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Musulmans en “terre infidèle” ?

Prendre la mesure du fait musulman en France, c’est d’abord repousser deux options excessives : celle qui ferait des musulmans des infidèles à la République ; et son opposé, qui ferait des musulmans des infidèles… à l’islam.

La première idée est assenée par l’islamophobie depuis plus de quinze ans. Le journaliste Daniel Schneidermann, producteur de Arrêt sur images sur la 5 a parlé de “matraquage sémantique”, dans une émission intitulée “Les médias diabolisent-ils l’islam ?”, le dimanche 6 avril , après avoir diffusé un récapitulatif impressionnant d’extraits télévisés où l’islam était systématiquement couplé aux références répulsives du terrorisme, du fanatisme et de la délinquance. Cela venait après le magazine Envoyé spécial et le reportage de Jacques Merlino sur les “réseaux islamistes en Europe” qui, en dépit d’une dénégation de façade, avait procédé aux amalgames les plus notoires à l’encontre de la collectivité musulmane en France et en Europe.

Plaquer une rhétorique alarmiste et une suspicion latente sur des images d’hommes en prière ou de bénévoles distribuant une soupe gratuite pendant le mois de Ramadan, ce n’est pas fournir la preuve d’actions répréhensibles menaçant la société française. Mais c’est, à coup sûr, affliger l’image des musulmans d’un coefficient de répugnance selon un procédé qui ressemble fort au conditionnement néo-pavlovien dénoncé par Aldous Huxley dans Le Meilleur des mondes (1931). Faut-il s’étonner de voir ensuite un sondage commandé par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, prétendre que 61% des Français trouvent “qu’il y a trop d’Arabes” et 58% “trop de musulmans”  ?! (rapport du 20 mars 97 remis au Premier ministre Alain Juppé).

La fidélité des musulmans, elle est dans ce pacte républicain renouvelé spontanément et que vérifient toutes les enquêtes sociologiques (Tribalat, Étienne, Cesari…). Elle est dans ce “plébiscite de tous les jours” (Renan) dont chacun de nos concitoyens peut s’assurer que les musulmans y participent intimement depuis des générations. On devrait, en effet, se rappeler plus souvent qu’avant de construire des mosquées, les musulmans ont érigé des stèles à leurs coreligionnaires morts pour la France et qu’avant “d’envahir” le sol de France, ils reposent en son… sous-sol !

La deuxième idée constitue l’horizon de pensée, plus ou moins implicite, de trop nombreux responsables qui tablent sur une disparition de la référence musulmane comme conséquence de l’intégration. Disposition également partagée par toutes les familles de pensée politique. En 1987, Harlem Désir écrivait : “Bientôt l’étranger qui veut préserver son identité d’origine la voit confiner à l’espace du salon et de la cuisine, parfois celui de la mosquée. (…) Tout étranger qu’il est, en dix ans l’immigré est absorbé. Pour résister il lui faut une force d’âme particulière. Elle est rare.” (Sos Désirs, 1987, p. 30-31). Erreur d’analyse et sous-estimation de la “force d’âme” de l’islam. L’intégration n’est pas l’absorption de toutes les différences. A méditer par ceux qui, aujourd’hui, voudraient rabattre les “valeurs républicaines” sur les seules “valeurs chrétiennes”, ou ce qu’ils nomment ainsi par euphémisme et pour éviter de reconnaître leur hostilité à l’égard de l’islam.

Les musulmans peuvent contribuer à sortir de cette double impasse en établissant la légitimité définitive de leur présence minoritaire en Europe. Il est urgent de procéder à l’inventaire interprétatif (juridico-théologique) des trois grands types de circonstances historiques où les musulmans ont été confrontés à une situation de minorité ou de domination :

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1) La période pré-hégirienne (610-622) qui a vu la persécution des premiers disciples du Prophète par les Mecquois polythéistes et qui a donné matière à plusieurs versets coraniques dont il faut interroger le sens. A commencer par les plus connus : – “Ceux qui ont fait du tort à eux-mêmes, les Anges enlèveront leurs âmes en disant : “Où étiez-vous ?” (à propos de votre religion) – “Nous étions impuissants sur terre” dirent-ils. Alors les Anges diront : “La terre de Dieu n’était-elle pas assez vaste pour vous permettre d’émigrer ?” Voilà bien ceux dont le refuge est l’Enfer. Et quelle mauvaise destination ! – A l’exception des impuissants : hommes, femmes et enfants, incapables de se débrouiller, et qui ne trouvent aucune voie :

– A ceux-là, il se peut que Dieu donne le pardon. Dieu est Clément et Pardonneur. – Et quiconque émigre dans le sentier de Dieu trouvera sur terre maints refuges et abondance. Et quiconque sort de sa maison, émigrant vers Dieu et Son messager, et que la mort atteint, sa récompense incombe à Dieu. Et Dieu est Pardonneur et Miséricordieux.” (Coran, Sourate IV, An-Nisa, versets 97-100). Quelle est la portée du modèle hégirien d’émigration ?

2) La période de coexistence/affrontement dans l’Espagne médiévale (VIIIe-XVIe siècle) durant laquelle les musulmans ont d’abord dominé politiquement (Al-Andalus) et statué sur le sort des confessions chrétienne et juive, puis ont été progressivement soumis au pouvoir chrétien de la Reconquête qui les a tolérés (mudéjars) avant de les contraindre à la conversion (morisques). Cette succession de coexistences confessionnelles variées, et de tolérences réciproques limitées, a suscité une production juridico-théologique allant de la présence minoritaire justifiée (mufti malékite Abd Allah al-Abdusi du début du XIVe s.) jusqu’à l’obligation d’émigrer (fatwa d’al-Wansarisi de 1495).

3) la période de domination coloniale dont les modalités à l’égard de l’islam ont varié (Indirect Rule britannique, assimilation française) et contre laquelle les musulmans ont réagi diversement sans que jamais l’option d’émigrer, de la terre conquise par l’infidèle, n’ait été formulée comme un impératif vital pour le salut du croyant – démographiquement majoritaire mais politiquement dominé. Inventaire intellectuel à faire.

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