monde et Les conditions de démarrage) et d’une conclusion.

Le 7 mars 1973, un peu avant 18h 00, Bennabi et sa femme sont agressés par leurs voisins du dessous devant la porte de leur immeuble, avenue Roosevelt. Trois hommes et deux femmes le battent sur le trottoir jusqu’à ce qu’il tombe par terre. Il est roué de coups ainsi que sa femme. Son burnous blanc lui est arraché et ses lunettes brisées. Début mai 1973, il part en tournée de con
férences à Batna et Biskra. Le 17 juin, il rédige les célèbres lignes : « Je salue ma fin. De plus en plus, cette année qui marque la 69° boucle de mon âge, je me surprends à éprouver comme un sentiment de soulagement. Je suis comme l’homme chargé d’un lourd fardeau pour lequel il remercie le Ciel de lui avoir permis de le porter aussi loin et aussi longtemps, mais qui attend tout de même le moment de le déposer. Ma vie a été très lourde à porter. Et près de ma soixante-dixième année, j’en entrevois la fin avec soulagement».

Le lendemain il reçoit une citation à comparaître devant le tribunal correctionnel. Sa femme est accusée de « tentative de meurtre » sur la voisine qui l’avait agressée un mois plus tôt. Le 27, il est à Oran, pour une conférence. Le 06 juin, il est de nouveau à Batna pour des conférences, puis se dirige sur Laghouat où il doit donner trois conférences et inaugurer le « Nadi Taraqui ». Rentré chez lui le 14 juillet, il note dans ses Carnets : « C’est en arrivant chez moi que je pris conscience seulement de mon état de santé alarmant, surtout grâce aux angoisses que mon état de santé donnait à ma femme qui n’eût de cesse avant que le docteur ne vint la rassurer un petit peu. » Ce sont les dernières lignes du dernier carnet de Bennabi ; un carnet de couleur bleue, portant le numéro 19. L’arrêt est brusque, abrupt, sans préavis. Son auteur, affaibli et malade, n’y mettra plus un mot et le carnet restera éternellement vide pour la partie non utilisée.  

Source: Le Soir d'Algérie, publié sur Oumma.com avec l'autorisation de l'auteur 

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