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”L’islam traverse une grande tragédie”

”L’islam traverse une grande tragédie”, La Libre Belgique édition nationale : 14 Jan. 2015

Quelle réflexion vous inspirent les récents attentats islamistes en France ?

Il est important de sortir d’un double déni. Le déni de la société française, qui a une explication culturelle ou religieuse à ces attentats et qui refuse de se poser la question de ce qu’elle a raté au cours de ces trente ou quarante dernières années. Le déni des musulmans qui disent que cela n’a rien à voir avec l’islam. Ceux qui disent cela sont dans le déni. Cette violence a aussi à voir avec l’islam, comme certaines violences commises au nom du christianisme ont aussi à voir avec lui. Cette violence a donc à voir avec une certaine lecture [de l’islam] qui se répand depuis une quarantaine d’années et qui est en lien à la fois avec le wahhabisme saoudien et l’idéologie des Frères musulmans. Rester dans ce déni empêche ce travail de distance critique nécessaire à l’intérieur de l’islam et ne va pas aider les musulmans.

Cela cause cette tragédie de l’islam dont vous parlez ?

L’islam traverse une grande tragédie. Cette tragédie est marquée par un déficit d’instances d’autorité qui seraient capables de régler les conflits d’interprétation. Et aussi par un déficit d’histoire concernant les origines de l’islam. A cause de ce déficit d’histoire, on raconte des histoires et on fait des histoires. Aujourd’hui, sur Internet, les gens n’ont accès qu’à des bribes de textes, à une représentation idéalisée du prophète de l’islam, qui a mis deux siècles pour se construire. A partir de cela, ils bricolent une identité religieuse, supposée islamique, qui remonterait aux premiers temps de l’islam. Et ce qui est enseigné dans les mosquées c’est [l’équivalent du] catéchisme catholique des années 50, c’est-à-dire une histoire sainte, sacrée, sans aucun travail historique ni anthropologique.

Sans ce travail, il n’est pas possible d’avoir autre chose qu’une représentation figée des choses ?

Non. Et c’est au nom d’une représentation figée considérée comme une vérité absolue que l’on peut tuer les gens. C’est au nom d’une caricature que l’on peut tuer les gens. Au nom d’une insulte.

Ce qui est frappant, c’est que dans le Coran, le prophète est insulté. Dans la sourate 108, verset 3, le Coran dit explicitement : “Celui qui t’insulte, c’est lui le châtré”. Muhammad, n’ayant pas de descendant mâle, est traité par un de ses adversaires comme un châtré. Un homme castré. Incapable d'avoir des enfants mâles. C’est la pire insulte dans cette société du VIIe siècle, car si vous n’avez pas de descendance mâle, vous n’existez pas. Le Coran ne fait pas acte de violence contre celui qui l’a insulté. Il lui répond par le discours.

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La violence est-elle inscrite dans l’islam ?

Dans tous les textes religieux, on trouve des discours violents. C’est en fonction des contextes que vous les activez ou non. Mais il ne faut pas confondre la violence du discours et le passage à l’acte. La violence du discours dans les textes religieux reflète très souvent l’incapacité de passer à l’acte. Plus le discours est violent, plus il traduit l’incapacité sociologique de passer à l’acte. Le discours a un effet de compensation. Il est dans le virtuel. Et ce qui est dans le virtuel, compréhensible pour les gens de l’époque, va devenir absolu pour un certain nombre de jeunes gens qui n’ont pas les outils critiques pour pouvoir lire ces textes.

Cela signifie que certains vont utiliser les textes comme prétexte…

Bien sûr. Ces gens ont une idéologie et vous pouvez trouver tout et n’importe quoi dans les textes religieux pour la justifier. Si vous voulez justifier l’islam de paix ou si vous voulez faire la guerre à tout le monde, vous allez pouvoir trouver cela dans les textes. Mais c’est une lecture d’aujourd’hui.

Propos recueillis par Vincent Braun

Rachid Benzine donnera une conférence sur le thème “Le Coran et la violence”, le 4 février au KVS (Koninklijke Vlaamse Schouwburg), à Bruxelles.

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